Nr. 76/2020
Recherche de la vérité / Dignité humaine

X. c. «Le Temps»

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Zusammenfassung

Recherchen als «zweifelhaft» und ihren Autor als «verrufen» zu bezeichnen, stellt an sich weder eine Verletzung der journalistischen Pflicht zur Wahrheitssuche noch zur Achtung der Menschenwürde dar. In einem Artikel über den Bekanntheitsgrad einiger Wissenschaftler, die sich auf Twitter zu Covid-19 äussern, erwähnte ein Journalist von «Le Temps» die Veröffentlichungen von Professor Didier Raoult und die Kritik, die ihnen von der wissenschaftlichen Gemeinschaft entgegengebracht wird. Ein Leser beschwerte sich beim Schweizer Presserat. Er war der Meinung, was der Journalist über Hydroxychloroquin, Professor Raoult und dessen Forschung schreibe, sei weit weg von der Wahrheit. Der Presserat kommt zum Schluss, dass die im Artikel verwendeten Einschätzungen auf Tatsachen beruhen und dass die Zeitung alle für ihre korrekte Interpretation erforderlichen Informationen nennt. Dasselbe gilt für den Vorwurf der Verletzung der Menschenwürde: Dieser ist völlig unbegründet. Der Presserat weist daher die Beschwerde ab.

Résumé

Qualifier des recherches de «douteuses» et leur auteur de «sulfureux» ne constitue pas en soi une violation du devoir de rechercher la vérité qui incombe aux journalistes, ni de leur devoir de respecter la dignité humaine. Dans un article consacré à la notoriété rencontrée sur Twitter par certains scientifiques qui s’expriment sur le Covid-19, un journaliste du «Temps» mentionne les publications du Professeur Raoult et l’accueil critique que la communauté scientifique leur réserve. Un lecteur s’est plaint auprès du Conseil suisse de la presse (CSP), estimant que le journaliste utilisait des «qualificatifs (…) éloignant de la vérité» lorsqu’il parlait de l’hydroxychloroquine, du Professeur Didier Raoult et de ses recherches. Le CSP constate que les qualificatifs utilisés dans l’article incriminé reposent sur des faits et que toutes les informations nécessaires à leur juste interprétation sont mentionnées. Il en va de même pour l’accusation de violation du devoir de respecter la dignité humaine: à aucun moment elle n’est avérée. Le CSP rejette donc entièrement cette plainte.

Riassunto

Definire una ricerca «discutibile» (douteux) e il suo autore «sulfureo» (sulfureux) non equivale per sé a un’inosservanza del dovere di ricercare la verità che incombe ai giornalisti, né del dovere di rispettare la dignità umana della persona che si critica. In un articolo sulla notorietà conquistata da uomini di scienza che si esprimono su Twitter a proposito del Covid-19, un giornalista di «Le Temps» citava le pubblicazioni del prof. Raoult e le riserve sollevate dalle sue tesi in seno alla comunità scientifica. Un lettore si è rivolto al Consiglio svizzero della stampa ritenendo che «l’articolista usi apprezzamenti non obiettivi» quando scrive dell’idrossiclorochina, del prof. Didier Raoult e delle ricerche da lui condotte. Il Consiglio constata, al contrario, che gli apprezzamenti contenuti nell’articolo criticato si basano su fatti e che tutte le informazioni necessarie alla loro retta interpretazione figurano nell’articolo. Così pure per l’asserita violazione della dignità umana, che non risulta da nessun punto dell’articolo. Il reclamo è dunque respinto in toto.

I. En fait

A. Le 11 mai 2020 sur son site, puis le 13 mai 2020 dans son édition papier, «Le Temps» publie un article signé Fabien Goubet sur l’écho grandissant que rencontrent sur Twitter, autour de la Covid-19, des scientifiques. L’article, titré «Le coronavirus pousse les scientifiques sous les projecteurs de Twitter» (version en ligne) et «Des scientifiques dans l’Arène de Twitter» (version imprimée), relate comment la pandémie a donné de la visibilité sur ce réseau social à différents scientifiques qui y décryptent les informations relatives à la maladie, non sans un certain esprit de provocation ni humour. Sont plus particulièrement retracées les activités de trois twittos, Mathieu Rebeaud, @Le__Doc et @LehmannDrC. Même si ce n’est pas là l’angle principal du papier, il est fait mention dans son dernier tiers du débat autour de l’hydroxychloroquine et de son utilité dans le traitement du coronavirus, ainsi que du rôle joué par le Pr Didier Raoult dans sa défense.

B. Ce même 11 mai 2020, X. dépose plainte contre «Le Temps» auprès du Conseil suisse de la presse. Il estime que l’article viole deux chiffres de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration»). En substance, le chiffre 1 (Recherche de la vérité) serait violé parce que l’article utiliserait des «qualificatifs que l’on peut qualifier de douteux et éloignant de la vérité», qu’il s’agisse de l’hydroxychloroquine, du Professeur Didier Raoult et de ses recherches, ou des trois twittos cités à la lettre A.

X. estime en outre que le chiffre 8 (Respect de la dignité humaine) est violé parce que, notamment, l’article minimiserait les accomplissements du Professeur Raoult, par exemple en omettant de citer son titre, l’assimilerait à un «charlatan», ou encore au diable via l’utilisation de l’adjectif «sulfureux» pour le qualifier.

C. Le 15 juin 2020, Stéphane Benoit-Godet, corédacteur en chef du «Temps», et Fabien Goubet, auteur de l’article et journaliste à la rubrique scientifique du quotidien, prennent position et demandent le rejet de la plainte. Ils estiment que l’article incriminé ne viole aucun point de la «Déclaration». Ni une infraction à la recherche de la vérité (au contraire, puisque l’article rappelle les critiques émises à l’encontre des recherches du Professeur Raoult par la communauté scientifique alors que son discours est très médiatisé), ni l’atteinte à la dignité ne sont pour eux constituées. Par ailleurs, précisent-ils, le chercheur n’est évoqué dans l’article que parce qu’il a été donné en exemple par les scientifiques interrogés; il ne faut donc y voir aucune attaque personnelle.

D. La présidence du Conseil suisse de la presse confie le traitement de la plainte à sa 2e Chambre, composée de Dominique von Burg (président), Sonia Arnal, Michel Bührer, Annik Dubied, Denis Masmejan, François Mauron et Mélanie Pitteloud.

E. La 2e Chambre traite la plainte dans sa séance du 17 septembre 2020, ainsi que par voie de correspondance.

II. Considérants

1. «Le Temps» a-t-il violé son devoir de recherche de la vérité en qualifiant les études de Didier Raoult de «décriées» ou «douteuses»? Elles sont objectivement décriées, ne serait-ce que par les trois twittos qui s’expriment dans l’article incriminé, mais aussi par une part importante de la communauté scientifique, à laquelle les journaux du monde entier ont donné la parole. C’est donc un fait. Les dernières études parues depuis la publication de cet article ont d’ailleurs poussé les hôpitaux qui testaient la chloroquine comme médicament pour les malades très symptomatiques à y renoncer. Le journaliste précise que «ses travaux (sont) décriés pour leur méthodologie douteuse», ce qui est aussi un fait, de nombreuses publications scientifiques et grand public s’étant fait l’écho de ces critiques. Il existe cela dit d’autres scientifiques qui ne partagent pas ce point de vue. Considérant le nombre d’articles parus sur cette controverse et l’accessibilité très aisée aux arguments de ceux qui défendent la position de Didier Raoult, ne pas donner ici la parole à l’autre camp ne constitue pas une violation du chiffre 1 de la «Déclaration» aux yeux du Conseil.

La façon dont sont désignés les trois intervenants n’est pas non plus mensongère: les informations nécessaires à la compréhension de leur formation et de leur background sont suffisantes pour que le lecteur se fasse une opinion quant à la légitimité de leurs propos. Enfin, écrire que l’hydroxychloroquine est un «ancien antipaludéen» n’est pas contraire à la vérité, car «ancien» ne signifie pas exclusivement «désuet»: selon la définition du Larousse par exemple, ce mot signifie aussi «qui existe depuis longtemps». Au regard de ces divers éléments, le Conseil ne constate aucune violation du chiffre 1 de la déclaration.

2. Didier Raoult est Professeur. X. reproche au «Temps» d’avoir omis de le mentionner dans le but de saper sa légitimité. C’est faux. Fabien Goubet écrit en effet: «Qui subissent les assauts répétés des fans du professeur français (…).» Son titre est donc bien mentionné.

Qualifier de «traqueurs de charlatanisme» les médecins et scientifiques qui se sont regroupés pour empêcher le remboursement de l’homéopathie et luttent contre d’autres formes de thérapies qui ne reposent pas sur des fondements scientifiques revient-il à traiter Didier Raoult de charlatan? Certes, le collectif fakemed est également actif dans la contestation de l’efficacité de la chloroquine pour lutter contre les effets du Covid, mais c’est faire un raccourci que d’estimer que cet adjectif désigne automatiquement le Professeur. Le paragraphe qui précède fait d’ailleurs mention des fans extrémistes qui sévissent sur les réseaux sociaux pour défendre ses positions plus qu’il ne vise la personne du Professeur Raoult – c’est eux et les homéopathes qui sont ici principalement ciblés.

Le Conseil s’est interrogé sur l’emploi d’un autre qualificatif. Le journaliste écrit en effet: «… ses travaux s’attirent les foudres des scientifiques sérieux sur les réseaux sociaux». Qu’est-ce qu’un scientifique «sérieux»? Des scientifiques reconnus défendent les positions de Didier Raoult, ou du moins adhérent à une partie d’entre elles. Est-ce à dire que leur soutien les disqualifie automatiquement? Qu’il suffit à les faire basculer dans le camp des «rigolos»? Ce serait là une logique un peu particulière. Comme ce problème n’est pas relevé par le plaignant, le conseil décide de laisser la question en suspens.

Enfin, Didier Raoult est bien qualifié de «sulfureux microbiologiste» dans l’article du «Temps». Le plaignant estime qu’en utilisant ce qualificatif, le journaliste traite le Professeur de diable. Le terme «sulfureux» signifie bien «qui rappelle le démon», mais aussi «qui est socialement réprouvé»; on peut par exemple parler du «passé sulfureux» de quelqu’un sans insinuer qu’il a été naguère l’incarnation du diable. Enfin, lorsqu’on qualifie un discours ou une prise de position, c’est un antonyme de «fade» ou «consensuel». C’est clairement ce sens que le journaliste utilise ici, dans le contexte du rappel polémique de ses prises de position. Il ne s’agit en rien d’une atteinte à la dignité humaine.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En publiant l’article «Des scientifiques dans l’Arène de Twitter», «Le Temps» n’a violé ni le chiffre 1 (Recherche de la vérité) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste», ni le chiffre 8 (Respect de la dignité humaine).