Newsletter #2/2023: Amendes pour publication d’informations secrètes: à bas l’article 293 CP!

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Edito Susan Boos, présidente du Conseil suisse de la presse

Les indiscrétions électrisent les journalistes. Mais peuvent-ils publier des informations secrètes dans tous les cas? La préfecture du district de Zurich a répondu par la négative au printemps 2021, rendant une ordonnance pénale à l’encontre de trois journalistes du groupe Tamedia et de la NZZ. Ils devaient s’acquitter d’amendes de 400 à 800 francs. L’affaire concernait le projet de construction du «Rosengarten» à Zurich. Le maire de l’époque avait fourni des informations secrètes aux journalistes en amont de la votation populaire sur ce projet. Une ordonnance pénale a été rendue également à son encontre: il devait payer une amende de 800 francs pour complicité de publication de débats secrets d’une autorité.

Les juges ont dans l’intervalle levé les charges à l’encontre des journalistes et de l’ancien maire. Ils n’écoperont pas d’amendes. Mais quelle est la limite à ne pas franchir? Quelles règles s’appliquent lorsque des journalistes reçoivent des informations secrètes? 

La question se pose également en rapport avec les fuites relatives aux mesures contre le coronavirus. Dans ce contexte, le journal «Schweiz am Wochenende» a publié des informations sur l’échange de mails entre le chef de la communication d’Alain Berset et le directeur général du groupe Ringier, alors même qu’une enquête était en cours. Est-il permis d’en parler? Que dit le code déontologique? 

La plupart des questions relatives à l’éthique des journalistes sont réglées dans les directives 1 à 10, qui consacrent les devoirs des professionnels des médias. La question des indiscrétions est quant à elle traitée dans la directive a.1. Peu de journalistes en sont familiers. Le «a» marque les directives relatives aux droits des journalistes, car le code déontologique ne comporte pas que des devoirs, mais aussi des droits.

La directive a.1 «Indiscrétions» énonce que «les médias sont libres de publier des informations qui leur sont transmises grâce à des fuites aux conditions suivantes:

  • la source des informations est connue du média;
  • le sujet est d’intérêt public;
  • la publication ne doit pas toucher des intérêts extrêmement importants dignes de protection, tels que des droits, des secrets, etc.;
  • il n’y a pas de raison prépondérante de surseoir à la publication;
  • l’indiscrétion a été commise à dessein et de plein gré par l’informatrice ou l’informateur».

L’intérêt public est incontestable tant dans l’affaire du «Rosengarten» que s’agissant des fuites relatives aux mesures contre le coronavirus. La source des informations est évidente dans le premier cas. Dans le second, on peut présumer qu’elle est connue des auteurs.  

Sur le plan journalistique, il est manifeste que ces histoires pouvaient et devaient être publiées. Toutefois, les journalistes risquent une condamnation lorsqu’ils publient des informations provenant d’indiscrétions. La cause en est l’article 293 du code pénal, qui figurait déjà dans la première version du code de 1937. Cet article dispose que «celui qui aura livré à la publicité tout ou partie des actes, d’une instruction ou des débats d’une autorité qui sont secrets en vertu de la loi ou d’une décision prise par l’autorité conformément à la loi, sera puni de l’amende» et aussi que «la complicité est punissable».

Le bien-fondé de cet article est remis en question depuis des années. Les années 90 ont été marquées par des tentatives d’abrogation. Dans son message de l’époque, le Conseil fédéral écrivait: «Il est prévu d’abroger purement et simplement la disposition contestée sur la publication de débats officiels secrets (art. 293 CP), l’idée étant qu’il est injuste de punir le journaliste qui publie des informations confidentielles, alors que le fonctionnaire ou le représentant de l’autorité qui lui a donné accès à ces informations reste, lui, impuni, puisqu’il n’est pas possible de l’identifier». 

L’abrogation n’a pas eu lieu, l’article figure toujours dans le code pénal. Il y a une bonne dizaine d’années, le Conseil national a fait un nouvel essai. L’abrogation, une nouvelle fois, n’a pas abouti. Mais le Parlement a complété l’article 293 par un nouvel alinéa: «L’acte n’est pas punissable si aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’opposait à la publication».

C’est grâce à cet ajout que les juges ont annulé les amendes prononcées dans le cas du «Rosengarten». Il n’en demeure pas moins que l’article 293 du code pénal doit être abrogé. Sinon, les journalistes risqueront toujours d’être condamnés pour la publication d’une indiscrétion. Même si les journalistes sont au final acquittés, de telles procédures demandent beaucoup d’énergie et s’avèrent dissuasives.