Nr. 4/2017
Vérité / Omission d’informations / Vie privée

(Service de protection de la jeunesse du canton de Vaud c. «24 Heures»)

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Zusammenfassung

Dass eine Tageszeitung das Vorgehen eines Amtes kritisiert ist nicht nur zulässig, sondern erwünscht.

Der Familienvater einer Pflegefamilie war wegen Pädophilie verurteilt worden. «24 Heures» hat über den Prozess berichtet und sich anschliessend vertieft mit der Frage auseinander gesetzt, wie so etwas passieren konnte. Dazu befragte die Journalistin den Leiter der Waadtländer Jugendschutzbehörde und weitere externe Experten. Sie thematisierte zudem Meinungsverschiedenheiten innerhalb der Jugendschutzbehörde in Bezug auf die Betreuung des Mädchens, welches in dieser Familie platziert worden war.

Der Artikel von «24Heures» respektiert die Privatsphäre der involvierten Personen. Weder die Familie, noch das Mädchen, noch Angestellte der Jugendschutzbehörde sind identifizierbar. Der Leiter der Jugendschutzbehörde hat Gelegenheit erhalten, sich zu äussern. Gewisse externe Experten übten Kritik und wiesen insbesondere auf das Problem des Negierens durch Fachleute hin.

Für den Leiter der Jugendschutzbehörde, welcher den Presserat angerufen hat, hat der Artikel von «24 Heures» grossen Schaden angerichtet, insbesondere gegenüber dem Mädchen. Der Presserat räumt ein, dass sich die Berichterstattung über eine solche Angelegenheit auf die Beteiligten auswirken kann. Im vorliegenden Fall überwiegt das öffentliche Interesse jedoch klar. Die Journalisten war bei ihrer Recherche mit dem nötigen Feingefühl vorgegangen.

Der Presserat hat die Beschwerde abgewiesen.

Résumé

Qu’un quotidien critique l’action d’un service public est non seulement admissible, mais souhaitable.

Le père de famille d’une famille d’accueil a été condamné pour pédophilie. «24 Heures» rend compte du procès, puis se lance dans une enquête plus approfondie en se demandant comment une telle chose a été possible. Pour ce faire, la journaliste interroge le chef du Service vaudois de la protection de la jeunesse, ainsi que des experts extérieurs. Elle fait également état de dissensions internes au SPJ à propos du suivi de la fillette placée dans cette famille.

L’article de «24 Heures» respecte autant que faire se peut la vie privée des personnes impliquées. Ni la famille, ni la fillette, ni les employées du SPJ ne peuvent être identifiés. Le chef du SPJ est appelé à s’exprimer, mais certains experts extérieurs se montrent critiques, soulevant notamment le problème du «déni des professionnels».

Pour le chef du SPJ, qui saisit le Conseil de la presse, l’article de «24 Heures» a fait beaucoup de tort notamment à la jeune victime. Certes, admet le Conseil de la presse, l’évocation d’une telle affaire risque d’en affecter les protagonistes. Mais en l’occurrence, l’intérêt public prédomine de toute évidence, et l’enquête a été menée avec la délicatesse requise. La plainte est rejetée.

Riassunto

Che un giornale si esprima criticamente nei confronti di un servizio pubblico non è soltanto ammissibile ma auspicabile. In questi termini si esprime il Consiglio svizzero della stampa, respingendo un reclamo presentato contro «24 Heures». Il giornale rendeva conto del caso di un genitore condannato per pedofilia, integrando la relazione con un servizio più ampio inteso a capire come l’abuso sia potuto avvenire. Durante l’inchiesta, il giornalista ha interpellato il capo del Servizio vodese di protezione delle gioventù (SPJ), come pure alcuni esperti esterni a quell’ufficio. Nel servizio si dà notizia di dissensi interni al SPJ a proposito del collocamento della ragazza in quella famiglia.

Il Consiglio rileva che «24 Heures» ha rispettato nella misura del possibile la sfera privata delle persone in causa. Né la famiglia, né la bambina, né i dipendenti dell’ufficio sono riconoscibili. Accanto al parere del responsabile è riportato quello di esperti esterni, critici soprattutto sul punto del diniego professionale degli addetti. Presentando il reclamo al Consiglio della stampa, il responsabile esprime il parere che il giornale abbia causato un torto alla piccola vittima. Il Consiglio ammette che, affrontando questo tipo di problematiche, si arrischia sempre di far male alle persone coinvolte. Ma nel caso specifico prevale l’interesse pubblico, tanto più che l’inchiesta appare condotta con il dovuto rispetto. Il reclamo è dunque respinto.

I. En fait

A. Les 10 et 15 août 2016, «24 Heures» rend compte du procès d’un pédophile ayant fonctionné comme parent de famille d’accueil. Le 18 août 2016, Pascale Burnier, journaliste à «24 Heures», rencontre le chef du Service de la protection de la jeunesse (SPJ) en vue d’un article de fond qu’elle prépare sur le sujet.

B. Le 23 août 2016, un courrier des lecteurs publié par «24 Heures» réagit aux articles des 10 et 15 août et accuse les responsables et collaborateurs du SPJ de complicité de pédophilie. Le 1er septembre 2016, le plaignant dépose plainte pénale pour diffamation contre l’auteur de la lettre. Le 5 septembre, puis le 15 septembre, la rédaction en chef présente ses excuses au chef du SPJ. Le 5 octobre, une lettre d’excuses est adressée au chef du SPJ et à ses collaborateurs, et le même jour «24 Heures» publie un rectificatif à ce courrier des lecteurs dans ses colonnes.

C. Le 4 octobre 2016 paraît l’article de fond projeté, sous le titre «Comment un pédophile a pu accueillir une fillette abusée». Le sous titre précise : «Un père de famille a commis durant des années des actes sexuels sur une fillette placée chez lui après avoir été abusée par un proche. Elle avait pourtant tiré la sonnette d’alarme». L’article relate l’histoire de la fillette : retirée de la garde de ses parents à l’âge de 3 ans et demi  suite à des abus sexuels dont l’auteur n’a pu être identifié. Placée dans une famille apparemment idéale, elle est alors «confrontée à la perversité» du père de famille, qui vient caresser la fillette dans son lit. A l’âge de 12 ans, elle tire la sonnette d’alarme «à sa façon», en avouant se sentir mal à l’aise parce que le père de famille se promène parfois nu. Une collaboratrice du SPJ intervient auprès des parents, les informant «des conséquences sur l’intimité de cette jeune fille, particulièrement en regard de sa situation personnelle». Elle signale que le père de famille a fait part de son agacement, regrettant le «manque de bon sens du SPJ». Mais l’assistant social qui suit la famille est d’un autre avis. Nuançant le rapport de sa collègue, il conclut : «J’ai indiqué à Mme X ma totale confiance en ses prestations éducatives, et celles de son mari, des mesures pratiques et de modifications de comportements ayant été prises par la famille d’accueil.» La SPJ maintient un suivi ordinaire, et le pédophile «poursuit son rituel», jusqu’à ce que, deux ans après, la fillette devenue adolescente raconte «tout son calvaire». La SPJ dénonce alors le cas pénalement et la machine judiciaire se met en marche. Interrogé par le quotidien, le chef du SPJ déclare qu’«il n’y avait aucun problème apparent» dans le profil de la famille, qui avait accueilli d’autres enfants. Dans une évaluation interne citée par l’article, le SPJ estime «qu’aucune erreur n’a été commise». «Objectivement», précise le chef du SPJ, «avec les éléments que nous avions, il n’y avait pas moyen de repérer et anticiper ce qui se passait réellement». La journaliste interroge encore des spécialistes des abus. «Les paroles d’une enfant de 12 ans qui parle de malaise face à la nudité auraient dû faire tilt», avertit notamment une conseillère en santé du CHUV, qui soulève le problème du «déni des professionnels» : «Nous le constatons régulièrement. Les médecins, comme des partenaires sociaux ne voient pas les abus d’enfant. (…) Les professionnels craignent qu’on se dise qu’ils ont un regard sale en suspectant des abus.» Quant au chef du SPJ, il conclut: «Nous sommes très sensibles à ces questions, nous avons malheureusement à gérer au quotidien de nombreuses situations d’abus et de violence avec les 1500 signalements qui arrivent chaque année.»

D. Le 14 novembre 2016, le chef du SPJ saisit le Conseil suisse de la presse. L’article du 4 octobre 2016 aurait fait un mal considérable «en premier lieu à la jeune fille concernée», en second lieu «à l’ensemble des collaborateurs et collaboratrices du SPJ». Selon le plaignant, le titre «laisse à penser au lecteur que la personne concernée était identifiée par le SPJ comme étant pédophile». Il reproche encore à «24 Heures» d’avoir pris contact avec certains professionnels qui ne connaissaient pas la situation, et d’avoir omis de préciser dans l’article que la jeune fille bénéficiait depuis plus de 10 ans d’une psychothérapie. Enfin le plaignant soulève la question des commentaires parus sur la page Facebook du quotidien, en partie haineux, «et que ledit journal n’a pas jugé utile de supprimer». Pour le plaignant, les chiffres suivants de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration») ont été violés: 1 (recherche de la vérité); 3 (omettre des éléments d’information); 4 (méthodes déloyales); 5 (courrier et commentaires en ligne des lecteurs); 7 (respect de la vie privée) et 8 (dignité humaine).

E. Le 5 janvier 2017, «24 Heures» prend position sous la plume de Thierry Meyer, rédacteur en chef. Il se dit surpris de la plainte du chef du SPJ, la préparation de l’article s’étant «déroulée de manière tout à fait cordiale et transparente». Le rédacteur en chef met d’abord en évidence que le journal s’est déjà excusé concernant la lettre de lecteur (voir lettre B). Quant aux commentaires sur Facebook, il souligne que le journal a appelé à la modération, mais que techniquement il serait «utopique» de lui demander de contrôler tous les commentaires relatifs à un article. Le journal n’aurait donc pas contrevenu au chiffre 5 de la «Déclaration». Puis il réfute les autres violations alléguées. Chiffre 1: La journaliste n’a pas affirmé que le SPJ n’a rien fait. Il rejette en outre l’accusation concernant le titre de l’article et souligne que «tout ce qu’a écrit la journaliste a été vérifié». Chiffre 3: La journaliste a précisé à ses interlocuteurs que la fillette était suivie par un psychiatre depuis l’âge de 3 ans. Si ce n’a pas été dit dans l’article c’est que ça n’apportait aucun élément pertinent et aurait ajouté «des éléments informatifs sur l’identité de la fillette». Chiffre 4: Le rédacteur en chef rejette toute accusation de recours à des méthodes d’enquête déloyales. Chiffre 7: Le journal n’a donné aucun élément permettant d’identifier la victime d’abus; aucun assistant social n’a par ailleurs été nommé. Chiffre 8: La journaliste «a proscrit toute présentation à caractère sensationnel». En conclusion, «24 Heures» a la désagréable impression que le plaignant «n’admet pas qu’on puisse publiquement poser des questions sur le fonctionnement d’un service de l’Etat».

F. La présidence du Conseil suisse de la presse a confié le traitement de la plainte à sa 2e Chambre, composée de Sonia Arnal, Annik Dubied, Anne Seydoux, Michel Bührer, Dominique von Burg (présidence), Denis Masmejan et François Mauron.

G. La 2e Chambre a délibéré le 9 février 2017 et par voie de correspondance.

II. Considérants

1. La plainte se réfère explicitement à l’article paru le 4 octobre 2016. La question du courrier des lecteurs n’est donc pas concernée, ni les commentaires parus sur le site Facebook de «24 Heures». D’ailleurs, le journal s’est excusé de la publication inopinée de la lettre de lecteur ayant fait l’objet d’une plainte pénale, et explique pourquoi il juge impossible  d’intervenir contre la dissémination de commentaires haineux sur Facebook. Enfin, aucune erreur matérielle n’ayant été relevée par le plaignant, le devoir de rectifier tombe. Le chiffre 5 de la «Déclaration» n’est donc pas concerné.

2. Pour ce qui du chiffre 1 de la «Déclaration», reste la question du titre de l’article. Laisse-t-il vraiment à penser que la personne concernée était identifiée par le SPJ comme étant pédophile? Aux yeux du Conseil de la presse, le titre et le sous titre sont tout à fait factuels et l’interprétation qu’en fait le plaignant ne se justifie pas. Quant à la mention des soupçons ayant pesé sur un membre de la famille de la fillette, jugée «scandaleuse» par le plaignant, elle ne saurait constituer un manquement au devoir de rechercher la vérité tant que le fait n’est pas contesté. Le journal n’a donc pas contrevenu au chiffre 1 de la «Déclaration».

3. Qu’en est-il du chiffre 3 de la «Déclaration»? Quand le journal ne mentionne pas que la fillette était suivie par un psychiatre depuis des années, omet-il un élément d’information essentiel? Pour le Conseil de la presse, la mention  de ce fait n’était pas nécessaire au public pour  la compréhension de l’enquête. Quant à la mention de ce suivi médical auprès des spécialistes cités dans l’article, le journal affirme que sa journaliste l’a fait, et aucun élément en possession du Conseil de la presse ne permet d’affirmer le contraire. Le chiffre 3 de la «Déclaration» n’a donc pas été violé.

4. La plainte mentionne également le chiffre 4 de la «Déclaration», mais elle ne précise pas en quoi la journaliste aurait eu recours à des méthodes d’enquête déloyales. Tout au plus pourrait-on le prendre en considération si elle n’avait pas informé les spécialistes du suivi médical dans cette affaire. Mais le journal le conteste et aucun manquement n’est établi à cet égard. Le chiffre 4 de la «Déclaration» n’est donc pas violé.

5. L’article a-t-il manqué de respect à la vie privée des protagonistes ? Dans la mesure où les identités des uns et des autres ont été protégées, certainement pas. Dans la mesure où tous les détails scabreux inutiles ont été évités, encore moins. Reste la question de savoir si la publication d’un tel article affectait en soi la vie privée des personnes concernées, celle de la jeune victime en premier lieu. La réponse est oui, sauf que pour le Conseil de la presse, un intérêt public prépondérant  justifiait largement cette enquête. Quant au SPJ et à ses collaborateurs, il est évident que leur action doit pouvoir être scrutée d’un œil critique. Le chiffre 7 de la «Déclaration» n’est pas violé.

6. Quant à la violation alléguée du chiffre 8 de la «Déclaration», elle n’est pas explicitement fondée dans la plainte. Et le Conseil de la presse, se référant aux arguments énumérés au paragraphe précédent, ne voit pas en quoi la dignité de qui que ce soit serait touchée par l’article publié par «24 Heures».

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. L’article de «24 Heures» intitulé «Comment un pédophile a pu accueillir une fillette abusée» n’a violé aucun des chiffres 1, 3, 4, 5, 7 et 8 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».