Nr. 2/2014
Suppression d’informations essentielles / Loyauté de la recherche / Respect de la vie privée

(X. c. «20 minutes en ligne») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 4 avril 2014

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Zusammenfassung

Am 12. September 2013 publizierte «20 minutes en ligne» den Artikel «Ce coach en entreprise est un filou sans le sou» («Dieser Unternehmensberater ist ein mittelloser Schwindler»). Die Gratiszeitung greift darin von Geschäftsleuten erhobene Vorwürfe gegen den Berater auf, ohne dessen Namen zu nennen. Anonym zitiert sie die Wirtin eines Bistros in Yverdon, die es bereut, seine Dienste in Anspruch genommen zu haben, nachdem sie festgestellt hat, wie viel Geld sie durch ihn verloren hat («ein grosses finanzielles Loch»). Vier weitere nicht mit Namen genannte Gewerbetreibende bestätigen dieses Urteil und bezeichnen den Unternehmensberater als «wenig empfehlenswerten Scharlatan», «grossen Manipulator» sowie als «mittellosen Schwindler». Der beschuldigte Fünfzigjährige wird mit den Worten zitiert, er sei Opfer von Repressalien. Ihm wird indes keine Gelegenheit gegeben, sich zu den ihm zur Last gelegten finanziellen Verlusten zu äussern.

Der Presserat hat die Beschwerde in den wesentlichen Punkten gutgeheissen. Der Artikel verstösst insbesondere gegen Ziffer 7 der «Erklärung der Pflichten und Rechte der Journalistinnen und Journalisten». Denn er  liest sich wie eine Aneinanderreihung von anonymen und sachlich nicht gerechtfertigten Anschuldigungen. Verletzt wurde zudem das Anhörungsrecht des Beschuldigten. Die Redaktion hätte dem Berater die Möglichkeit einräumen müssen, zu den schweren Vorwürfen Stellung zu nehmen. Ausserdem hätte der Journalist den mit Medien unerfahrenen Berater informieren müssen, dass er das Recht hat, seine Zitate vor der Publikation vorgelegt zu erhalten.

Résumé

Le 12 septembre 2013, «20 minutes en ligne» a publié un article intitulé «Ce coach en entreprise est un filou sans le sou». Le quotidien gratuit y relaie diverses critiques de commerçants à l’encontre d’un coach d’entreprise, sans publier son nom. Il cite d’abord anonymement la patronne d’un restaurant d’Yverdon, qui dit s’être «mordue les doigts» après avoir accepté ses services et avoir découvert «un grand trou financier.» Quatre autres commerçants non nommés renchérissent, qualifiant le coach en entreprise de «bonimenteur peu recommandable», de «grand manipulateur» ou encore de «filou sans le sou». Le quinquagénaire incriminé est cité dans l’article, il se dit «victime de représailles». Le journaliste ne donne toutefois pas son point de vue concernant le « trou financier ».  
Dans sa prise de position, le Conseil suisse de la presse accepte la plainte dans ses points essentiels. Il estime que «20 minutes en ligne» a violé principalement le chiffre 7 de la Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste. L’article apparaît en effet dans son ensemble comme une suite d’accusations anonymes et gratuites. Le journal en ligne a aussi violé le chiffre 3 de la Déclaration concernant l’audition lors de reproches graves. Le Conseil suisse de la presse rappelle que la rédaction devait donner à la personne incriminée la possibilité de répondre aux reproches graves précis contenus dans le texte. En outre, en vertu du chiffre 4 de la Déclaration, le journaliste aurait dû informer le plaignant, peu coutumier des médias, de son droit d’exiger que les propos prévus pour publication lui soient soumis avant publication.

Riassunto

Il 12 settembre 2013, «20 minutes en ligne» pubblicava un articolo intitolato «Ce coach en entreprise est un filou sans le sou» («Questo consulente d’impresa è un imbroglione squattrinato»). Il giornale gratuito riferiva di critiche raccolte tra commercianti (senza per altro nominarli). Per esempio, la proprietaria di un ristorante di Yverdon, dice di essersi «morsa le dita» constatando quanto denaro le aveva fatto perdere («un gran buco finanziario»). Altri quattro commercianti non citati per nome rincaravano la dose parlando di un «ciarlatano poco raccomandabile», di «un gran manipolatore», appunto: un «imbroglione squattrinato» («filou sans le sou»). Del cinquantenne «consulente» il giornale si limitava a precisare che la persona si definiva «oggetto di rappresaglie»  e «vittima di una vendetta». Circa le perdite finanziarie causate, l’articolista non gli dava la possibilità di spiegarsi.

Il Consiglio svizzero della stampa ha accolto il reclamo presentato contro il giornale, perlomeno nei punti essenziali. Violata risulta a suo parere soprattutto la Cifra 7 della «Dichiarazione dei doveri e dei diritti del giornalista»: l’articolo è una raccolta di accuse anonime e gratuite. Violata pure la Cifra 3 della Dichiarazione, che prescrive di raccogliere la reazione delle persone oggetto di addebiti gravi. La redazione avrebbe dovuto offrire al «consulente» la possibilità di reagire. Perlomeno, il giornale avrebbe dovuto (secondo la Cifra 4 della Dichiarazione) informarlo – essendo lui poco al corrente delle regole mediatiche – che era suo diritto conoscere il senso dell’articolo prima della pubblicazione.


I. En fait


A.
Le 12 septembre 2013, «20 minutes en ligne» publie un article intitulé «Ce coach en entreprise est un filou sans le sou», signé par Abdoulaye Penda Ndiaye. Le quotidien gratuit relaie diverses critiques de commerçants à l’encontre d’un coach d’entreprise, sans publier son nom. Il cite d’abord anonymement la patronne d’un restaurant d’Yverdon, qui affirme: «C’est ma banque qui me l’avait proposé comme coach d’entreprise. Je m’en mords les doigts!» La restauratrice, elle-même «poursuivie par ses ex-salariés» selon l’article, précise: «J’ai découvert un grand trou financier. J’ai porté plainte.» Quatre autres commerçants non nommés renchérissent, qualifiant le coach en entreprise de «bonimenteur (…) peu recommandable», de «grand manipulateur» ou encore de «filou sans le sou». Interrogé par le journaliste, le quinquagénaire se défend, estimant faire «du copilotage pour aider les chefs d’entreprise à trouver de bonnes solutions» et se disant «victime de représailles». L’une des voix critiques affirme que le coach «est connu à l’Office des poursuites». L’article précise que «l’homme mis en cause ne nie pas cet aspect-là». L’article est accompagné d’une photographie du restaurant d’Yverdon dont la patronne se dit «victime de l’individu».

B. Le 18 septembre 2013, le coach d’entreprise mis en cause porte plainte devant le Conseil suisse de la presse. Contacté par téléphone avant parution de l’article, le plaignant dit avoir proposé au journaliste de le rencontrer, ce que ce dernier aurait refusé. Après la parution, il a tenté en vain de publier «un droit de réponse» sur la page Facebook de «20 minutes en ligne». Qualifiant l’article d’ «enquête infâme conçue et rédigée pour nuire et non pour informer», le plaignant dénonce une violation des chiffres 3 (suppression d’informations essentielles), 4 (méthodes déloyales), 5 (rectification), 7 (accusations anonymes), 9 (indépendance professionnelle) et 11 (directives journalistiques) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste», ainsi que les directives 3.1 (traitement des sources), 3.8 (audition lors de reproches graves), 4.6 (entretien aux fins d’enquête), 5.1 (devoir de rectification), 7.1 (protection de la vie privée), 7.2 (identification) et 8.1 (respect de la dignité humaine) y relatives. Le plaignant motive sa plainte dans un autre courrier, en date du 23 septembre 2013.

C. Le 1er novembre 2013, dans sa réplique, «20 minutes en ligne» conteste toute violation de la «Déclaration» et de ses directives. Il souligne avoir e
ntendu le plaignant avant publication, avoir protégé ses sources dans le respect de la déontologie et avoir travaillé en tout indépendance professionnelle.

D. Le 8 novembre, le Conseil suisse de la presse informe les parties que la plainte sera traitée par la deuxième Chambre, composée de Dominique von Burg (président), Michel Bührer, Annik Dubied, Pascal Fleury, Anne Seydoux, Françoise Weilhammer et Michel Zendali.

E. La deuxième Chambre du Conseil suisse de la presse traite la plainte lors de sa séance du 14 février 2014 ainsi que par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Se trouvant face à un article très critique ne comportant que des sources anonymes, le Conseil suisse de la presse s’intéresse principalement à une possible violation du chiffre 7 de la «Déclaration», qui demande notamment au journaliste de «s’interdire les accusations anonymes et gratuites».

Le Conseil suisse de la presse observe que l’article dans son ensemble est une suite d’accusations anonymes et gratuites pouvant nuire à la réputation du plaignant. Les qualificatifs de «bonimenteur (…) peu recommandable», de «grand manipulateur» ou encore de «filou sans le sou» ne sont étayés par aucun fait concret, aucun document, ni aucune source identifiée qui les accréditeraient. Quant à l’allégation d’une source anonyme qui renchérit qu’«il est connu à l’Office des poursuites», elle est trompeuse. Comme le précise en effet le plaignant, qui n’est pas contredit par la réponse de «20 minutes en ligne», ses difficultés financières sont consécutives à des problèmes d’ordre privé, qui n’ont rien à voir avec son activité professionnelle.

Pour le Conseil suisse de la presse, le chiffre 7 de la «Déclaration» est donc violé. Le Conseil s’interroge même sur la pertinence de la publication d’un tel article, qui a tous les aspects d’un règlement de compte.

2. Le plaignant dénonce également une éventuelle violation du chiffre 3 de la «Déclaration» ainsi que des directives 3.1 et 3.8 s’y référant.

a) Alors que le chiffre 3 stipule, entres autres, de «ne pas supprimer des informations ou des éléments d’information essentiels; ne dénaturer aucun texte, document, image et son, ni l’opinion d’autrui», le plaignant affirme que toutes les informations qu’il a communiquées au journaliste ont été «supprimées» de l’article. Invoquant en particulier la directive 3.1, qui dit que «la mention de la source est en principe souhaitable dans l’intérêt du public», il affirme que le nom des sources devait apparaître dans l’article, «ce d’autant plus que deux (des personnes qui le critiquent) font l’objet de poursuites pénales et civiles». Le plaignant estime enfin que le journaliste «n’a absolument pas reproduit loyalement et fidèlement» ce qu’il lui a dit, «en particulier tout ce qui plaidait en ma faveur», alors que, selon la directive 3.8 (audition lors de reproches graves), sa position devait être reproduite de manière loyale dans le même récit. «20 minutes en ligne» rétorque que «le libre choix des informations publiées constitue une partie essentielle du travail journalistique et relève de la liberté de l’information» (chiffre 3). «20 minutes en ligne» affirme également que le journaliste était en droit de protéger ses sources (directive 3.1), qu’il a entendu la version des faits du plaignant, qu’il a reproduit sa prise de position et qu’il n’était pas dans l’obligation, en vertu de la directive 3.8, de donner à la partie touchée par des reproches graves la même place, en termes quantitatifs, qu’à la critique la concernant.

b) Le Conseil suisse de la presse confirme que les informations publiées restent du libre choix de la rédaction. Mais cette dernière doit donner à la personne concernée la possibilité de répondre aux reproches graves précis contenus dans le texte. En l’occurrence, la patronne du restaurant déclare avoir «découvert un grand trou financier» et avoir porté plainte. Or même si l’article ne le dit pas clairement, il ressort du contexte que le plaignant serait le responsable de ce trou financier. Ce dernier a affirmé au journal qu’il avait découvert ce «trou» à son arrivée, déclaration qui n’a pas été reproduite. Le site de «20 minutes en ligne» a donc violé le principe de l’«audiatur et altera pars», énoncé au chiffre 3.8 des directives relatives à la «Déclaration». Concernant l’anonymisation des témoignages cités dans l’article, le Conseil n’y voit pas une violation de la directive 3.1.

3. Le plaignant dénonce d’autre part une violation du chiffre 4 de la «Déclaration» et la directive 4.6 qui s’y réfère. Le chiffre 4 impose de «ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations». Selon le plaignant, le journaliste lui a fait croire qu’il avait téléphoné à la banque BCV pour «obtenir une réaction de ma part». Dans sa réplique, le journaliste dément. Le Conseil suisse de la presse n’est pas en mesure de connaître la vérité sur ce point. Le Conseil estime en revanche que le journaliste se devait d’informer son interlocuteur de son «droit d’exiger que les propos prévus pour publication lui soient soumis», comme le stipule la directive 4.6. Certes, dans sa jurisprudence, le Conseil de la presse a souvent précisé qu’il n’était pas nécessaire de faire cette démarche avec des personnes habituées des médias, mais cela ne s’applique pas au cas d’espèce, le plaignant ne pouvant pas être considéré comme coutumier des médias. Il y a donc violation du chiffre 4 de la «Déclaration».

4. La plainte dénonce encore une violation du chiffre 5 de la «Déclaration» sur le devoir de rectifier toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte, ainsi que de la directive 5.1, qui veut que ce devoir de rectification soit mis en œuvre spontanément par le/la
journaliste. Le plaignant souligne avoir fourni quatre documents à la rédaction de «20 minutes» pour lui permettre de publier une rectification. Le quotidien répond que la rectification ne concerne que les inexactitudes matérielles, et que le plaignant ne lui a pas dit quelles étaient les informations factuelles publiées qui auraient mérité d’être corrigées. Le Conseil suisse de la presse ne trouve pas dans l’article incriminé d’informations «matérielles» qui pourraient être démenties par les documents fournis.

5. Le plaignant dénonce de plus un harcèlement téléphonique qui violerait la directive 7.1 disant que le «harcèlement des personnes dans leur sphère privée (intrusion dans un domicile, filature, surveillance, harcèlement téléphonique, etc.) est à proscrire». Pour le Conseil de la presse, le fait de téléphoner deux fois à une personne pour obtenir son point de vue sur une affaire ne peut être assimilé à du harcèlement, même si, comme l’affirme le plaignant, le ton était «agressif et vindicatif». De même, le Conseil ne constate pas de violation de la directive 7.2 (identification). La citation du plaignant «Je fais du copilotage pour aider les chefs d’entreprise à trouver les bonnes solutions» ne permet aucunement d’identifier le coach d’entreprise, même si sa société se nomme «Copilote – Conseils et organisation».

6. La directive 8.1 sur le respect de la dignité humaine est aussi invoquée par le plaignant. Cette directive précise que le respect doit être observé aussi bien envers les personnes directement concernées ou touchées par l’information qu’envers le public dans son ensemble. Elle ne s’applique toutefois que dans le contexte de discriminations touchant à l’appartenance ethnique ou nationale d’une pers
onne, à sa religion, à son sexe ou à l’orientation de ses mœurs sexuelles, ainsi qu’à toute maladie ou handicap d’ordre physique ou mental, qui aurait un caractère discriminatoire, comme le souligne le chiffre 8 de la «Déclaration». Dans ce contexte, cette directive est totalement hors propos.

7. Le plaignant mentionne enfin le chiffre 9 de la «Déclaration» (N’accepter aucun avantage, ni aucune promesse qui pourraient limiter son indépendance professionnelle ou l’expression de sa propre opinion) en invoquant que le journaliste aurait reçu des «faveurs» de la patronne du bistrot et le chiffre 11 (N’accepter de directives journalistiques que des seuls responsables désignés de sa rédaction, et pour autant que ces directives ne soient pas contraires à la présente Déclaration). Dans sa plainte, il n’étaye cependant absolument pas ses affirmations. Le Conseil de la presse n’est en possession d’aucun élément concret qui pourrait confirmer pareilles violations.


III. Conclusions

1. La plainte est acceptée dans ses points essentiels.

2. L’article de «20 minutes en ligne» intitulé «Ce coach en entreprise est un filou sans le sou» a violé le chiffre 7 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» en multipliant les accusations anonymes et gratuites.

3. L’article a violé le chiffre 3 de la «Déclaration» concernant l’audition lors de reproches graves.

4. L’article a violé le chiffre 4 n’ayant pas informé le plaignant peu coutumier des médias sur son droit d’exiger que les propos prévus pour publication lui soient soumis avant publication.

5. Pour le reste, la plainte est rejetée.