Nr. 2/1993
Sphère privée des personnages publics

('24 Heures'/Joseph Zisyadis), du 6 septembre 1993

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Stellungnahme

Privatsphäre von Personen des öffentlichen Lebens;

Die Privatsphäre von Personen des öffentlichen Lebens ist grundsätzlich geschützt, soweit ihre Funktion in der Öffentlichkeit nicht unmittelbar betroffen ist.

Der Presserat bejaht ein Interesse der Öffentlichkeit, zu erfahren, aus welchen Gründen eine Politikerin zurückgetreten ist. Dies im zu beurteilenden Fall selbst dann, wenn nicht nur die Privat- sondern gar die Intimsphäre betroffen ist, da es anders nicht möglich war, die Umstände des Rücktrittes genügend zu erhellen.

Prise de position

Sphère privée des personnages publics

La sphère privée des hommes publics est protégée, pour autant que leur fonction publique n’en soit pas affectée.

Le Conseil de la presse reconnaît qu’il peut être d’intérêt public de connaître les raisons pour lesquelles une femme politique est amenée à donner sa démission. Ceci même dans le cas où l’on touche non seulement à la sphère privée, mais à la sphère intime, seule susceptible d’éclairer les raisons de la démission.

Presa di posizione

La sfera privata delle persone pubbliche

La sfera privata delle persone che svolgono un’attività pubblica è fondamentalmente protetta, a meno che ne risulti coinvolta direttamente la pubblica funzione.

Il Consiglio della stampa riconosce che la pubblica opinione ha il diritto di sapere per quale motivo un politico abbia dato le dimissioni. Ciò, nel caso specifico, anche se la spiegazione tocca non solo la sfera privata ma addirittura la sfera intima del dimissionario; chiarire in altro modo la ragione delle dimissioni non sarebbe infatti stato possibile.

I. En Fait

A. Le 4 février 1992, sous la signature de Françoise Cottet, un article intitulé „Vie publique et moeurs privées“ paraît dans les colonnes de „24 Heures“. Son objet: la démission subite de l’élue popiste Martine Auderset du Conseil communal de Lausanne et de son parti. Martine Auderset explique cette double démission, non en raison de divergences politiques ou doctrinales, mais pour des motifs d’ordre personnel: „Parce que“, explique-t-elle, „je ne peux continuer à côtoyer les membres du parti, alors que j’ai demandé à mon avocat d’introduire une recherche en paternité contre le secrétaire cantonal ( Josef Zisyadis, député et conseiller national). De plus, je démissionne, car je trouve malhonnête qu’une formation qui se dit pour une meilleure justice sociale ait à sa tête un homme qui agit de cette façon“. Mme Martine Auderset précise en effet que, seule avec son fils né le 19 septembre 1991, elle se trouve dans une situation pécuniaire difficile, et s’est vue contrainte de demander un congé parental de cinq mois. Elle précise que, séparée de son ami depuis juillet 1990, elle a néanmoins effectué avec lui un voyage en décembre de la même année.

B. Interrogé avant publication de l’article par notre consoeur, Josef Zisyadis se dit stupéfait par ces déclarations, d’autant qu’il n’a pas été contacté pendant tout ce temps, précise-t-il, par Martine Auderset.

C. En date du 13 février 1992, un avocat de Vevey, Me Chiffelle se plaint, à titre personnel, de cet article auprès du président du Conseil d’ordre professionnel de l’Association vaudoise des journalistes (AVJ), présidé par Me Willy Heim. Aux yeux de l’avocat, la journaliste a violé l’chiffre 7 de la Déclaration des Devoirs et des Droits du journaliste. On est d’autant plus choqué, indique l’avocat, que la journaliste s’autorise à s’immiscer de manière aussi grave dans la sphère privée de ce politicien qu’aucune action judiciaire n’a même été entamée.

D. Le 12 mars 1992, Françoise Cottet, interpellée par le Conseil d’ordre, lui adresse les lignes qui suivent: „Je rappelle que Josef Zisyadis occupe trois fonctions officielles: président du Parti ouvrier populaire vaudois, conseiller national et député au Grand Conseil, ces deux derniers mandats ayant été obtenus par une élection populaire“.

E. La conseillère communale Martine Auderset, à l’occasion de sa démission du POP, ayant motivé sa décision en portant des accusations précises concernant Josef Zisyadis, Françoise Cottet en déduit que l’intérêt public n’est pas contestable et que „24 Heures“ n’a fait aucune exploitation tapageuse des informations publiées.

F. Le 4 mai 1992, se réunit le Conseil d’ordre de l’AVJ, le Conseil entend Josef Zisyadis et Françoise Cottet, sans parvenir à obtenir la conciliation.

G. Josef Zisyadis explique que l’avocat a déposé spontanément sa plainte, et qu’il l’endosse à son tour. L’article, ajoute-t-il, lui a causé un important préjudice, car il a deux enfants d’un premier lit. Il est remarié depuis peu. L’article de Françoise Cottet a bouleversé sa vie familiale, et sa femme en aurait fait une dépression.

H. Françoise Cottet, en redisant les faits, précise que devant la surprise de Josef Zisyadis, elle a renoncé à publier la photo du député popiste. Elle indique également qu’elle a soumis l’article au rédacteur en chef de „24 Heures“, Fabien Dunand, dont elle a reçu l’aval.

J. Le Conseil d’ordre conclut, sur la base du dossier et des dépositions des intéressés, que Françoise Cottet et son rédacteur en chef ont violé l’chiffre 7 de la Déclaration des Devoirs et des Droits du journaliste, la première en rédigeant l’article, le second en autorisant la publication.

K. Il fonde son appréciation sur les motifs suivants:

1. Josef Zisyadis n’a pas été publiquement mis en cause avant la parution de l’article incriminé. L’intérêt public n’exigeait donc nullement la révélation des faits concernant à l’évidence la seule vie privée de l’homme politique;

2. si les faits ainsi révélés ne portent pas atteinte à l’honneur de l’intéressé, leur révélation dans la presse était néanmoins de nature à lui nuire, en affectant, notamment, ses enfants et sa jeune femme, ce qui paraît avoir été effectivement le cas.

L. Le 3 juillet 1992, M. Fabien Dunand s’adresse au Conseil de la presse de la FSJ pour lui demander de réexaminer le cas, à la fois sur la forme et au fond: il déplore en effet que le Conseil d’ordre de l’AVJ n’ait pas jugé utile de l’entendre en tant que rédacteur en chef responsable. Il estime en outre que son journal n’a pas dérogé aux règles déontologiques reconnues par la profession.

M. Au cours de sa séance plénière du 11 septembre 1992, le Conseil de la presse de la FSJ décide de mandater un groupe ad hoc pour examiner la requête de Fabien Dunand. Ce groupe est composé de Martin Edlin, François Gross et Antoine Bosshard.

N. Le 17 décembre, le responsable du groupe ad hoc, Antoine Bosshard, s’adresse à Me Willy Heim pour lui demander, au préalable, les raisons pour lesquelles le Conseil d’ordre de l’AVJ, qu’il préside, n’a pas entendu le rédacteur en chef de „24 Heures“.

O. Le 22 décembre, Me Heim l'“informe que Françoise Cottet ayant affirmé avoir pris l’avis de son rédacteur en chef avant de publier l’article incriminé, et vu que tout écrit paru dans un journal engage la responsabilité de son rédacteur en chef, du moins s’il ne le condamne pas après coup, il a jugé inutile de l’interpeller avant de prendre une décision qui constitue d’ailleurs moins une sanction qu’une interprétation des Droits et Devoirs du journaliste“.

P. Le 8 janvier, Antoine Bosshard informe de l’examen de la plainte MM. Fabien Dunand (qui a quitté son journal entretemps) et Josef Zisyadis. Il leur offre de s’expliquer.

Q. A ce jour, seul Fabien Dunand donne suite à cette invitation. Dans l’exposé de ses motifs, l’ex-rédacteur en chef de „24 Heures“, sur la forme, réitère sa surprise de n’avoir pas été en
tendu par le Conseil d’ordre, et que cette violation le surprend d’autant plus que Me Heim, ancien magistrat, ne saurait plaider l’ignorance sur le sujet.

Au fond, il note les points suivants:

1. interpellé au sujet des accusations de son ex-amie, Josef Zisyadis „se dit surpris mais n’exclut rien“;

2. l’article expose „avec un souci d’objectivité qu’il est juste de relever“ – selon les termes mêmes du Conseil d’ordre – la version des uns et des autres;

3. ni la démission d’une personne détenant un mandat public, ni les motifs de son geste ne relèvent de la sphère privée.

4. „24 Heures“ ne s’est pas fait l’écho d’une méchante rumeur. C’est Martine Auderset qui explique elle-même les raisons pour lesquelles elle abandonnait son mandat politique;

5. si les motifs invoqués par Martine Auderset relèvent d’une certaine intimité avec Josef Zisyadis, elle met clairement en cause le sens des responsabilités d’un homme qui exerce une charge publique. Fallait-il ignorer ces motifs, dès lors qu’ils ne paraissaient pas manifestement infondés, ou en inventer d’autres?

M. Dunand souligne enfin la sobriété du traitement de cet article par „24 Heures“: ni affichette, ni accrochage en première page, ni photo de Josef Zisyadis dans l’article.

II. Considérants

1. Le Conseil de la presse, réuni le 12 février 1993 à Fribourg relève que ce cas est parfaitement illustratif du conflit, de plus en plus fréquent, entre deux exigences également légitimes: la liberté de presse et le droit à la protection de la sphère privée; cette dernière fait l’objet, dans la législation de notre pays, de mesures particulières: le droit de réponse est le plus récent.

2. En invoquant l’chiffre 7 de la Déclaration des Devoirs, l’avocat de Josef Zisyadis pose bien le problème. Il est effectivement du devoir du journaliste de „respecter la vie privée des personnes, pour autant que l’intérêt public n’exige pas le contraire…“. Me Chiffelle, c’est de bonne guerre, omet toutefois de citer le point a) de la Déclaration des Droits, qui indique bien clairement que „le secret des affaires publiques ou privées ne peut lui être opposé que par exception, dûment motivée de cas en cas“.

3. Répondre à la question posée ici, c’est se demander s’il était d’intérêt public que les lecteurs de „24 Heures“ aient connaissance des raisons précises pour lesquelles une conseillère communale quittait brusquement et son parti et son mandat.

4. La réponse est d’autant plus délicate qu’il s’agit ici non seulement de la sphère privée de Josef Zisyadis mais de sa sphère intime. C’est-à-dire du niveau par principe inviolable de la vie de chacun.

5. On relèvera en premier lieu que la personne interviewée et le député mis en cause sont des personnages publics. C’est dire que leur vie privée demeure privée pour autant que ses effets le restent. Pour prendre un exemple quelque peu comparable, le cancer de la prostate dont souffre François Mitterrand appartient bien à la vie privée du président français. Mais un homme d’Etat (ou un représentant du peuple) ne s’appartenant pas entièrement à lui-même, il peut être appelé à rendre compte de tel ou tel aspect de sa vie privée en tant qu’elle affecte la vie publique. Cette sensibilité-là, évidente dans les pays anglo-saxons, gagne les esprits dans les pays latins: il y a une génération, un de Gaulle ou un Pompidou étaient restés des plus discrets sur leur état de santé: ce ne serait plus admis aujourd’hui.

6. Fallait-il cependant aller plus loin, dans le cas Josef Zisyadis/Martine Auderset, qu’une explication générale (du type „pour des motifs relevant de leurs relations personnelles (ou amoureuses)“), sans autre précision?

7. Exceptionnellement ici, la réponse est positive. S’il est parfaitement contraire aux règles professionnelles des journalistes de faire irruption dans la sphère intime des hommes et des femmes dont ils sont amenés à parler, on peut considérer dans le cas présent seule cette explication – gênante il est vrai – est de nature à éclairer les raisons d’une démission aussi abrupte. Elle intervient en pleine législature, de la part d’une conseillère municipale appartenant à un parti dont la faiblesse numérique est connue et qui, de ce fait, a de la peine à recruter des hommes et des femmes éligibles sur ses listes.

8. Les membres du Conseil d’ordre de la presse vaudoise ont reproché à Françoise Cottet d’avoir, par ses questions, „amené Martine Auderset à révéler ses griefs“. On répondra toutefois que le messager de mauvaises nouvelles – contrairement à la pratique antique – n’est pas automatiquement responsable des nouvelles dont il est chargé. Il nous semble tout au contraire que c’est la conseillère communale démissionnaire qui n’a pas hésité à user de la tribune qui lui était offerte à des fins personnelles. La journaliste, elle, s’est bornée à lui poser une question parfaitement légitime: „Pourquoi quittez-vous le parti et votre mandat?“ Dans ces conditions, il est difficile de la rendre responsable d’emblée des propos tenus par son interlocutrice.

III. Conclusions

Pour ces motifs le Conseil de la presse constate que:

1. Le Conseil de la presse n’est pas une instance de recours ou de cassation à laquelle seraient subordonnés les organes d’éthique existant dans certaines sections de la Fédération. Ces organes se prononcent librement, dans le cadre de leur juridiction. 2. De son côté, le Conseil de la presse décide librement d’apprécier, conformément à son mandat les questions d’éthique qui lui sont adressées ou dont il se saisit de son propre chef. Il prend en compte, lorsqu’il a été formulé, le point de vue de l’organe d’éthique régional ou cantonal. Mais sa décision relève uniquement du mandat qui lui a été confié par la FSJ.

3. Dans le cas évoqué ci-dessus, le Conseil de la presse n’est pas insensible au fait que le rédacteur en chef de „24 Heures“ n’ait pas été entendu par le Conseil d’ordre de la section vaudoise. Il paraît pour le moins curieux que le rédacteur responsable du contenu rédactionnel de son journal n’ait pas eu l’occasion de s’exprimer, contrairement à ce qu’avance le président de ce même Conseil d’ordre. 4. En conséquence, le Conseil de la presse considère que la journaliste, Françoise Cottet, n’a pas violé la Déclaration des Devoirs et des Droits. En interrogeant une élue sur les raisons de sa démission, elle répond aux questions que peuvent se poser légitimement les lecteurs. Certes, les explications avancées par Martine Auderset touchent à la sphère intime de l’homme qu’elle met en cause, politicien comme elle, et ce dévoilement ne saurait être admis que par exception dans les colonnes d’un journal.

5. Les précautions prises par Françoise Cottet – contact immédiat avec la personne incriminée, demande renouvelée à Martine Auderset sur l’opportunité d’une publication, sobriété de la présentation – attestent du sérieux qui entoure l’article contesté.