Nr. 29/2011
Rectification, droit de réponse, anonymat a posteriori dans les médias en ligne et les archives digitalisées

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I. En fait

A. En traitant de la prise de position 26/2010, la 3ème Chambre du Conseil de la presse s’est penchée sur les conséquences indésirables de la diffusion digitale d’informations. Un plaignant contestait la publication d’un titre réducteur du «Tages-Anzeiger Online». La rédaction a immédiatement donné suite à la requête. Néanmoins, pendant quelque temps encore la manchette est restée accessible sur internet dans sa forme initiale. La personne mise en cause s’en est plainte auprès du Conseil de la presse. Pour la 3ème Chambre, la question se posait de savoir ce qui pouvait être exigé d’une rédaction sur le plan déontologique dans de tels cas, et ce qui était techniquement faisable. A quelles exigences doivent répondre les liens à établir entre rectification/droit de réponse et le texte original ? Et le cas échéant, sous quelles conditions peut-on attendre d’une rédaction qu’elle rende anonyme (après coup) un compte rendu. La 3ème Chambre a décidé de soumettre ces questions à l’assemblée plénière.

B. Lors de sa séance du 1er septembre 2010, le plenum du Conseil de la presse, se fondant sur l’article 6, alinéa 2 de son règlement, a chargé la 3ème Chambre d’élaborer une prise de position de principe sur ces questions.

C. Le 17 novembre 2010 la 3ème Chambre a auditionné Simon Canonica (Service juridique Tamedia), Nathalie Glaus (Etude d’avocat Glaus et partenaires), Andreas Thut (NZZ Online), ainsi que Hansi Voigt (rédacteur en chef «20 minutes Online») en qualité d’experts. En outre, le 11 février 2011, des membres de la Chambre ont eu un entretien avec Daniel Schönberger (chef de la division juridique de Google Suisse) et un autre avec Jürg Mumprecht (responsable de la Schweizerische Mediendatenbank – SMD).

Selon les experts entendus, les requêtes demandant des modifications dans les archives ne sont pas très fréquentes (environ 10 droits de réponse et cent rectificatifs annuellement chez Tamedia, 4 ou 5 demandes de modifications chaque mois chez SMD). La tendance serait cependant à la hausse. S’agissant d’erreurs de contenu manifestes, on réagit vite et sans complications. On corrige ses propres articles sur Internet et on charge les banques de données de procéder aux modifications.

Simon Canonica (Tamedia) déclare que, dans la règle, la décision de corriger ou d’effacer ne dépend pas de la faisabilité technique, mais du fondement juridique de la demande. Il n’y a pas de règle interne de caractère général à cet égard chez Tamedia. Les requêtes de modifications sont traitées différemment selon les rédactions. Sur le plan technique, les corrections ne sont pas très onéreuses. Dans la plupart des cas, il s’agit de rétablir l’anonymat et de faire en sorte que l’article n’apparaisse plus lors de la recherche du nom. En intervenant rapidement lors de demandes de modifications justifiées, on agit dans l’intérêt de Tamedia, puisque cela peut éviter une plainte.

SMD et Google, selon leurs indications, n’acceptent des requêtes de modification que si elles émanent de l’auteur, donc des médias, ou si elles ont été ordonnées par la justice. On procède alors au changement en l’espace de quelques jours. Si des rédactions changent des articles sur la toile, la nouvelle version est reprise et au bout de peu de temps l’ancienne ne peut plus être trouvée via Google, déclare Daniel Schönberger. La célérité avec laquelle le cache de Google est effacé dépend de la fréquence à laquelle le «webcrawler» de Google passe sur le site. Concernant les pages d’actualité, consultées plusieurs fois par jour, le texte ancien est retranscrit après un jour au plus tard. Dans les pages plus statiques, cela peut prendre deux à trois semaines. Le propriétaire du site peut accélérer la procédure et demander à Google d’effacer le texte en question en passant par l’outil mis à disposition du webmaster par Google.

Autre point de vue chez Jürg Mumprecht (SMD). Modifier après coup un pdf ne pose pas de problème technique. Mais selon le logiciel utilisé, il est possible avec un peu d’habileté technique de reconstruire la version originale. Le document pdf est un document historique, comme un journal dans les archives papier. De ce fait, on ne change par principe que le textfile et non le document pdf du même article. On garantit ainsi que la version originale sera toujours accessible, munie d’une note mentionnant la modification intervenue. Le document pdf n’est pas accessible par la recherche. Les articles de SMD étant protégés par un mot de passe, ils ne sont pas repris par Google.

Que la version initiale des articles reste accessible sur d’autres pages de l’Internet ne pose pas de problème dans la pratique, selon Simon Canonica. Ceux qui exploitent la page, une fois avertis d’une correction, adaptent sans autre l’article.

Selon Andreas Thut (NZZ) les droits de réponse font l’objet d’un encadré à côté du texte courant. En règle générale, les corrections ne sont pas signalées expressément car les textes en ligne sont de toute façon réactualisés en permanence. En plus des modifications sur Internet, les banques de données médiatiques sont avisées. Selon Simon Canonica, Tamedia procède de manière analogue. Jürg Mumprecht est d’avis que pour SMD il n’y a pas d’obstacle technique à relier les droits de réponse et autres rectificatifs à l’article original. Suivant leur intitulé il n’est pas toujours possible de reconnaître les corrections directes comme telles. C’est pourquoi SMD dépend des informations fournies par les entreprises médiatiques. Une réactualisation permanente de SMD ne permet cependant en rien de garantir que les journalistes se fonderont sur des informations correctes dans leurs recherches. Les journalistes s’informent en effet aussi auprès d’autres banques de données comme Factiva (Reuters), Genios et APA, ainsi que Argus et Pressemonitoring.

Glaus & partenaires déconseillent souvent à leurs clients d’exiger un droit de réponse et/ou une rectification, déclare Nathalie Glaus, car il s’ensuit une nouvelle publication sur le sujet avec mention du nom. Une bonne variante consiste à ne demander une mise au point que pour les archives et l’Internet. Si, dans les banques de données, les liens entre articles d’origine et droit de réponse/rectifications étaient toujours garantis, les radiations ne s’imposeraient plus, affirme Mme Glaus. Il importe avant tout que les modifications soient immédiatement effectuées, car de fausses informations peuvent se répandre très rapidement sur la toile.

S’agissant d’articles actuels, Tamedia prête main, selon Simon Canonica, à un retour à l’anonymat lorsque la demande semble légitime. En revanche, pour les articles archivés, Tamedia n’accepte pas de requête d’anonymisation a posteriori et/ou de rectification. En fait, de telles demandes seraient très rares. Andreas Thut n’en connaît aucune.

D. A fin 2010, pour la première fois un tribunal suisse, le Tribunal de district Lucerne-Campagne, se fondant sur la loi de protection des données, a contraint SMD à munir un article paru en 2008 d’une mention postérieure. Plusieurs médias avaient alors écrit correctement qu’une procédure pénale guettait une personne bien connue. Une expertise ayant libéré cette personnalité de toute charge, le procureur a renoncé à entamer une procédure. Or cela, seul un journal local l’a écrit. Comme l’abandon de la procédure n’apparaissait pas chez SMD, la personne concernée a déposé plainte avec succès, demandant que les archives soient obligées de compléter le texte initial par une note appropriée. Le tribunal estimait que les informations de SMD étaient certes exactes au moment de leur parution mais qu’aujourd’hui elles ne l’étaient plus («exactitude dans le temps»). L’ajout de cette note ne charge pas la SMD de façon «excessive». Le tribunal ordonna et libella le complément en deux phrases.

E. La 3ème Chambre – composée d’Esther Diener-Morscher, présidente, ainsi que de Claudia Landolt Starck, Jan Grüebler, Peter Liatowitsch, Markus Locher, Daniel Suter et Max Trossmann – a discuté du projet de prise de position dans sa séance du 16 mars 2011 ainsi que par voie de correspondance.

F. Le Conseil de la presse a approuvé la prise de position en séance plénière en date du 11 mai 2011.

II. Considérants

1. a) Conformément à l’article 1 alinéa 4 de son règlement, «la compétence du Conseil suisse de la presse s’étend à la partie rédactionnelle ou aux questions d’éthique professionnelle qui s’y rattachent de tous les médias publics, périodiques et/ou liés à l’actualité».

b) Dans sa prise de position 36/2000 le Conseil de la presse s’est exprimé sur sa compétence de traiter de contenus diffusés par Internet. Il se dit compétent dans la mesure où les contenus publiés ont fait l’objet d’un processus de production journalistique:

«Des portails, des moteurs de recherche et les pages du web des entreprises aussi font du quasi-journalisme, sans s’en tenir aux caractéristiques et règles définissant le journalisme. C’est pourquoi sont appelés journalisme on line les contenus qui ont été triés et traités selon les critères professionnels du journalisme afin d’être portés à la connaissance du public: pages web de médias off line (journaux, revues, agences d’informations, stations de radio et TV, etc.), qui se manifestent aussi on line, des offres journalistiques on line spéciales (magazines, journaux, agences on line), bureaux de médias on line et les contenus publiés sur ces sites du web.»

Dans la mesure où les usagers d’outils de recherche comme Google et de banques de données comme SMD ne produisent pas leurs propres contenus journalistiques, mais ne font que les mettre en valeur et les rendre accessibles, il n’appartient pas au Conseil de la presse de juger leur comportement.

c) Dans sa prise de position 38/2003, le Conseil de la presse refusait d’entrer en matière sur une plainte concernant un article de «L’Impartial» publié à la fin de l’an 2000 et concernant un procès en escroquerie. L’une des personnes impliquées avait saisi le Conseil de la presse après deux années et demie au motif que son nom aurait été cité à tort dans l’article. Il justifiait sa demande tardive en constatant qu’en cherchant dans les archives on line du journal sous son nom on continuait à trouver cet article. Le Conseil de la presse justifiait sa décision par l’écoulement du délai de réclamation et en relevant qu’il aurait été loisible au plaignant de faire sa requête en temps utile. De toute manière, le Conseil de la presse, au contraire d’un tribunal civil, n’est pas habilité à ordonner que soit rétabli un anonymat après coup ou que soit rectifié un article. Ce point de vue a été confirmé récemment par le Conseil de la presse dans la prise de position 13/2011.

d) L’archivage de comptes rendus médiatiques publiés – papier ou digital – ne concerne qu’indirectement l’activité journalistique – rechercher, rédiger et publier. Les archives des médias constituent certes une aide indispensable pour l’enquête journalistique, mais cela ne suffit pas à faire des archivistes des journalistes. Les normes de la déontologie de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la jourrnaliste» ne parlent pas de l’archivage de récits médiatiques et la pratique du Conseil de la presse de ne pas entrer en matière sur des plaintes concernant des articles archivés alors que s’est écoulé le délai de plainte de six mois après la publication (article 10, alinéa 1 du règlement) paraît donc cohérente à cet égard.

e) En dépit de ces réserves, le Conseil de la presse ne peut simplement ignorer les effets que la conversion des archives du papier vers le digital exercent sur la protection de la personnalité et en particulier sur le «droit à l’oubli». En vertu du préambule de la «Déclaration», les journalistes devraient toujours rester conscients des conséquences qu’entraîne leur activité pour la société. La responsabilité journalistique s’étend dès lors aussi aux effets indésirables de la digitalisation des archives des médias. Certes, de l’avis des experts, les demandes de modifier après coup des articles archivés n’affluent guère en encore en nombre dans les rédactions, mais elles augmentent depuis peu. Comme une première décision judiciaire vient de tomber, il semble indiqué que le Conseil de la presse, en tant qu’organe d’autocontrôle des médias, cherche à trouver des réponses de principe et à définir quelles conséquences déontologiques découlent de la digitalisation des archives des médias. Afin que ces considérations ne restent pas sans suite, le Conseil de la presse a décidé en plénum de déroger, dans des cas d’exception justifiés, au délai requis de six mois après parution pour déposer une plainte. Cela lorsque le plaignant fait valoir qu’un article doit exceptionnellement être revêtu de l’anonymat a posteriori ou être actualisé, et pour autant qu’il se soit d’abord adressé par une demande étayée au média concerné. Un délai de six mois après le refus de cette demande ne devra pas être dépassé.

2. Le passage des archives papier aux archives digitalisées permet notamment un accès beaucoup plus simple et plus rapide que par le passé pour enquêter. Il s’ensuit que des informations provenant d’articles déjà anciens sont aisément portés une nouvelle fois à la connaissance du public, et souvent sans réexamen. Pour les journalistes, cela signifie qu’il leur incombe lors de leurs recherches d’examiner leurs sources d’un œil critique et de faire confirmer les informations de divers côtés. Tout cela pour prévenir de recycler sans vérification de fausses informations. Cette responsabilité ne peut incomber aux archivistes.

Quant aux articles archivés, la question suivante se pose d’un point de vue déontologique: comment s’assurer que des journalistes effectuant leurs recherches puissent aussi prendre connaissance des modifications ou des droits de réponse accompagnant le cas échéant un article? Et qu’en est-il, concernant les archives digitales, du «droit à l’oubli» et d’une volonté de réactualiser après coup? Quelles sont les obligations déontologiques faites aux journalistes, aux rédactions et aux archives électroniques gérées à leur demande?

Déontologiquement, ces questions relèvent d’abord des chiffres 5 (rectification) et 7 (protection de la personnalité) de la «Déclaration». La rectification est traitée ci-dessous en même temps que le droit de réponse au chiffre 3 des considérants. Par analogie, la rectification a posteriori des archives tombe également sous l’obligation de rectifier (considérant 4). La protection de la personnalité est concernée par l’identification et l’anonymat (directive 7.2 relative à la «Déclaration»; considérant 5) ainsi que le «droit à l’oubli» (directive 7.5 de la «Déclaration»; considérant 6).

3. a) Le chiffre 5 de la «Déclaration» impose aux journalistes le devoir de «rectifier toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte». Conformément à la directive 5.1 relative à la «Déclaration» les journalistes assument spontanément cette obligation de rectifier. Cette rectification n’est pas liée à une forme déterminée (prise de position 50/2008). Néanmoins le Conseil de la presse a souligné dans la prise de position 38/2010 que la rédaction devait dans sa mise au point faire apparaître clairement aux lecteurs qu’une publication antérieure contenait de fausses affirmations de faits.

b) Dans les articles d’actualité des médias on line, il suffit, aux yeux du Conseil de la presse, d’observer les principes élaborés pour les médias traditionnels. S’agissant de rectifications importantes, dépassant la seule correction d’imprécisions ou de faits sans signification pour la compréhension du public, les rédactions devraient de préférence joindre une mention complémentaire et non seulement réécrire la version précédente. En effet, l’utilisateur ne perçoit pas une correction comme telle en fonction de la seule date de la dernière actualisation.

c) Pour l’information du public, aussi bien qu’en vue de quêtes journalistiques ultérieures, il est indispensable de lier rectifications et droits de réponse aux articles d’origine, comme le Conseil de la presse l’exigeait déjà dans la prise de position 46/2001. Aux dires des experts entendus, l’établissement de tels liens est tout à fait possible techniquement. Ce sont bien plus la conscience du problème de la part de la rédaction et son professionnalisme qui sont décisifs pour une application conséquente. A l’ère de l’Internet et des archives électroniques, pour être complètement respecté, le devoir de rectification exige impérativement que SMD et d’autres archives couramment alimentées soient dûment avisés des correctifs et droits de réponse ainsi que de l’exigence d’établir un lien avec l’article d’origine.

4. a) Des informations correctes au moment de la parution d’un article peuvent le cas échéant ne plus être exactes ou du moins incomplètes aujourd’hui. Faut-il dès lors exiger que les articles accessibles en ligne dans les archives soient réactualisés en permanence? Si le contenu de l’article était correct au moment de sa parution, cela ne s’impose pas la plupart du temps. Les archives ont une fonction importante non seulement pour les journalistes. Modifier des archives signifie falsifier des informations historiques. Même s’ils ne sont pas (plus) exacts, des textes archivés doivent pouvoir être consultés dans leur forme première. Autre condition préalable, les textes des archives doivent toujours porter une date afin que les profanes aussi sachent qu’ils ne sont plus d’actualité. Les journalistes qui lors de leurs recherches s’appuient sur des articles d’archives devraient dans chaque cas examiner si une information jadis correcte l’est encore aujourd’hui sans modification, ou si elle doit être réactualisée avant d’être publiée.

b) S’agissant de cas particulièrement motivés et choquants, il est exceptionnellement souhaitable d’adjoindre à l’article une note complémentaire. Une telle requête parvient-elle à une rédaction que la directive 7.6 relative à la «Déclaration» s’offre – en plus du principe de la proportionnalité – comme norme: elle dit que si on a rendu compte d’une procédure pénale ou d’une enquête en cours, il convient d’y revenir de manière appropriée au moment où l’affaire se termine sans procès, par un non-lieu ou par un acquittement. Par analogie, il paraît à titre exceptionnel justifié de compléter un article archivé par une mention la réactualisant, pour autant que les faits correspondent à l’un des cas figurant dans la ligne directrice 7.6 ou que la personnalité du demandeur apparaît comme avoir été lésée d’autre manière. En outre, la personne touchée doit rendre vraisemblable que sa réputation sociale ou son avenir économique souffrirait de façon injustifiée d’une absence de réactualisation. En aucun cas cependant, le fait de réactualiser exceptionnellement un article archivé n’autorise le requérant à faire réécrire après coup l’article à son goût. A l’instar d’une rectification, enfin, le complément postérieur d’un récit médiatique archivé ne doit pas être inclus dans le texte initial, mais bien faire l’objet d’une note à part.

Pour revenir au cass figurant à la lettre D de l’exposé des faits, et qui est à la base du jugement du Tribunal de district de Lucerne-Campagne, les articles disant qu’une personnalité bien connue du public se trouvait dans «le viseur de la justice» étaient corrects. La plupart des médias ont par la suite omis de rapporter que finalement aucune procédure pénale n’avait été ouverte. Conformément à l’esprit de la directive 7.6, les rédactions devraient se déclarer prêtes, dans des cas similaires, à munir les articles concernés d’une mention semblable à celle que le tribunal a ordonnée.

5. Comme pour la rectification et le droit de réponse, il suffit de revenir aux règles en vigueur, notamment à la directive 7.2 – Identification, pour répondre à la question de savoir s’il convient de rendre anonyme (après coup) un texte d’actualité publié en ligne. Ainsi que l’a déclaré Simon Canonica lors de l’audition, les médias en ligne ont la possibilité – contrairement aux médias imprimés usuels – de corriger un article après parution dès qu’il appert peu que la révélation d’une identité était inadéquate, comme ils peuvent le faire pour corriger une erreur. Pour heureuse que soit cette possibilité, elle ne dispense pas les rédactions de vérifier avant toute publication d’un article si la mention du nom ou une identification se justifient.

6. a) A fait l’objet d’un débat très controversé la question de savoir si en référence au «droit à l’oubli», et le cas échéant à quelles conditions, les rédactions devaient faire en sorte que soit rendu anonyme après coup un article archivé qui dévoilait une identité alors que cela n’est plus justifié aujourd’hui.

b) Dans sa prise de position 22/2008, le Conseil de la presse avait abordé pour la première fois le «droit à l’oubli», qui fait partie de la protection de la personnalité. Il s’agit de ne pas „réchauffer“ dans les médias, longtemps après qu’elle ait été exécutée, une sanction judiciaire ou administrative ou toute information comparable, mais de laisser reposer le passé afin de faciliter la réintégration sociale. La radiation d’une condamnation du casier judiciaire vise le même but. La directive 7.5 liée à la «Déclaration» le dit ainsi: «Les personnes condamnées ont un droit à l’oubli. Cela est d’autant plus vrai en cas de non-lieu ou d’acquittement. Le
droit à l’oubli n’est toutefois pas absolu. Tout en respectant le principe de la proportionnalité, les journalistes peuvent relater des procédures antérieures si un intérêt public prépondérant le justifie. Par exemple s’il y a un rapport entre le comportement passé et l’activité présente.»

Jusqu’à présent, les discussions sur le «droit à l’oubli» au Conseil de la presse roulaient sur les circonstances pouvant justifier que les médias reparlent d’une condamnation remontant à une époque lointaine. En revanche, les archives digitalisées ne diffusent pas activement les informations qu’elles contiennent, mais les rendent simplement accessibles. Pour y accéder, il faut une recherche active – à l’ère de l’Internet et des moteurs de recherche, c’est toutefois devenu chose facile. Le «droit à l’oubli» n’est-il requis qu’au moment où des journalistes reviennent dans un nouvel article sur un jugement antérieur, ou les rédactions devraient-elles en plus, en rendant anonymes les articles contenus dans les archives électroniques gérées ou alimentées par eux-mêmes, empêcher que soit accessible en quelques clics de souris un compte rendu déjà ancien révélant une identité et concernant une condamnation pénale ou une information de nature comparable?

c) La réponse est en l’occurrence liée à une autre question: les limites que trace la société entre le privé et l’espace public doivent-elles être modifiées suite à l’essor d’Internet et des réseaux sociaux? Le Conseil de la presse, dans sa prise de position 43/2010, a attiré l’attention sur le fait que de plus en plus de personnes rendent accessibles au public sur Iinternet des informations et des images privées. Il ajoutait néanmoins que les médias de masse ne sauraient en déduire que ces personnes renoncent à toute protection de leur sphère privée. Les médias ne peuvent donc diffuser sans condition des informations privées glanées sur Internet.

S’agissant du «droit à l’oubli», il convient de faire la pesée entre le droit du public à être informé et la protection de la vie privée, tout comme pour la question de la diffusion d’informations placées sur la toile par des privés. Soit que l’on ait l’intention de réutiliser un élément d’article archivé pour un nouvel article, soit qu’une nouvelle pesée des intérêts s’impose après quelque temps sur la révélation d’une identité dans des archives accessibles au public via Internet. Personne ne doit accepter qu’un nouvel article ne rappelle sans raison valable une condamnation remontant loin dans le temps. Devons-nous, en raison de la «mémoire» plus longue d’Internet et de l’accès facilité aux archives digitalisées des médias, nous faire en revanche à l’idée que la mise au pilori que cause un article dévoilant une identité puisse durer potentiellement à jamais? En d’autres termes, l’évolution technique et la digitalisation des archives médiatiques rendent-elles obsolète le «droit à l’oubli»?

d) Les archives digitalisées des médias accessibles à chacun présentent de grands avantages et une opportunité pour la société de communication – pas seulement pour les journalistes. Mais cela ne signifie pas pour autant, tout comme comme pour la question de le «diffusion d’informations privées tirées d’Internet», que la société est d’accord de payer ces avantages au prix de voir une chose publiée rendue accessible en tout temps. Rien n’indique donc qu’elle serait du même coup disposée à renoncer au «droit à l’oubli».

Certes, au vu de la rapide évolution technique et aux changements sociaux qu’elle entraîne, il n’est pas exclu que ces aspects seront discutés et évalués différemment à l’avenir. Mais la discussion actuelle sur le respect de la protection de la personnalité en rapport avec Google Streetview, notamment, conforte le Conseil de la presse dans sa conviction que de larges milieux de la population, nonobstant la large extension de l’espace public virtuel, éprouvent le besoin de protéger leur vie privée à l’ère de l’Internet, et cela également contre des publications pouvant porter atteinte à la personnalité.

Quelles que soient l’utilité et la popularité de certains services et d’informations, même s’ils sont ouverts à tout le monde via Internet, ils doivent respecter la protection de la personnalité et dès lors aussi le «droit à l’oubli» en tant que partie importante de cette protection. Comme il semble raisonnable d’obtenir d’une entreprise comme Google qu’elle traite les données conformément à la protection de la personnalité en vigueur dans les pays respectifs, de même on peut en attendre autant des médias qui mettent leurs archives à disposition sur Internet sans conditions.

e) Quelles conséquences tirer de ces réflexions quant à la question de recouvrir après coup de l’anonymat des articles déjà publiés?

Les rédactions qui rendent accessibles au public leur production en ligne sans condition et de manière illimitée dans le temps, qui donc par là rendent possible l’indexation de leurs contenus archivés par des moteurs de recherche comme Google ou autres, devraient, en sus des autres aspects de la protection de la personnalité, également porter attention au «droit à l’oubli». Mais comme pour la réactualisation des textes, il serait cependant hors de proportion d‘exiger des rédactions, respectivement des archives mandatées par elles, de réexaminer régulièrement d’elles mêmes tous les articles sous l’angle du «droit à l’oubli» et, le cas échéant, de leur donner après coup une forme anonyme.

En revanche, là aussi les rédactions devraient examiner sur demande si un article révélant une identité et son contenu, vu le temps écoulé et l’intérêt aujourd’hui disparu, lèse la personnalité de l’intéressé. Tout comme pour une requête de réactualisation après coup d’un article archivé, ce dernier doit par ailleurs rendre plausible que la mention de son identité menace de le frapper d’un désavantage qu’aucun intérêt public présent prédominant ne justifie – par exemple dans la recherche d’un emploi. En supprimant le nom après coup, il convient de faire en sorte que l’article ne puisse être retrouvé lorsqu’une personne fait une recherche à l’aide du nom ou de mots-clefs. Mais en même temps, il importe de garantir, par analogie avec les archives papier, la version originale que soit conservée (par exemple en document pdf).

f) L’accès aux banques de données des médias comme SMD, quand leurs archives (complètes) sont protégées par un nom d’utilisateur et un mot de passe, se trouve considérablement restreint par rapport aux archives digitalisées ouvertes, la même chose valant pour les médias en ligne dont l’accès est protégé. De telles barrières empêchent en particulier que des informations personnelles bénéficiant de la protection du «droit à l’oubli» n’apparaissent lors d’une recherche sur Google ou d’autres services comparables.

Certes, de telles archives sont potentiellement accessibles à chacun. Mais c’est tout aussi vrai en principe pour les archives papier. Déjà à l’époque analogique, il existait des services d’information économique et de presse qui procuraient systématiquement des informations relatives à des personnes. En se fondant à nouveau sur le principe de la proportionnalité, il apparaît que pour les archives électroniques avec barrières d’accès – des archives qui jouent un rôle important pour les journalistes, les historiens et d’autres personnes intéressées – qu’une anonymisation après coup n’est qu’exceptionnellement indiquée, lorsque les informations qui s’y trouvent peuvent porter un préjudice particulièrement grave à la personne concernée.

III. Conclusions

1. Les rédactions rectifient sans tarder de fausses informations dans les articles d’actualité – indépendamment de leur canal de diffusion. Les rectifications en ligne portant sur des fausses informations importantes devraient se faire de préférence par l’adjonction d’une mention complémentaire pour attirer l’attention du public, plutôt que de récrire directement la version antérieure. Les rectificatifs et droits de réponse doivent faire l’objet d’un lien avec les articles d’origine dans les médias en ligne et les archives digitalisées.

2. Les articles archivés digitalement qui étaient corrects au moment de leur publication ne doivent être actualisés qu’exceptionnellement, dans des cas particulièrement justifiés. Afin de préserver l’information historique, les rédactions devraient y apporter une mention au lieu de réécrire l’original.

3. Les rédactions examinent les demandes de modifier ou compléter à titre exceptionnel et après coup un article figurant dans les archives en se fondant sur le principe de la proportionnalité, et en considérant en particulier si l’article a pour effet de porter atteinte à la personnalité et si la personne risque de subir aujourd’hui un dommage grave en cas de refus d’une réactualisation.

4. S’il apparaît immédiatement après la publication d’un article par un média en ligne que la révélation d’une identité était inadéquate, l’anonymat doit aussitôt être rétabli. Cependant les médias devraient toujours examiner avec soin avant toute publication, si la mention d’un nom ou d’une identité est pertinente.

5. Les archives des médias digitalisées ouvertes, accessibles au public par Internet, doivent respecter la protection de la personnalité – et dès lors aussi le «droit à l’oubli». Les rédactions ne sont cependant pas tenues de réexaminer régulièrement de leur propre chef les articles archivés sous l’angle du respect du «droit à l’oubli», pour le cas échéant rétablir l’anonymat.

6. En cas de demande portant sur le rétablissement après coup de l’anonymat dans un article, les rédactions devraient examiner en s’appuyant sur le principe de la proportionnalité si la révélation de l’identité et le contenu de l’article portent de nos jours atteinte à la personnalité du requérant et si ce dernier peut rendre plausible que la mention de son identité risque de lui causer actuellement un préjudice important. Quand on rend anonyme a posteriori un article, il convient de faire en sorte que la version originale ne puisse être trouvé lors d’une recherche basée sur le nom et un mot-clef. En même temps, il faut garantir – comme pour les archives papier – la conservation de cette version première (par exemple sous forme de document pdf).

7. Les archives digitales des médias et les médias on line dont l’accès est lié à un nom d’utilisateur et à un mot de passe n’ont qu’exceptionnellement l’obligation de rendre anonyme un article après coup, à savoir lorsque d’un point de vue actuel les informations contenues lèsent gravement la personnalité en question.

8. Dans leurs recherches en vue de la confection d’un récit actuel, les journalistes gardent un œil critique sur les articles archivés et vérifient en particulier si les données qu’ils contiennent sont toujours correctes. Avant de publier, ils incluent également la question du «droit à l’oubli» dans la pesée des intérêts.