Nr. 11/2014
Recherche de la vérité / Traitement des sources / Accusations anonymes et gratuites

(Lüscher c. «Le Temps») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 6 juin 2014

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Zusammenfassung

Die welsche Tageszeitung «Le Temps» berichtete im Dezember 2013 über das Verkaufsangebot einer Wohnung, die dem freisinnigen Genfer Nationalrat Christian Lüscher gehört. Ausgeschrieben war sie auf der Homepage einer Genfer Immobilienfirma. Die Zeitung schrieb, ein Interessent erachte die ihm unterbreiteten Verkaufskonditionen als problematisch. Der Artikel brachte die Version dieses potentiellen Käufers, Lüschers Antwort und die Sicht des Eigentümers der Immobilienfirma, die das Angebot ausgeschrieben hatte.

Nationalrat Lüscher reichte darauf beim Schweizer Presserat Beschwerde ein: Der Titel des Artikels («Christian Lüscher ruse avec les lois sur le logement» – Christian Lüscher trickst mit den Wohnungsgesetzen) verletze die Wahrheitspflicht. Zudem widersprächen sowohl Titel wie Vorspann dem eigentlichen Artikel.

Der Presserat gibt Lüscher in diesen beiden Punkten recht. Die Übertreibung im Titel rechtfertig sich nur, wenn sie im folgenden Text rasch differenziert wird – was hier nicht der Fall war. Auch der Vorspann gibt die Fakten im Text nicht exakt wieder. «Le Temps» hat deshalb die Pflicht zur Wahrheit nicht vollständig respektiert. Die weiteren Vorwürfe gegen die Zeitung, sie habe wichtige Informationen unterschlagen und anonyme Anschuldigungen erhoben, erachtet der Presserat als nicht gerechtfertigt.

Résumé

Un acheteur intéressé à un appartement mis en vente via le site internet d’une agence immobilière genevoise se voit détailler des conditions de vente qu’il juge problématiques. Il s’en ouvre au Temps, qui y consacre un article où le nom du propriétaire de l’appartement, le conseiller national PLR Christian Lüscher, est indiqué en titre. L’article présente la version de l’acheteur potentiel, puis la réponse de Christian Lüscher et du propriétaire de la régie gérant l’offre.

Après parution de l’article, Christian Lüscher dépose plainte auprès du Conseil suisse de la presse, considérant en particulier que le titre de l’article (« Christian Lüscher ruse avec les lois sur le logement») viole l’obligation de rechercher la vérité, et que l’ensemble de la titraille est en contradiction avec le corps de l’article.

Sur ces deux points, le Conseil suisse de la presse lui donne raison, considérant que le processus d’hyperbole utilisé dans le titre n’est justifiable que s’il est rapidement nuancé dans la suite du texte –ce qui n’est pas le cas en l’occurrence. En outre, le chapeau ne restitue pas exactement les faits traités ensuite dans le corps de l’article. Le principe de recherche de la vérité n’a donc pas été entièrement respecté. Pour le reste, le CSP juge que les accusations portées contre le journal (dénaturation / accusation anonyme) étaient infondées.

Riassunto

Un acquirente interessato a un appartamento risponde a un annuncio via Internet di un’agenzia immobiliare. L’offerta dell’agenzia contiene delle condizioni che egli giudica problematiche. «Le Temps» dedica al caso un articolo in cui il nome del proprietario dell’appartamento, il consigliere nazionale radicale Christian Lüscher, figura nel titolo. La versione del potenziale acquirente è citata, come pure la risposta di Christian Lüscher e il parere del titolare dell’agenzia immobiliare.

Uscito l’articolo, Christian Lüscher presenta un reclamo al Consiglio della stampa, facendo notare che il titolo («Christian Lüscher fa il furbetto con le leggi sull’alloggio») non rispetta l’obbligo di ricerca leale della verità e che anche nel sommario si nota una forzatura delle informazioni contenute nel corpo dell’articolo.

Su questi due punti, il Consiglio della stampa gli ha dato ragione. Nel titolo una qualche forzatura si potrebbe giustificare, purché subito, nel corpo dell’articolo, il fatto sia riferito correttamente. Invece, anche il cappello in testa all’articolo contiene una forzatura. Il principio della ricerca della verità non è perciò del tutto rispettato. Infondati invece, a giudizio del Consiglio, gli altri addebiti contenuti nel reclamo: alterazione della verità e accuse anonime. 


I. Sachverhalt


A.
Le 21 décembre 2013, le quotidien «Le Temps» publie, sous la plume d’Olivier Francey, un article intitulé «Christian Lüscher ruse avec les lois sur le logement». L’article raconte qu’un acheteur intéressé à un appartement mis en vente via le site internet de l’agence immobilière genevoise Pilet & Renaud s’est vu détailler des conditions de vente qu’il a jugées problématiques. L’appartement était en effet proposé en location jusqu’au terme d’un délai légal imposé par l’Etat, en 2018, puis à la vente dès ce terme. Les effets de telles conditions de vente font l’objet du corps de l’article, l’acquéreur potentiel avançant qu’il s’agit d’un moyen, pour le propriétaire, de s’assurer d’un prix de vente élevé au moment de la vente, alors que le vendeur, en l’occurrence Christian Lüscher, conseiller national PLR et avocat, mentionné en titre, affirme au contraire que le mécanisme sert à protéger l’acquéreur potentiel via un «droit d’emption». L’article présente la version de l’acheter potentiel, puis la réponse de Christian Lüscher et du propriétaire de la régie gérant l’offre.

B. Le 20 janvier 2014, Christian Lüscher dépose plainte auprès du Conseil suisse de la presse (ci-après CSP). Il dénonce une violation des chiffres 1 (recherche de la vérité), 3 (citation de sources connues/interdiction de dénaturer un texte) et 7 (interdiction d’accusations anonymes ou gratuites) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après Déclaration). Il considère que le titre et le chapeau de l’article sont contraires à la vérité et en contradiction avec le corps du texte. Il affirme en outre que la source mentionnée est imaginaire puisque selon lui «la régie Pilet & Renaud n’a été contactée par aucun acquéreur potentiel ou locataire qui aurait posé des questions sur le mécanisme».

C. Le 14 mars 2014, le journal «Le Temps», dans un courrier signé de son rédacteur en chef Pierre Veya et de l’auteur de l’article, Olivier Francey, conteste la plainte dans son intégralité. Selon le journal, l’article incriminé n’a violé en aucune manière la «Déclaration». Le quotidien fournit une série d’annexes documentant le contexte de l’immobilier et de l’accès à la propriété à Genève au moment de la parution de l’article, y compris les positions des autorités, du PLR et de Christian Lüscher lui-même sur le sujet.
Le journal affirme qu’il peut attester de l’existence de la source mentionnée, dont l’anonymat a été préservé conformément aux usages en vigueur sur la protection des sources. Il propose au CSP de lui fournir les preuves de sa bonne foi en la matière. Il ajoute qu’une autre source concordante confirme les dires de la première.
Il argumente que le contexte de l’époque justifie à la fois la publication de l’article et sa titraille, puisque Christian Lüscher, en tant que conseiller national, représente un parti qui soutient l’accès à la propriété, et dont le Conseiller d’Etat en charge de l’urbanisme a proposé une loi «visant à rendre plus équitable les conditions d’accès à la propriété dans les zones de développement». La loi vise en particulier à s’assurer que les appartements achetés en PPE dans les zones de développements seraient bien occupés par leur propriétaire. Le journal ajoute qu’il a respecté le dr
oit d’être entendu de toutes les parties.
Il conclut en soutenant que le chapeau «L’élu veut se séparer de son sept pièces, malgré une interdiction jusqu’en 2018 de vendre au prix du marché. Un acquéreur potentiel s’inquiète des conditions de vente» ne fait que résumer le texte de l’article et que l’emploi du terme «ruse» dans le titre laisse simplement entendre que M. Lüscher use habilement du contexte à son avantage. Sur ce dernier point, le journal insiste sur le fait que l’usage du terme «ruse» relève d’un «jugement de valeur, autrement dit de la liberté de commenter, appartenant au journaliste».

D. Le 17 mars 2014, le plaignant fait encore valoir que la publication de l’article incriminé a généré un message accusatoire d’un politicien adverse sur sa page Facebook, message qui reprenait tel quel le titre et le chapeau de l’article. Il considère qu’il s’agit là de la démonstration du caractère problématique de l’article, et en particulier de la nature mensongère de sa titraille.

E. La plainte est traitée le 16 mai 2014 ainsi que par voie de correspondance par la deuxième Chambre du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg, président, Michel Bührer, Annik Dubied, Pascal Fleury, Anne Seydoux, Françoise Weilhammer et Michel Zendali.

II. Considérants

1. En préambule, le Conseil de la presse rappelle qu’il ne relève pas de sa compétence de vérifier la véracité ou la fausseté des affirmations des parties. Il ne peut donc souscrire à la proposition du «Temps» de vérifier l’existence, ou non, d’une source anonyme ayant cherché à acquérir l’appartement de Christian Lüscher, et ne peut par conséquent se prononcer sur une éventuelle violation du chiffre 3 de la «Déclaration» (connaissance des sources). Il se contente de constater que deux affirmations se contredisent en la matière.

2. Pour le Conseil de la presse, l’enjeu essentiel de la plainte réside dans la question du titre et du chapeau, et de leur lien avec le corps de l’article. Par conséquent, c’est la question de la recherche de la vérité, traitée dans l’article 1 de la «Déclaration», qui est en jeu. Le Conseil de la presse note que le terme «ruse» utilisé dans le titre peut suggérer une dimension trompeuse ou déloyale, qui va au-delà de la simple suggestion que M. Lüscher use habilement du contexte à son profit, que défend «Le Temps». En outre, le procédé d’hyperbole, que le journal défend au nom de son droit à l’appréciation, aurait dû être nuancé ou précisé dès le chapeau ou le début du texte, comme le veut la jurisprudence constante du Conseil de la presse en la matière (voir notamment les décisions 58/2007 et 71/2012). Or ici le sens de l’hyperbole est renforcé par le chapeau qui affirme de manière inexacte que Christian Lüscher veut se séparer de son appartement «malgré une interdiction», ce qui laisse entendre qu’il le fait à l’encontre des règles – le corps de l’article et les faits rapportés ne confirmant pas cette affirmation. Le Conseil de la presse en conclut que le chiffre 1 de la «Déclaration» a été violé.

3. En ce qui concerne le chiffre 3 (ne pas dénaturer un texte), le Conseil de la presse note qu’il vise à prévenir la dénaturation et l’usage de textes ou d’images extérieurs à l’article et constituant ses sources, et non pas le lien entre titraille et corps de l’article, pris en charge au chiffre 1 et évalués en fonction de la nécessité de rechercher la vérité. Il en conclut par conséquent que le chiffre 3 de la «Déclaration» n’est pas violé.

4. En ce qui concerne le chiffre 7 (ne pas porter d’accusations anonymes ou gratuites), le Conseil de la presse estime qu’il n’est pas concerné en l’occurrence. L’article avait sa justification étant donné l’actualité du débat politique. Quant à la titraille, comme déjà mentionné, elle concerne le chiffre 1 de la «Déclaration».

III. Conclusions

1. La plainte est partiellement admise.

2. En titrant «Christian Lüscher ruse avec les lois sur le logement», et en chapeautant «L’élu veut se séparer de son sept pièces, malgré une interdiction jusqu’en 2018 de vendre au prix du marché. Un acquéreur potentiel s’inquiète des conditions de vente», «Le Temps» a contrevenu au chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste», qui lui enjoint de rechercher la vérité. L’hyperbole du titre n’est en effet pas nuancée via le chapeau et/ou le début de l’article. En outre, le chapeau ne restitue pas exactement les faits traités ensuite dans le corps de l’article.

3. Pour le reste, la plainte est rejetée. Dans son article «Christian Lüscher ruse avec les lois du logement», «Le Temps» n’a pas violé les chiffres 3 (connaître ses sources/ne dénaturer aucun texte) et 7 (ne pas porter d’accusations anonymes ou gratuites) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».