Nr. 60/2009
Recherche de la vérité / Rectification / Mention des sources / Audition des reproches graves / Présomption d’Innocence

(X. c. «24 Heures») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 13 novembre 2009

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Zusammenfassung

Resumé

Riassunto

I. En fait

A. En date du 9 juin 2009, le quotidien «24 Heures» a publié, sous la plume de Daniel Audétat, un article consacré à une affaire pénale impliquant un agent de la Police lausannoise, X., à l’occasion d’un arrêt de la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois. Dans cet arrêt, la Cour cantonale a annulé, pour vices de procédure, un jugement du Tribunal de police de l’arrondissement de Lausanne datant de janvier 2009, qui acquittait le policier des infractions d’abus d’autorité et de lésions corporelles à l’encontre d’un jeune Erythréen.

L’article, intitulé «Le Tribunal cantonal annule l’acquittement d’un policier», était annoncé en «Une» du journal et sur une affichette avec le titre «La police de Lausanne rejugée pour parjure». Dans l’accroche de première page, il était précisé: «Ses collègues qui l’avaient couvert sont soupçonnés de faux témoignages.» Et dans la légende d’une photographie du jeune Erythréen, toujours en première page, il était écrit: «L’instance de recours a reconnu que les juges lausannois avaient exagérément privilégié la parole de l’inculpé et des policiers appelés à témoigner en sa faveur, au détriment du jeune Erythréen et de ses propres témoins.» Enfin, dans l’article proprement dit, le journaliste évoque une autre affaire non jugée, en précisant: «Là aussi, il est couvert par des collègues. Dès lors, la police lausannoise se retrouve confrontée au soupçon d’omerta.»

B. Le 22 juin 2009, suite à un échange de courrier avec l’avocate du policier, le quotidien «24 Heures» publie un rectificatif dans la page consacrée au courrier des lecteurs, intitulé «Un titre réducteur et imprécis». Le rédacteur en chef, Thierry Meyer, y reconnaît que la formule «La police de Lausanne rejugée pour parjure» était «à la fois erronée et réductrice» et le regrette. Il convient aussi que la Cour n’a en fait «pas statué sur le fond», mais «motivé sa décision de renvoi par des vices de procédure lors du premier procès». Il souligne encore: «Il était donc faux de faire le lien avec les soupçons de faux témoignage, d’autant plus qu’ils concernent d’autres personnes que le policier incriminé. Il était également réducteur d’y voir une décision touchant l’ensemble du corps de police lausannois.»

C. Le 6 août 2009, le policier X. porte plainte auprès du Conseil suisse de la presse contre le journaliste Daniel Audétat et la rédaction de «24 Heures», par l’intermédiaire de son avocate. Pour le plaignant, «24 Heures» a violé plusieurs Directives relatives à la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste», à savoir les chiffres 1.1 (recherche de la vérité), 3.1 (traitement des sources), 3.8 (audition lors de reproches graves), 5.1 (devoir de rectification) et 7.5 (présomption d’innocence).

D. Le 15 octobre 2009, «24 Heures» prend position sur la plainte. Pour le quotidien, qui rappelle avoir publié un rectificatif, l’article incriminé n’est nullement contraire à la «Déclaration» ni aux Directives.

E. La plainte a été transmise à la 2ème Chambre du Conseil suisse de la presse, qui est composée de Dominique von Burg (président), Nadia Braendle, Michel Bührer, Pascal Fleury, Charles Ridoré, Anne Seydoux et Michel Zendali.

F. La plainte a été traitée lors de sa séance du 13 novembre 2009 et par voie de correspondance.

II. Considérants

1. a) Pour le plaignant, plusieurs informations publiées par «24 Heures» contreviennent au devoir de recherche de la vérité (Directive 1.1). Cette directive stipule que «La recherche de la vérité est au fondement de l’acte d’informer. Elle suppose la prise en compte des données disponibles et accessibles, le respect de l’intégrité des documents (textes, sons et images), la vérification, la rectification». Le devoir de rectification est précisé dans la Directive 5.1: Il «est mis en œuvre spontanément par le/la journaliste; il participe de la recherche de la vérité. L’inexactitude matérielle concerne les aspects factuels et non les jugements portés sur des faits avérés».

Dans le détail, le plaignant dénonce des informations «erronées» dans: – Le titre de «Une» et de la manchette. Ce titre, libellé «La police de Lausanne rejugée pour parjure», jette, selon le plaignant, «le discrédit sur l’ensemble du corps de police, alors que la procédure pénale ne concerne que le plaignant».

– L’accroche de «Une». Il y est écrit: «L’agent lausannois accusé d’avoir aspergé de spray au poivre un mineur devra repasser devant les juges. La Cour de cassation a annulé hier son acquittement prononcé en janvier par le Tribunal d’arrondissement de Lausanne. Ses collègues qui l’avaient couvert sont soupçonnés de faux témoignages.» Pour le plaignant, ce paragraphe sous-entend que la tenue de la nouvelle audience est directement liée à l’enquête pour faux témoignage. Une information «grossièrement fausse», estime-t-il, soulignant que «seuls des motifs de procédure» ont conduit le Tribunal cantonal à annuler le premier jugement.

– La légende de la photographie de «Une». Elle affirme que «l’instance de recours a reconnu que les juges lausannois avaient exagérément privilégié la parole de l’inculpé et des policiers appelés à témoigner en sa faveur, au détriment du jeune Erythréen et de ses propres témoins». Elle est aussi «grossièrement fausse», selon le plaignant. La Cour de cassation n’est en effet pas entrée en matière sur le fond.

– Le corps de l’article. Il y est écrit qu’«au terme de l’enquête du juge d’instruction, seul ce dernier agent a été inculpé et renvoyé devant le Tribunal de police», alors que le juge a renvoyé «deux agents» en jugement.

Le plaignant reconnaît que «24 Heures» a publié un avis rectificatif, mais pas concernant la légende de la photographie. De plus, regrette-t-il, ce texte n’a fait l’objet que d’«un petit encart à côté du courrier des lecteurs»: «L’importance accordée à la première information et celle accordée au rectificatif ont été bien différentes.»

b) A ces griefs, «24 Heures» répond que la «malencontreuse erreur de titraille» a fait l’objet d’un rectificatif. Le quotidien y précise aussi que «la Cour n’a pas statué sur le fond», mais seulement sur des vices de procédure. Une erreur qui n’apparaît d’ailleurs pas dans l’article. Ainsi, l’auteur y précise bien que c’est le «procureur général» – et non la Cour – qui a affirmé que «le Tribunal de première instance a exagérément privilégié la parole de l’inculpé et des policiers appelés à témoigner en sa faveur, au détriment de K.» (le jeune Erythréen).

Le journal réfute l’existence d’un «sous-entendu» dans le texte d’accroche en «Une». Pour lui, mentionner que les collègues du plaignant, qui l’avaient couvert, sont soupçonnés de faux témoignage, ne sous-entend nullement que ledit jugement avait trait à l’enquête pour faux témoignage.

Pour sa défense, le journal fait encore remarquer qu’en plus de la publication du rectificatif, il a proposé une rencontre avec le plaignant, dans la perspective d’une interview, afin que le plaignant puisse exprimer son point de vue et corriger d’éventuelles erreurs du journal. Mais ce dernier n’a pas souhaité y donner suite.

c) Le Conseil suisse de la presse observe, concernant les présentations de sujets en «Une» des journaux, que des exigences typographiques et de longueurs peuvent amener à des raccourcis. Mais, estime-t-il, ces raccourcis ne devraient pas pour autant déboucher sur des imprécisions, et encore moins sur des informations erronées.

Le Conseil de la presse prend égaleme
nt acte de la publication par le quotidien «24 Heures» d’un rectificatif. Il rappelle toutefois, qu’un rectificatif n’efface pas une violation avérée (prise de position 58/2007). Il constate d’autre part que le justificatif en question n’évoque pas l’ensemble des erreurs publiées en première page. Ainsi, le rectificatif ne dit rien de la légende erronée, alors que «24 Heures» en reconnaît l’imprécision dans sa défense. Il ne suffit pas que l’erreur n’apparaisse plus dans l’article publié dans le corps du journal pour que réparation soit faite. Les Directives 1.1 et 5.1 ont donc été violées. En revanche, le Conseil de la presse peut se contenter de la taille du rectificatif (une longue colonne bien mise en valeur) et de son emplacement en page des lecteurs, une rubrique très lue des journaux.

2. a) Dans son article, le journaliste évoque aussi une autre affaire pénale que celle traitée par le Tribunal cantonal vaudois. Le plaignant serait accusé de brutalités dans le cadre d’une autre intervention policière que celle ayant impliqué le jeune Erythréen. L’auteur écrit: «Là aussi, il est couvert par des collègues. Dès lors, la police lausannoise se retrouve confrontée au soupçon d’omerta.» Pour le plaignant, ces «accusations gratuites» contre lui et ses collègues policiers ne répondent pas aux exigences de la Directive 3.1, puisque aucune source n’est mentionnée, ni à celle de la Directive 3.8, puisqu’il n’a pas été entendu avant la publication de ces «reproches graves». Le plaignant rappelle aussi qu’il n’a pas encore été jugé pour cette affaire et qu’il bénéficie par conséquent toujours de la présomption d’innocence (Directive 7.5). Ce qui n’a pas été respecté, selon lui.

b) «24 Heures» réfute toutes ces critiques. L’évocation par le journaliste de cette autre affaire repose sur sa connaissance du dossier, étayée par diverses sources et déjà relatée dans d’autres médias. Se référant à la jurisprudence du Conseil de la presse relative à la Directive 3.1, le quotidien note aussi que la protection des sources «est dans l’intérêt du public, car elle facilite le flux des informations et constitue un moyen essentiel dans la discussion de thèmes d’intérêt public». Pour le quotidien, en conséquence, les allégations de violation des Directives 3.8 et 7.5 tombent aussi à faux. Dans son rectificatif, le journal reconnaît toutefois qu’«il était faux de faire le lien avec les soupçons de faux témoignage, d’autant plus qu’ils concernent d’autres personnes que le policier incriminé».

c) Le Conseil de la presse, face à ces trois griefs, estime qu’il n’y a pas eu violations des Directives 3.1, 3.8 et 7.5. Concernant la mention des sources, il comprend que dans un dossier impliquant la Police de Lausanne, le journaliste ait tenu à protéger ses informateurs.

Concernant l’allégation «Là aussi, il est couvert par des collègues. Dès lors, la police lausannoise se retrouve confrontée au soupçon d’omerta», il constate que ce reproche ne vise pas le plaignant, mais la police lausannoise en général. Le Conseil de la presse a souligné à plusieurs reprises que des propos vis-à-vis d’une collectivité de personnes n’ont pas le même poids que des reproches graves à l’encontre d’un individu (prises de position 50/2002 et 46/2009). En occurrence, le reproche «d’omerta» n’est pas présentée comme un fait avéré. L’article ne parle que de soupçon et explique qu’un agent de police avait déjà avoué avoir déposé un faux témoignage dans une autre affaire. Stylistiquement parlant, le journaliste aurait pu toutefois se montrer un peu plus nuancé, en utilisant le conditionnel. Mais le reproche n’est pas nouveau. «24 heures« a déjà fait état de ce soupçon dans l’article «La police lausannoise est soupçonnée d’avoir comploté pour tromper la justice», publié le 9 mais 2009.

Enfin, pour ce qui est de la présomption d’innocence, le Conseil de la presse n’y voit pas de violation: Conformément à la pratique du Conseil (voir les prises de position 32/2008, 31/2007, 64/2006 et 61/2003), la présomption d’innocence est respectée lorsqu’il ressort d’un compte rendu que la procédure judiciaire est encore en cours (ou n’a même pas commencé) et qu’une éventuelle condamnation n’a pas encore été prononcée ou qu’elle n’est pas encore entrée en force.

III. Conclusions

1. La plainte est partiellement admise.

2. En publiant le titre «La police de Lausanne rejugée pour parjure» et la légende «L’instance de recours a reconnu que les juges lausannois avaient exagérément privilégié la parole de l’inculpé et des policiers appelés à témoigner en sa faveur», parus le 9 juin 2009, «24 Heures» a violé le chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droit du/de la journaliste».

3. En publiant un rectification incomplète «24 Heures» a également violé le chiffre 5 de la «Déclaration».

4. Pour le reste, la plainte est rejetée.

5. «24 Heures» n’a pas violé les chiffres 3 (traitement des sources, audition lors de reproches graves) et 7 (présomption d’innocence) de la «Déclaration».

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