Nr. 17/2013
Identification / Présomption d’innocence

(L’Ordre des avocats vaudois c. «L’Illustré» Prise de position du Conseil suisse de la presse du 15 mars 2013

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Zusammenfassung

Werdegang eines Angeschuldigten

Die Zeitschrift «L’illustré» hat die Unschuldsvermutung nicht verletzt, indem sie die persönlichen Hintergründe eines Angeschuldigten ausleuchtete. Aber sie hat seine Privatsphäre verletzt, indem sie unwesentliche Einzelheiten veröffentlichte und so die Identifizierung über den Kreis der bereits eingeweihten Personen hinaus ermöglichte.

Kurz nach der Verhaftung des mutmasslichen «Pädophilen von Gland» veröffentlichte «L’illustré» eine umfassende Recherche über den Werdegang des Angeschuldigten. Für den Waadtländer Anwaltsverband verletzt der im Ton anklägerische Artikel die Unschuldsvermutung und erleichtert die Identifizierung des Betroffenen, der trotz Geständnis vorerst als unschuldig zu gelten habe.

Der Presserat erinnert daran, dass die Angaben über einen Angeschuldigten auf das für das Verständnis der Leserschaft Notwendige zu beschränken sind. In Kombination mit dem (zwar durch einen schmalen Balken abgedeckten) veröffentlichten Passfoto geht «L’illustré» mit einem Teil der publizierten Details zu weit: Geburtsdatum, Vorname, ehemalige Wohnadresse, Zahl und Alter der Kinder sowie Autofarbe und -marke sind für das Verständnis nicht notwendig. Hingegen ermöglichen sie eine über das familiäre Umfeld hinausgehende Identifizierung (Richtlinie 7.2 zur «Erklärung»).

Die Unschuldsvermutung sieht der Presserat dagegen nicht verletzt. Man mag zwar den anklagenden Ton des Artikels bedauern. Die Unschuldsvermutung verbietet Medienschaffenden aber keineswegs, parteiergreifend zu berichten. Zudem weist «L’illustré» an zwei Stellen des Berichts darauf hin, dass der Strafprozess noch bevorsteht. Ebenso legt dies der enge zeitliche Zusammenhang zwischen der Verhaftung des Betroffenen und der Veröffentlichung des Berichts nahe. Laut Presserat genügen diese Elemente, um der Leserschaft klarzumachen, dass noch kein Urteil ergangen ist.

Résumé

Enquête sur les antécédents d’un prévenu

En enquêtant sur les antécédents d’un prévenu, «L’illustré» n’a pas contrevenu à la présomption d’innocence. Mais il a violé la protection de la vie privée, en publiant certains détails secondaires facilitant l’identification du prévenu au-delà du cercle de ses connaissances.

Peu après l’arrestation du présumé «pédophile de Gland», «L’illustré» publie une enquête fouillée sur la trajectoire du prévenu. Pour l’Ordre des avocats vaudois (OAV), cet article, très accusateur, viole la présomption d’innocence. De plus, il permet d’identifier celui qui n’est encore qu’un prévenu, même s’il a passé aux aveux.

Pour le Conseil de la presse, les indications permettant d’identifier le prévenu doivent se limiter à ce qui est nécessaire à la compréhension du récit par le lecteur. S’ajoutant à la photo passeport (certes munie d’un mince bandeau), certains détails fournis par l’hebdomadaire vont trop loin. Ainsi la date de naissance, le prénom, l’ancien domicile, le nombre et les âges des enfants, la marque et la couleur de sa voiture, ne sont-ils pas nécessaires à la compréhension de l’affaire.  Ils permettent par contre une identification facilitée au delà du cercle familier du prévenu (cf directive 7.2).

Le Conseil n’a par contre pas retenu la violation de la présomption d’innocence.  Certes, on peut regretter le ton «à charge» de l’article, mais la règle de la présomption d’innocence n’interdit pas aux journalistes de prendre parti. Et le Conseil note qu’à deux reprises il est indiqué que l’individu est un suspect, en attente de son procès. De plus, la proximité des dates de l’arrestation et de la publication de l’article, soit un mois, est aussi une indication, bien qu’implicite, que son procès est encore à venir. Pour le Conseil de la presse, ces éléments sont suffisants pour que le public sache que l’affaire n’est pas encore jugée.

Riassunto

Inchiesta sui precedenti di un prevenuto

Non ha violato la presunzione di innocenza «L’illustré» nell’inchiesta pubblicata circa i precedenti di un prevenuto. Però ha violato il suo diritto alla tutela della propria sfera privata, pubblicando alcuni particolari non essenziali e tali da consentire l’identificazione del prevenuto oltre la cerchia dei suoi stretti conoscenti.

Poco dopo l’arresto del presunto «pedofilo di Gland», «L’illustré» pubblicava un’inchiesta dettagliata circa i precedenti dell’accusato. Di tono fortemente accusatorio, l’articolo, secondo l’Ordine degli Avvocati del Canton Vaud (OAV) che si è rivolto al Consiglio della stampa, non rispetta la presunzione di innocenza; inoltre, permette l’identificazione di un tale che per ora è solo ancora prevenuto colpevole, pur avendo confessato.

Il Consiglio della stampa ribadisce che i particolari relativi all’identità di un prevenuto devono esclusivamente servire al lettore per capire che cosa è successo. La pubblicazione di una sua foto (sia pure con una sottile striscia nera sugli occhi) e di altri dettagli, come la data di nascita, il prenome, il numero e l’età dei suoi bambini, la marca e il colore della sua auto, non erano necessari alla comprensione del fatto ma consentivano di riconoscerlo a una cerchia più ampia di quella dei suoi familiari. Il Consiglio della stampa richiama su questo punto la Direttiva 7.2 allegata alla Dichiarazione dei doveri del giornalista.

Il Consiglio non ha invece ritenuto la violazione della presunzione di innocenza. È certamente possibile deplorare il tono fortemente accusatorio dell’intero servizio, ma non si può impedire al giornalista di esprimere la propria opinione. Due volte, nel servizio, è detto chiaramente che l’individuo è sospettato e in attesa di processo. Pure la vicinanza della data dell’arresto e di quella dell’articolo sono tali, sia pure implicitamente, da indicare che il processo non è stato ancora celebrato. Bastano questi elementi, secondo il Consiglio della stampa, per chiarire a chi legge che il caso è ancora sub judice.


I. En fait


A.
En date du 12 septembre 2012, «L’Illustré» publie sous la plume d’Arnaud Bédat un article intitulé «La double vie du pédophile de Gland», suite à l’arrestation de l’homme accusé du viol d’une fillette de 11 ans en 2011. L’article est annoncé en colonne de droite en couverture avec l’accroche «Exclusif. Pédophile de Gland (VD)», suivie d’une photo d’identité de l’individu, les yeux masqués d’un bandeau noir. En sous-titre, on peut lire: «Le vrai visage du pervers». L’article lui-même s’ouvre sur une double page avec à gauche un portrait robot et à droite la même photo d’identité qu’en couverture, les yeux barrés d’un bandeau noir. Les deux photos sont en pleine page. Le texte, sur les deux pages suivantes, raconte le parcours de l’homme. Il le présente comme le coupable, donne son prénom et l’initiale de son nom ainsi que plusieurs indications relatives à son histoire et à sa vie privée. On y voit aussi une reproduction de la carte d’identité de l’individu, avec sa date de naissance, son prénom et l’initiale de son nom. La photo, barrée d’un filet noir sur les yeux, est celle qui a été agrandie sur les autres pages.

B. Le 1er novembre 2012, l’Ordre des avocats vaudois (OAV) dépose plainte contre «L’Illustré» auprès du Conseil suisse de la presse. La plainte porte sur le chiffre 7 (vie privée) de la «Déclar ation des devoirs et des droits du/de la journaliste» et plus précisément sur les directives 7.2 (identification) et 7.4 (présomption d’innocence).

L’OAV reproche à «L’Illustré» que l’article sur le prévenu soit «truffé d’informations relatives à sa vie privée (enfants, concubine, ancien domicile (…) à Genève, suicide de sa fille) et professionnelle». L’OAV estime que «la publication de ces informations rend l’identification de l’auteur présumé des faits de Gland aisée» et constitue une atteinte aux droits de la défense. Selon le plaignant, «aucun intérêt public prépondérant» n’autorise cette possible identification. L’OAV dénonce aussi la violation du principe de présomption d’innocence, en ce que «l’article incriminé n’utilise aucune expression telle que ‹prévenu›» et ne mentionne pas que «la procédure est encore en cours». Au contraire, dénonce le plaignant, la terminologie utilisée fait croire au lecteur «que la personne prévenue des faits survenus à Gland a déjà été jugée et reconnue coupable par la justice, ou en tout cas que sa culpabilité ne fait aucun doute». Pour l’OAV, que la personne ait reconnu les faits, comme le mentionne l’article, «est sans pertinence».

C. Dans un courrier du 20 décembre 2012, le rédacteur en chef de «L’Illustré», Michel Jeanneret, sollicité à deux reprises, informe de Conseil de la presse qu’il ne souhaite pas prendre position sur la plainte.

D. La plainte est traitée le 5 avril 2013 ainsi que par correspondance par la deuxième Chambre du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg, président, Michel Bührer, Annik Dubied, Pascal Fleury, Anne Seydoux, Françoise Weilhammer et Michel Zendali.

II. Considérants

1. La plainte porte sur deux directives en partie liées, l’identification (7.2) et la présomption d’innocence (7.4). La première indique les conditions dans lesquelles une identification (et notamment la publication du nom) est admissible, en mettant en balance les intérêts du public à être informé et le respect de la vie privée. La seconde stipule notamment que «lors des comptes rendus judiciaires, les journalistes soupèsent avec une attention particulière la question de l’identification» et «tiennent compte de la présomption d’innocence».

2. Le nom de l’individu qui fait l’objet de l’article de «L’Illustré» n’est pas révélé. La question est donc de savoir si les autres éléments portés à la connaissance du lecteur permettent une identification par des tiers au delà de «l’entourage familial, social ou professionnel, et qui sont donc informés exclusivement par les médias», selon les termes de la directive 7.2. La forme du récit utilisée par le journaliste, manifestement bien documenté, justifie la publication d’un certain nombre de détails touchant à la vie privée du personnage dont la parcours est raconté. Une partie de ces informations est nécessaire à la compréhension de l’affaire. Par contre, selon le Conseil, l’accumulation de détails superflus pour cette compréhension et sans intérêt public prépondérant, comme le prénom, la date de naissance, la rue du dernier domicile connu ou la marque et la couleur de la voiture, permet des croisements qui élargissent par trop le cercle de l’entourage dont parle la directive 7.2 et peuvent conduire à une identification. «L’Illustré» a donc contrevenu à la directive 7.2.

3. La publication de la photo d’un prévenu, avec un bandeau cachant les yeux, a été traitée à plusieurs reprises par le Conseil (cf. 5/2011). Ce dernier a admis une telle publication, la largeur du bandeau restant un sujet de discussion. En l’occurrence, le Conseil estime que la photo publiée par «L’Illustré», bien que son utilisation en pleine page ait un but manifestement sensationnaliste, reste admissible en tant que telle. Par contre, la combinaison avec les détails évoqués au chiffre 2 des considérants augmente encore le risque d’identification et cela dans un contexte d’affaire judiciaire qui demande de la retenue.

4. La directive 7.4 sur la présomption d’innocence a-t-elle été outrepassée? Le plaignant souligne, avec raison selon le Conseil, le peu de précautions que prend «L’Illustré», qui dresse un portrait à charge. L’article présente l’individu comme «le pédophile de Gland», qui «a commis l’acte le plus abject sur une fillette de 11 ans», sans prendre la peine de signaler qu’il s’agit toujours d’un prévenu. Le lecteur est ainsi amené à conclure que le personnage a été jugé coupable. Le journaliste indique aussi que l’individu a «avoué les faits» et mentionne brièvement que «l’ADN a parlé», comme si cela était suffisant pour faire fi de la présomption d’innocence.

La présomption d’innocence, pour le Conseil de la presse, n’empêche pas les journalistes de commenter de manière engagée et de prendre parti lors de procédures en cours. Mais ils devraient en tout cas indiquer si la procédure est encore pendante ou achevée et si une éventuelle condamnation est exécutoire, c’est-à-dire qu’elle ne peut plus faire l’objet d’un recours devant une instance supérieure (prise de position 22/2010). Dans ce sens, la légende de la grande photo parle de l’arrestation du «suspect». De plus, lorsque l’article signale que l’individu affirme avoir écrit une lettre d’excuse aux parents de sa victime, le journaliste se demande s’il s’agit de regrets sincères «ou d’une future stratégie de défense en vue de son procès?», ce qui indique bien que celui-ci n’a pas eu lieu. Enfin, note le Conseil, il faut remettre l’article dans le contexte dans lequel le lecteur en a pris connaissance, soit un mois après l’arrestation. Le Conseil est d’avis que cette proximité de dates permettait au lecteur de se figurer, certes de manière implicite, que le jugement n’est pas rendu. Enfin, le Conseil de la presse rappelle qu’une telle enquête, retraçant le parcours d’un homme arrêté pour un crime hors du commun, est légitime et répond à un intérêt public. Même si l’article est critiquable pour son ton à charge péremptoire, le Conseil estime que «L’Illustré» n’a pas contrevenu à la directive 7.4.

III. Conclusion

1. La plainte est partiellement admise.

2. En publiant dans son édition du 12 septembre 2012 («La double vie du pédophile du Gland») un faisceau d’informations sur un prévenu, dont certaines sans valeur pour la compréhension de l’affaire traitée, «L’Illustré» a élargi de manière exagérée le cercle des personnes qui peuvent l’identifier. Cela d’autant plus qu’à ces détails s’ajoute une photo en grand format à peine voilée. Il a donc violé le chiffre 7 (identification) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».

3. Pour le reste, la plainte est rejetée.

4. «L’Illustré» n’a pas violé le chiffre 7 (sous l’aspect de la présomption d’innocence).