Nr. 41/2001
Exactitude des informations/ Respect des embargos

(André & Cie SA c. TSR) Prise de position du 20 septembre 200

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I. En fait

A. Le 19 janvier 2001, le Groupe André a organisé une conférence de presse au cours de laquelle il a annoncé une série de mesures visant à faire face aux graves difficultés financières dans lesquelles se débattait le groupe. L’invitation à cette conférence a été adressée aux différents médias le 15 janvier 2001, avec mention d’un embargo jusqu’au 19 janvier 2001, sans mention d’heure. Dans l’invitation le Groupe André à demandé de respecter l’embargo «en raison de la nécessité d’informer en priorité les collaboratrices et collaborateurs de la société des décisions prises».

B. Le 18 janvier 2001, le journal régional de la TSR, Tout en Régions, a annoncé qu’André et Cie avait communiqué à son personnel un plan de restructuration comportant 120 licenciements au siège lausannois du groupe. On en saurait davantage, a précisé la présentatrice, à l’issue d’une conférence de presse qui devait se tenir le lendemain. Le TJ soir diffusé une demi-heure plus tard a repris la nouvelle, enrichie d’un historique du groupe, et annoncé 75 licenciements au siège du groupe, ce qui correspondait à la réalité. Il a également assuré que plusieurs banques, dont l’UBS, avaient retiré leur soutien à André et Cie. Cette dernière information a été rectifiée, sur intervention du groupe André, dans le TJ du 19 au soir.

C. Le 8 février 2001, le Groupe André a saisi le Conseil de la presse d’une plainte dirigée contre la rédaction en chef du Téléjournal de la TSR. André et Cie reproche au TJ d’avoir violé l’embargo au 19 janvier et d’avoir diffusé une information inexacte en affirmant que l’UBS avait retiré son soutien au groupe. André et Cie fait valoir qu’une réunion avec les banques créancières devait avoir lieu le 19 au matin avant la conférence de presse, ce que la TSR savait, et que les responsables du groupe ont passé une partie de la nuit à tenter de rassurer ces dernières alertées par cette fausse information

D. La plainte d’André et Cie a été transmise à la 2ème Chambre du Conseil de la presse, composé de Daniel Cornu, Dominique von Burg, Michel Zendali, Dominique Bugnon, Sylvie Arsever, Ueli Leuenberger et Graber (représentants du public). M. von Burg s’est récusé en raison de son appartenance à la TSR jusqu’en été 2000.

E. Dans uns prise de position du 22 juin 2001 la TSR fait valoir en substance que l’embargo ne se justifiait pas. En assortissant une simple convocation à une conférence de presse d’un embargo, soutient-elle, André et Cie tentait de bloquer la circulation de l’information sur la situation dans laquelle il se trouvait et sur laquelle plusieurs médias enquêtaient à ce moment. L’embargo faisait donc obstacle à la libre circulation de l’information et ne devait en conséquence pas être respecté. En acceptant le recours d’André et Cie, le Conseil de la presse laisserait «aux intérêts privés ou publics le choix de déterminer à quel moment l’actualité est diffusable ou publiable». Elle relève en outre qu’elle a rectifié les erreurs que lui reproche André et Cie, l’information sur le nombre de licenciements ayant été corrigée immédiatement, celle sur le retrait du soutien de l’UBS le lendemain.

F. Les parties ont précisé leur point de vue dans un second échange de correspondance.

G. La 2ème Chambre a traité la plainte dans ses séances du 24 août et du 20 septembre 2001.

II. Considérants

1. André et Cie reproche d’abord à la rédaction en chef du Téléjournal d’avoir violé un embargo. La «Déclaration des devoirs et de droits du/de la journaliste» comprenait, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 1999, l’obligation de respecter «les embargos qui se justifient». Cette obligation, qui figurait au chiffre 3 de la «Déclaration», a été supprimée lors de la modification entrée en vigueur au 1er janvier 2000. Au cours de cette même modification, une obligation générale de loyauté envers les sources a été introduite en tête de la «Déclaration». L’obligation de loyauté est traitée en outre au chiffre 4 de la «Déclaration», qui interdit l’usage de méthodes déloyales pour obtenir des informations. La règle sur le respect des embargos qui se justifient, considérée comme découlant de cette obligation, a été reprise dans la directive 4.4 relative au chiffre 4 de la «Déclaration». C’est à la lumière de l’ensemble de ce dispositif qu’il convient d’examiner désormais la question du respect des embargos.

2. L’injonction de loyauté envers les sources découle de l’obligation plus générale d’équité. Comme toutes les règles comprises dans la «Déclaration», celle-ci doit s’interpréter à la lumière des principes énoncés dans le préambule, notamment celui selon lequel la responsabilité essentielle des journalistes s’exerce à l’égard du public et du droit de ce dernier à l’information. La question des embargos est particulièrement critique à cet égard puisque, en demandant à un journaliste de respecter un embargo, la source lui demande de restreindre temporairement l’accès du public à l’information. Pour que la loyauté commande au journaliste de respecter cet embargo, il faut donc qu’il réponde à un souci légitime et n’ait pas pour but uniquement de retenir, même temporairement, une information.

3. Il découle de cette précision que l’embargo ne saurait s’appliquer qu’à une information fournie par la source et non à une information déjà en possession d’un média. La TSR fait valoir qu’André et Cie n’a fait parvenir aux rédactions le 15 janvier qu’une invitation à un conférence de presse, sans l’accompagner d’une documentation confidentielle dont la remise aurait justifié l’embargo. Cette argumentation n’est pas pertinente en l’espèce. Les médias savaient, au moment des faits, que le groupe André connaissait des difficultés importantes et qu’il allait être amené à prendre des mesures. Dans un tel contexte, la date à laquelle les mesures sont définies et communiquées aux intéressés ne correspond pas seulement à un détail technique. C’est une information importante, que les intéressés s’efforcent en général de garder aussi secrète que possible. La date de la conférence de presse du groupe André constituait donc en soi une information précieuse, qui a d’ailleurs permis au TJ de déterminer à quel moment aurait lieu la séance d’information au personnel dont l’existence et le contenu constituaient le principal sujet des journaux diffusés le 18 au soir.

4. Il ne s’ensuit pas automatiquement que l’embargo liait les médias auxquels il a été communiqué. Dans sa décision Club der Zürcher Wirtschaftjournalisten contre SSR du 14 octobre 1983 (recueil 1983-1989, p. 14ss.), le Conseil de la presse, appliquant la «Déclaration» dans son ancienne formulation, a précisé dans quels cas un embargo se justifiait. Il a tranché qu’un embargo de convenance, conclu entre journalistes pour se donner le temps d’élaborer une information qui leur avait été communiquée pour utilisation immédiate, ne se justifiait pas. Comme exemple d’embargos se justifiant, il a cité notamment le cas où un employeur souhaite informer son personnel en priorité. Il a toutefois précisé que ce souci justifiait un embargo uniquement dans le cas où la nécessité d’un délai pour réaliser cette information ne découlait pas d’une faute de l’employeur.

La directive 4.4. évoque plus généralement, comme justifiant un embargo, «des intérêts légitimes qui pourraient être atteints par une diffusion prématurée». A la lumière de ces éléments, on peut retenir que l’embargo demandé par André et Cie se justifiait jusqu’au 18 janvier au soir en tout cas. Le souci de préserver des employés menacés de licenciement d’une notification par voie de presse n’a pas perdu de sa pertinence. En outre, la TSR ne fait p
as valoir qu’André et Cie aurait tardé à informer son personnel et rien n’indique que tel aurait été le cas.

5. Plus délicate est la question de savoir si l’embargo se justifiait après les séances d’information au personnel du 18 janvier. Le Conseil de la presse ne saurait suivre sans autre l’argumentation de la Télévision suisse romande selon laquelle André et Cie se serait mis dans son tort en organisant mal la diffusion de l’information. Il convient de relever à cet égard qu’une information organisée par le groupe dans l’intervalle d’une seule journée n’aurait pas, en soi, changé la situation: une fois les employés au courant du plan de restructuration, le risque de fuite aurait subsisté, en direction notamment, des différents journaux radio – et télédiffusés de la journée. A priori donc, l’intérêt d’André et Cie à retenir les informations concernant sa situation financière pendant les quelques heures qui séparaient la séance d’information au personnel de celle destinée aux créanciers semble légitime au sens de la directive 4.4. On peut toutefois admettre que la SSR a pu avoir de bonne foi un point de vue différent, d’autant que la convocation à la conférence de presse se limitait à réclamer un embargo jusqu’au 19 janvier, sans indication d’heure, et ne mentionnait que la nécessité d’informer le personnel en priorité. Cela ne signifie cependant pas qu’elle n’aurait commis aucune faute en diffusant les informations litigieuses le 18 au soir.

6. Un média qui estime un embargo injustifié et décide en conséquence de ne pas le respecter, précise la directive 4.4, doit en avertir la source. Cette obligation permet de satisfaire le principe de loyauté envers la source d’une part et aussi envers les autres médias qui peuvent ainsi être informés. Dans le cas d’espèce, la TSR était en contact permanent avec la direction d’André, dans le cadre notamment du tournage à réaliser pour la conférence de presse du lendemain, aucune circonstance pratique ne s’opposait donc à cette démarche. En informant André de ses intentions, la TSR aurait pu en outre tenter de vérifier les informations de provenance indirecte qu’elle a diffusées le 18 janvier au soir. En ne le faisant pas, elle a pris le risque, qui s’est concrétisé, de diffuser des informations fausses.

7. Lors du journal régional Tout en régions, la TSR a ainsi affirmé que 120 postes allaient être supprimés au siège lausannois du groupe. Cette erreur a été rectifiée dès le Téléjournal de 19 h. 30, où le chiffre de 75 licenciements au siège a été diffusé. Cette réaction est à l’honneur de la TSR. Elle n’efface pas le fait qu’une information fausse a été diffusée parce que le TSR n’a pas jugé utile de tenter de la vérifier auprès de la direction du groupe ou d’attendre les quelque vingt heures qui la séparaient de la conférence de presse. Contrairement à ce que fait valoir la TSR, respecter un tel délai n’aurait pas eu d’influence notoire sur le droit du public à l’information. Cela n’aurait notamment pas empêché la TSR de traiter les déclarations d’André et Cie lors de cette conférence de façon critique, à la lumière notamment des renseignements obtenus auprès d’autres sources.

8. André et Cie reproche en outre à la TSR d’avoir diffusé une information fausse en annonçant le retrait du soutien de l’UBS. La TSR fait valoir que cette information était exacte au moment où elle a été diffusée. Le Conseil de la presse n’est pas en mesure de vérifier comment la position de l’UBS vis-à-vis d’André et Cie a évolué dans la période critique. Il constate simplement que la réunion entre André et ses créanciers étaient agendée pour le 19 au matin et qu’avant cette date, la position des différentes parties pouvait évoluer. En donnant pour acquise une décision qui devait être communiquée aux intéressés le lendemain, le TJ prenait le risque, qui encore une fois s’est avéré, de diffuser une information fausse et dommageable pour André et Cie.

III. Conclusions

1. Le principe de loyauté envers les sources oblige les journalistes à respecter les embargos lorsque ceux-ci se justifient et n’ont pas pour seul but d’empêcher la circulation de l’information. Un embargo se justifie notamment lorsqu’il vise à retenir pendant une courte période l’annonce de mesures de licenciement dont le personnel concerné n’a pas encore été averti.

2. Lorsqu’une information ne peut être vérifiée auprès d’une source qui se prévaut d’un embargo dont la justification est incertaine, il convient de procéder à une pesée des intérêts entre l’intérêt public à une diffusion rapide de l’information et le risque de faire circuler une information erronée. Plus le délai demandé par la source est bref et les raisons invoquées pour ce délai raisonnables, plus le respect de l’embargo se justifie.

3. En choisissant de faire état des mesures prises par André et Cie dès le 18 janvier au soir, la TSR s’est privée sans raison suffisante d’une vérification qui aurait pu être obtenue dans les heures qui suivaient. Elle a diffusé une information incomplète et inexacte et ainsi violé le chiffre 3 de la «Déclaration».

4. Si le journaliste décide de ne pas respecter un embargo qui à ses yeux ne se justifie pas, il doit en informer la source comme le spécifie la Directive 4. 4. En manquant à cette obligation, la TSR a agi de façon déloyale envers André et Cie et violé le chiffre 4 de la «Déclaration».

5. La plainte est admise.