Nr. 6/2009
Compte rendu identifiable

(Service de protection de jeunesse du Canton de Vaud c. «Le Matin Bleu») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 6 février 2009

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I. En fait

A. Le 15 novembre 2007, le «Matin Bleu» a publié un article de Nicolas Zeitoun intitulé «Ils se battent pour récupérer Marine, 6 ans, placée ‹du jour au lendemain› dans un foyer». Le journal relate que «la petite fille n’a pas eu le temps de dire au revoir à ses camarades d’école. Alors que sa tante l’hébergeait depuis six mois pour cause de difficultés familiales, le Service de protection de la jeunesse (SPJ) l’a placé dans un foyer à la fin du mois d’octobre. Outré, son entourage remue ciel et terre pour la faire revenir.» Le journal mentionne le prénom et le nom de la tante de même que celle de la mère de la petite fille. En outre l’article est illustré avec des photos de ces personnes.

B. Le 8 janvier 2008, Philipp Lavanchy, le chef de Service de la protection de la jeunesse du Canton de Vaud (ensuite: SPJ), a déposé plainte auprès du Conseil de la presse à l’encontre du «Matin Bleu». Le plaignant juge «inadmissible que cet article mentionne son prénom, son âge, le nom de la famille et celui de sa tante relevant ainsi entièrement l’identité de Marine. De plus, l’article est illustré par deux photographes sur lesquelles l’enfant peut être aisément reconnu, même si l’une d’elle comprend un léger voile sur les yeux. (…) Immédiatement après la parution de cet article, Marine a été identifiée par ses camarades d’école et ceux du foyer dans lequel elle était accueillie. (…) Même si la mère ou la tante de Marine ont accepté de donner ces photographies et ces renseignements au journaliste, la responsabilité est entièrement engagée dans cette violation de la sphère privée.»

C. Le 12 février 2008, le rédacteur en chef du «Matin Bleu», Tristan Cerf, a pris position sur la plainte. Il précise que son journal a spontanément reconnu la «maladresse» relative à la divulgation de l’identité de l’enfant. «Il est néanmoins important de relever le contexte dans lequel a eu lieu la publication de l’article incriminé. C’est dans un esprit d’empathie envers cette enfant et le drame dont elle est victime que notre rédaction a souhaité lui consacrer tant de place (…) En effet, toute la rédaction, très touché par ce drame familial, s’est laissé entraîner par les émotions véhiculées en particulier par la mère et la tante de l’enfant, ces dernières ayant fait le choix de livrer les détails de leur tragédie à la presse.» Au vu de ces circonstances, «Le Matin Bleu» conclut au rejet de la plainte.

D. Selon l’art. 12 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.

E. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), d’Esther Diener-Morscher (vice-présidente) et d’Edy Salmina (vice-président), a traité la présente prise de position le 6 février 2009 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Selon la directive 7.6 (mention des noms) relative au chiffre 7 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste», les journalistes devraient en principe – sous réserve d’exceptions – publier «ni le nom ni d’autres éléments permettant l’identification, de manière à ce qu’une personne mentionnée dans un compte rendu ne puisse être identifiée hors de son cercle familial, social ou professionnel, informé indépendamment des médias».

2. Il n’est pas contesté par «Le Matin Bleu» que la fillette était reconnaissable sur la base des indications fournies dans l’article (prénom de l’enfant, nom et prénom de sa mère, nom et prénom de sa tante, photos de la fillette, de la mère et de la tante). De même, personne ne prétend, qu’il y avait un intérêt public prépondérant de dévoiler l’identité de l’enfant. En revanche, «Le Matin Bleu» fait valoir, en substance, que la publication était admissible, parce que la mère et la tante avaient donné leur accord en ce qui concerne leur identification.

3. Dans sa prise de position 26/2002 à propos d’un reportage sur le premier congé accordée à une mère détenue, le Conseil suisse de la presse relevait que la mention du nom complet de cette femme condamnée pour homicide, ainsi que la reproduction d’une photo la montrant avec ses deux filles mineures, représente une violation de la sphère privée des deux jeunes filles. «Cela reste valable même si les prises de vue ont été faites à la demande des jeunes filles et avec l’assentiment de la mère, mais non celle du père, à qui a été confiée leur éducation. Dans des cas semblables, les journalistes ont l’obligation d’accorder une attention prioritaire au bien des enfants.» D’une manière générale d’ailleurs, la directive 7.4 (enfants) relative à la «Déclaration» demande une retenue particulière dans les articles concernant des enfants.

4. En espèce, «Le Matin Bleu» n’allègue pas que la mère et la tante auraient accepté expressément de dévoiler l’identité de l’enfant. Au contraire, le responsable de la rubrique vaudoise du «Matin Bleu», Dominique Botti, a admis dans un courrier électronique avec le plaignant, que «le fait d’avoir révélé l’identité de la fillette en question a été, il est vrai, une maladresse contraire à notre volonté de mettre en avant l’intérêt d’une enfant dans un contexte familial difficile». Même si ont part de l’hypothèse d’un accord explicite, la rédaction aurait dû prendre en considération, que la mère et la tante ne pouvaient pas décider toutes seules de révéler l’identité de la fillette, étant donné qu’un tribunal leur avait enlevé la garde et que cette révélation ne correspondait certainement pas aux intérêts de l’enfant.

5. Selon l’art 10 alinéa 1 de son règlement, le Conseil suisse de le presse n’entre pas en matière sur des plaintes, lorsque, dans un cas de peu d’importance, la rédaction concernée a déjà présenté des excuses publiques. Cette disposition toutefois ne s’applique pas à ce cas. En effet, «Le Matin Bleu» n’a reconnu son «maladresse» que vis à vis du plaignant, mais ne l’a pas rendu public.

III. Conclusion

1. La plainte est admise.

2. En divulguant l’identité de l’enfant concernée dans l’article «Ils se battent pour récupérer Marine, 6 ans, placée ‹du jour au lendemain› dans un foyer», paru le 15 novembre 2007, «Le Matin Bleu» a violé le chiffre 7 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (respect de la vie privée).