Nr. 17/2008
Compte rendu identifiable / Protection des victimes

(Commission cantonale de référence en matière de violence et maltraitance envers les mineurs c. «Le Matin»/«Tribune de Genève») Prise de Position du Conseil suisse de

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Zusammenfassung

Resumé

Riassunto

I. En fait

A. Le 1er septembre 2007, sur la base d’une dépêche ATS, le «Courrier» et «La Liberté» ont publié un article intitulé «Un père tortionnaire de sa fille sous les verrous». L’article indiquait qu’à Meyrin (GE) une adolescente de seize ans a été menacée de mort, frappée et torturée par son père, car elle ne voulait pas révéler le mot de passe d’une messagerie électronique qui lui permettait de communiquer avec un garçon. «Le père indigne a été prévenu de menaces et de lésions corporelles simples. Il a pu être arrêté après une plainte déposée par l’école que fréquentait l’adolescente. Les enseignants ont remarqué les traces de coups et ont dénoncé le cas, a expliqué le porte-parole de la police.»

B. «Le Matin» a rendu compte du même cas le 4 septembre 2007. Le journal demandait: «Qui ment, le père ou sa fille?» En utilisant des prénoms d’emprunt l’article indiquait: «En tous cas, Rachid, 46 ans, Britannique d’origine algérienne, dément formellement avoir levé la main sur Fatima, bientôt 16 ans. L’ado tient un tout autre discours: elle affirme que son père l’a tabassée et presque tuée (…) Aujourd’hui ce dernier est incarcéré à la prison genevoise de Champ-Dollon.» Selon un voisin, le père accusé serait quelqu’un de «très discret, très croyant. Sa femme et sa fille sont voilées. Lorsque je le croisais avec sa famille, c’était le seul qui lâchait quelques mots. Sa fille était très réservée, timide même, je pense. Elle est effacée, cette petite.»

C. Le 5 septembre 2007 «La Tribune de Genève» a publié un article intitulé «Adolescente brutalisée. Son père conteste». Le journal indiquait que le père de l’adolescente conteste la version des événements donnée par sa fille et par la police. «Pour justifier sa colère, il explique que la demoiselle surfait sur des sites pornographiques. Il affirme que s’il l’a engueulée, il n’a pas levé la main sur elle. (…) Qui est-il? Algérien, il a obtenu la nationalité britannique par mariage. Cet ex-chauffeur des Transport Publics Genevois (TPG) a épousé une Anglaise avec laquelle il a eu trois filles. La plus jeune étant âgée de 18 mois. La mère, selon nos sources, occuperait un poste important dans une multinationale et viendrait d’une famille aisée. L’adolescente fréquentait une école privée: le Collège du Léman.»

D. Le 20 septembre et le 14 décembre 2007, la Commission cantonale de référence en matière de violence et maltraitance envers les mineurs de la République et Canton de Genève (ci-après: plaignante) s’est adressée au Conseil suisse de la presse. Selon la plaignante, sur la base des éléments communiqués dans les journaux – surtout des articles de la «Tribune de Genève» et du «Matin» – «la jeune fille en cause, ses sœurs, son père et sa mère étaient clairement identifiables. Le nom et une photo de l’école de l’adolescente ont été publiés. L’immeuble dans lequel elle habitait avec ses parents, le nom de sa commune, son origine socioculturelle, sa confession, le fait qu’elle avait été placée dans un foyer ont été révélés. Toutes les informations qui ont ainsi été portées à la connaissance des lecteurs sont de nature à porter atteinte à la sphère privée des personnes en cause et susceptibles d’affecter gravement la santé de cette jeune fille. Bien que le père de la jeune fille et son avocat se soient adressés directement à la presse à plusieurs reprises, il nous paraît que les journalistes qui ont mené leur travail d’enquête ne pouvaient faire fi de leur devoir de réserve» demandé par les chiffres 7 (respect de la sphère privée) et 8 (protection des victimes) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».

Selon l’assistant social en charge de ce dossier, «suite aux articles parus dans la presse, la fille s’est sentie humiliée, ‹violée› dans son intimité. Elle n’osait plus sortir dans la rue de peur d’être reconnue et questionnée. La médiatisation a donc largement accentué son isolement, ses angoisses, sa souffrance dépressive, son sentiment de persécution et de rejet ainsi que ses symptômes caractéristiques d’un état de stress post-traumatique.» Et d’après sa psychologue, l’adolescente a «souffert de devoir quitter son école et ses amis, du fait d’une importante médiatisation de son histoire. Elle dit par ailleurs qu’elle n’aurait pas supporté de rester le centre d’attention de ses camarades ou de susciter leur pitié.» Une autre conséquence serait que la jeune fille aurait également perdu une année scolaire. «En effet, la médiatisation de son dossier a largement contribué à ralentir et alourdir la procédure d’admission dans une nouvelle école (le milieu scolaire voulant obtenir toute garantie possible avant d’accepter une élève si médiatisée).»

E. Conformément à l’art. 10 al. 7 du règlement du Conseil suisse de la presse, la présidence peut se prononcer définitivement sur des plaintes qui, dans leurs traits essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil ou qui paraissent d’une importance mineure.

F. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée d’Esther Diener-Morscher (vice-présidente) et Edy Salmina (vice-président), a traité la présente prise de position le 16 mai 2008 par voie de correspondance. Dominique von Burg (président), rédacteur à la «Tribune de Genève», s’est récusé.

II. Considérants

1. Selon la directive 7.6 (mention des noms) relative au chiffre 7 de la «Déclaration», les journalistes devraient en principe – sous réserve d’exceptions – publier «ni le nom ni d’autres éléments permettant l’identification, de manière à ce qu’une personne mentionnée dans un compte rendu ne puisse être identifiée hors de son cercle familial, social ou professionnel, informé indépendamment des médias».

2. a) La plaignante fait surtout grief à la «Tribune de Genève» et au «Matin» d’avoir permis l’identification de la victime. Effectivement les articles de la «Tribune de Genève» et du «Matin» donnent beaucoup plus de détails sur les personnes impliquées que celui du «Courrier»/«La Liberté». Est-ce que ces indications étaient nécessaires pour la compréhension des lecteurs? Et est-ce que les deux journaux n’auraient pas dû renoncer au moins à une partie de ces indications?

b) Le Conseil de la presse constate d’abord qu’aucun des journaux n’a donné le nom du père ni celui de la victime. Et même l’anonymisation la plus scrupuleuse ne peut jamais empêcher entièrement les protagonistes d’une affaire d’être identifiés dans un cercle restreint familial, social ou professionnel. La question que doit se poser le Conseil de la presse n’est donc pas de savoir si toute identification des personnes impliquées était impossible, mais si «Le Matin» et/ou «La Tribune de Genève» ont fourni inutilement des informations permettant une identification dans un cercle plus large.

c) Dans l’article du «Matin», on voit une image d’un quartier à Meyrin. Cette ville dans le canton de Genève a plus de 20’000 habitants. On apprend l’âge de la fille, celle du père, l’origine algérienne et la nationalité britannique de ce dernier et le témoignage d’un voisin observant la croyance de cette famille. Pour le Conseil de la presse, dans ce contexte urbain, il semble improbable que le père, la fille et les autres membres de la famille soient reconnaissables par des tiers hors du cercle familial et social, sur la base des informations contenues dans l’article contesté.

d) L’article de la «Tribune de Genève» nomme l’école privée fréquentée par la fille et montre une photo de cet établissement. Il mentionne l’origine algérienne et la nation
alité britannique du père, précise que ce dernier a travaillé antérieurement pour les services de transports publics et que la famille a trois filles dont la plus jeune a 18 mois. En outre, il indique que la femme occuperait un poste important dans une multinationale et serait issue d’une famille aisée. Là aussi, une identification par des tiers, sur la base de ces seules informations, semble peu probable.

e) En résumé, pour le Conseil de la presse, «Le Matin» et la «Tribune de Genève» n’ont pas violé le chiffre 7 de la «Déclaration».

3. a) Selon la directive 8.3 (protection des victimes) relative au chiffre 8 de la «Déclaration», «les auteurs des comptes rendus et reportages sur des événements dramatiques ou des actes de violence devront toujours peser avec soin le droit du public à être informé et les intérêts des victimes et des personnes concernées. Le/la journaliste proscrit toute présentation de caractère sensationnel, dans laquelle la personne est dégradée au rang d’objet. C’est en particulier le cas des mourants, de personnes souffrantes, de cadavres dont l’évocation par le texte ou la présentation par l’image dépasseraient, par les détails des descriptions, la durée ou la grosseur des plans, les limites de la nécessaire et légitime information du public.»

b) Est-ce que les deux journaux auraient dû montrer plus de réserve par respect pour la victime? A première vue, on serait tenté de répondre à cette question par l’affirmative. Parce que la plaignante fait valoir de manière crédible que l’adolescente maltraitée a souffert à nouveau à cause de la médiatisation de son cas. Mais est-ce que cet effet secondaire aurait pu être évité? Oui, probablement, si les journaux avaient renoncé entièrement à informer le public de ce cas. Néanmoins, en tenant compte de la disproportionalité du comportement incroyable du père et de la gravité de la maltraitance envers l’adolescente, il existait un intérêt public évident pour les médias à rendre compte de ce cas. L’importance relative qui lui a été conférée relève de la marge d’appréciation de chaque média.

c) Même après la publication de l’article du «Courrier»/«La Liberté», qui donne très peu d’informations quant aux personnes concernées, on ne pourrait pas exclure des effets négatifs pour la victime. Car il semble guère réaliste, que cette information ne devienne pas la source de rumeurs soit à l’école fréquentée par la fille, soit dans son voisinage. Ce qui est décisif pour le Conseil de la presse sous l’angle du chiffre 8 de la «Déclaration» (dignité humaine) et la directive 8.3 y relative, c’est qu’aucun des deux journaux visés par la plainte n’a présenté les faits d’une manière sensationnelle et que les informations contenues dans les comptes rendus ne sont pas sans pertinence pour la compréhension du contexte de cette affaire.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. «La Tribune de Genève» («Adolescente brutalisée. Son père conteste»; article du 5 septembre 2007) et «Le Matin» («Qui ment, le père ou sa fille?»; article du 4 septembre 2007) n’ont pas violé les chiffres 7 (respect de la vie privée) et 8 (protection des victimes) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».

Zusammenfassung

Resumé

Riassunto