Nr. 78/2020
Indépendance de la profession / Devoir de consultation

Impressum c. La Région Hebdo SA

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Zusammenfassung

Der Schweizer Presserat weist eine Beschwerde von «Impressum», dem Berufsverband der Journalistinnen und Journalisten, gegen den Verlag der Zeitung «La Région Nord vaudois» ab. Anlass für die Beschwerde waren die turbulenten Umstände, unter denen das Arbeitsverhältnis der ehemaligen Chefredaktorin Caroline Gebhard beendet worden war. Der Sachverhalt war umstritten und Gegenstand eines gerichtlichen Vergleichs, in dem sich die Parteien auf strikte Vertraulichkeit geeinigt hatten. Angesichts der zwei völlig unterschiedlichen Versionen der beiden Parteien war es für den Presserat nicht möglich, Stellung zu beziehen.

Hingegen verurteilt er die Einmischung der Stadtverwaltung von Yverdon-les-Bains in die redaktionelle Freiheit der Zeitung scharf. Zwar kann der Presserat von einer Behörde nicht verlangen, die journalistische Ethik zu respektieren. Angesichts dieses aussergewöhnlichen Falles kann er jedoch nicht einfach schweigen. Es ist nicht akzeptabel, dass Vertreter der Stadt versucht haben, Druck auf die redaktionelle Linie der Zeitung auszuüben. Eine solche Einmischung ist umso problematischer, als sich die Medien, und insbesondere die lokalen Medien, in einer sehr prekären wirtschaftlichen Lage befinden und daher weniger in der Lage sind, einem solchen Druck standzuhalten.

Résumé

Le Conseil suisse de la presse a rejeté la plainte de l’organisation de journalistes Impressum dirigée contre la société éditrice du journal La Région Nord vaudois. La plainte était motivée par les circonstances – mouvementées – dans lesquelles l’engagement de l’ancienne rédactrice en chef Caroline Gebhard avait pris fin. Les faits étant contestés de part et d’autre et ayant fait l’objet d’une transaction judiciaire aux termes de laquelle les parties se sont astreintes à une stricte confidentialité, il n’était pas possible pour le Conseil de la presse de trancher entre des versions totalement divergentes.

En revanche, le Conseil de la presse condamne l’ingérence de la municipalité d’Yverdon-les-Bains dans la liberté rédactionnelle du journal. Le Conseil de la presse n’a certes aucune compétence pour exiger d’une autorité, quelle qu’elle soit, le respect de la déontologie journalistique, mais ne peut rester non plus sans réagir face à un tel cas. Il n’est pas acceptable que des représentants des autorités municipales aient cherché à exercer une pression sur la ligne éditoriale du titre. Cette ingérence est d’autant plus condamnable que les médias, et plus particulièrement les médias locaux, se trouvent dans une situation économique d’une grande précarité et sont donc moins en mesure de résister à de telles pressions.

Riassunto

Il Consiglio svizzero della stampa non ha accolto il reclamo presentato dall’associazione professionale dei giornalisti «Impressum» contro la società editrice del giornale «La Région Nord vaudois». Il reclamo prendeva spunto dalle circostanze intricate che avevano caratterizzato il congedo della direttrice, Caroline Gebhard. I fatti erano contestati sui due fronti e per finire avevano fatto oggetto di un accomodamento, che prevedeva il rispetto della stretta confidenzialità. Il Consiglio della stampa, in tali condizioni, non è stato in grado di dar ragione all’una oppure all’altra parte in conflitto.

Il Consiglio ha invece deplorato l’ingerenza del Comune di Yverdon-les-Bains nella libertà redazionale del giornale. Il Consiglio riconosce di non avere la competenza di esigere da una qualsiasi autorità il rispetto della deontologia giornalistica. Ma non può omettere di reagire di fronte al tentativo di rappresentanti del Comune di intromettersi nella linea editoriale di un giornale. Tanto più in questo momento di difficoltà economiche che rendono difficile ai media di resistere alle pressioni.

I. En fait

A. Par courrier du 7 août 2019, l’organisation de journalistes Impressum a saisi le Conseil suisse de la presse d’une plainte contre La Région Hebdo SA, société éditrice du bi-hebdomadaire «La Région Nord vaudois».

La plainte a trait aux circonstances ayant conduit à la fin des rapports de travail, en juin-juillet 2019, entre l’éditeur et la rédactrice en chef du journal, Caroline Gebhard. Selon l’organisation plaignante, le départ de cette dernière se serait accompagné de divers manquements, de la part de l’éditeur, aux principes de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».

Impressum cite en particulier une lettre adressée à la rédactrice en chef par le syndic et le secrétaire de la ville d’Yverdon-les-Bains, datée du 23 mai 2019. Plusieurs griefs, importants, étaient adressés à la journaliste sur sa couverture de l’actualité régionale. Ce courrier indiquait qu’en raison de son mécontentement, la municipalité avait décidé de suspendre jusqu’à nouvel avis la collaboration qu’elle avait avec le journal, portant sur la publication dans ce dernier, contre rémunération, de la lettre d’information municipale «Rive Sud».

L’organisation plaignante reproche à la société éditrice «d’avoir fait siens les griefs exprimés par la municipalité» dans cette lettre pour se défaire de la rédactrice en chef et d’avoir ainsi violé les devoirs qui lui incombent au titre des points 2 (défense de l’indépendance de la profession) et 11 (n’accepter de directives que des seuls responsables de la rédaction) de la «Déclaration des devoirs du/de la journaliste».

Selon Impressum, les lettres c) et d) de de la «Déclaration des droits» auraient également été enfreintes. Ces dispositions autorisent le journaliste à refuser d’exécuter les directives de son employeur lorsque celles-ci sont contraires à ses devoirs professionnels; elles lui assurent en outre d’être informé et consulté sur les décisions de son employeur affectant la vie de la rédaction.

B. Invitée à se déterminer, la société La Région Hebdo SA a fait valoir, par l’entremise d’un avocat, que la plainte ne portait pas sur des contestations relatives à la partie rédactionnelle d’un média et échappait donc à la compétence du Conseil de la presse. Elle a pour le surplus contesté l’ensemble des faits allégués par Impressum, affirmant en particulier qu’il était inexact de prétendre que la rédactrice en chef avait été «licenciée» ou «évincée». Elle a également indiqué – ce que la plaignante avait omis alors qu’elle en avait le devoir – qu’un litige de droit du travail était pendant entre les parties et que l’autorité judiciaire compétente aurait à trancher sur des questions de fait, contestés de part et d’autre.

C. La présidence du Conseil suisse de la presse a confié le traitement de la plainte à sa 2e chambre, composée de Dominique von Burg (président), Sonia Arnal, Michel Bührer, Annik Dubied, Denis Masmejan, François Mauron et Mélanie Pitteloud. La chambre en a traité lors de ses séances des 30 août et 7 novembre 2019 ainsi que par voie de correspondance.

D. Dans un communiqué de presse diffusé le 14 juillet 2020, Impressum a indiqué que Caroline Gebhard et son employeur étaient parvenus à un accord dont la teneur n’a par ailleurs pas été révélée, les parties s’étant engagées à la tenir confidentielle.

II. Considérants

1. Les reproches adressés par la plaignante à la société éditrice du journal, et plus spécifiquement à son conseil d’administration, reposent sur des faits qui ont été contestés en bloc par ce dernier. Lorsque l’élucidation des faits est décisive pour son appréciation, que ces faits sont contestés entre les parties et que le Conseil de la presse n’est pas en mesure de trancher entre les diverses versions qui lui sont présentées, il a pour pratique de renoncer à se prononcer sur le point litigieux. Tel doit être le cas ici, d’autant plus que les deux parties se sont finalement entendues pour ne faire aucun commentaire en marge de l’accord qu’elles ont trouvé pour mettre fin à leur litige.

2. L’existence de la lettre adressée à Caroline Gebhard par le syndic et le secrétaire municipal d’Yverdon-les-Bains est le seul fait non contesté du dossier. Une autorité municipale, comme d’ailleurs l’ensemble des pouvoirs publics de quelque niveau qu’ils soient, ne sont pas soumis à la déontologie journalistique. Le Conseil de la presse ne saurait donc apprécier si le comportement des deux représentants municipaux signataires de la lettre est conforme ou non aux règles de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».

3. Compte tenu du retentissement de l’affaire et de ses enjeux – au moment où les pouvoirs publics sont sollicités de soutenir financièrement les médias, en particulier régionaux – le Conseil de la presse estime néanmoins de son devoir d’apporter les observations suivantes.

4. La décision de la municipalité de suspendre l’insertion de la publication municipale dans le journal en raison du mécontentement des élus quant à la ligne éditoriale suivie par la rédactrice en chef est analogue au boycott d’un média décidé par un annonceur. En pareille hypothèse, la rédaction concernée a le devoir de rendre public ce boycott. Cette règle découle de la séparation, dont l’éthique professionnelle est garante, entre la partie publicitaire et la partie rédactionnelle d’un média. Il doit en aller de même lorsqu’il s’agit de la publication d’un contenu préparé par une municipalité et non par la rédaction elle-même.

5. Dans le cas précis, en suspendant la publication de son supplément en raison du mécontentement qu’elle éprouvait à l’égard du travail de la rédactrice en chef, la municipalité d’Yverdon-les-Bains a cherché à exercer une pression sur la ligne éditoriale du journal. En tant qu’organe étatique, soumis au respect de la liberté des médias (art. 17 de la Constitution fédérale), il lui appartenait au contraire de s’abstenir de toute démarche de ce type. Son comportement apparaît dès lors inacceptable.

6. Au moment où les médias en général, mais la presse régionale tout particulièrement, voient leurs conditions économiques se détériorer dramatiquement, le Conseil de la presse appelle l’ensemble des pouvoirs publics à éviter toute forme de pression, d’ingérence ou d’influence sur le contenu rédactionnel en échange de quelque soutien que ce soit. Que les médias aient besoin d’une aide publique ne doit en aucun cas signifier que les pouvoirs publics sont en droit de dicter la manière dont un média doit traiter ses sujets ni de choisir celle ou celui qui dirige une rédaction.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.
2. Le Conseil suisse de la presse condamne l’ingérence de la municipalité d’Yverdon-les-Bains dans la liberté rédactionnelle du journal «La Région Nord Vaudois».