Nr. 75/2020
Recherche de la vérité

Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP) du canton de Genève c. «L’illustré»

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Zusammenfassung

Der tragische Tod eines vierjährigen Kindes, herbeigeführt vermutlich von seinem Vater als Folge des Konflikts, der seine Eltern seit ihrer Trennung entzweite, hat in Genf grosse Emotionen ausgelöst. «L’illustré» berichtete über einen «Weissen Marsch» (Marche blanche) und liess dabei auch die Anwältin der Mutter zu Wort kommen. Diese äusserte die Meinung, das System und insbesondere der «Service de protection des mineurs du canton de Genève», d.h. die Kinderschutzbehörde, funktioniere nicht richtig. In einem Leitartikel stellt der Journalist Fragen und fordert eine Untersuchung dieser Missstände.

In ihrer Beschwerde an den Schweizer Presserat stellt die Bildungsdirektion Genf den Leitartikel in Frage und beklagt, dass der Journalist die Direktion nicht angehört hat.

Der Presserat kommt zum Schluss, dass der Leitartikel die akzeptierten Grenzen weitgehend respektierte. Hingegen ist er der Ansicht, dass «L’illustré» seiner Pflicht zur Wahrheitssuche nicht nachgekommen ist, da das Magazin es nicht für notwendig erachtete, den Standpunkt der betroffenen Behörde einzuholen. Selbst wenn die Beschwerdeführerin formell den Leitartikel und nicht den Artikel kritisierte, hält der Presserat die Unterlassung für schwerwiegend genug, um eine Verletzung von Ziffer 1 der «Erklärung der Pflichten und Rechte der Journalistinnen und Journalisten» festzustellen.

Résumé

Le décès tragique d’un enfant de quatre ans, vraisemblablement entraîné dans la mort par son père suite au conflit qui déchire les parents depuis leur séparation, a créé une vive émotion à Genève. «L’illustré» rend compte d’une «Marche blanche», et donne la parole à l’avocate de la mère, qui juge que le système, et en particulier le Service de protection des mineurs du canton de Genève, ont dysfonctionné. Dans un éditorial, le journaliste pose des questions et en appelle à l’examen de ce «dysfonctionnement».

Dans sa plainte au Conseil de la presse, le Département de l’Instruction publique met en cause l’éditorial et le fait que le journaliste n’ait pas cherché à recueillir les explications du Département.

Pour le Conseil de la presse, l’éditorial reste largement dans les limites admises. En revanche, le CSP estime que «L’illustré» a failli au devoir de rechercher la vérité, en ne jugeant pas nécessaire de recueillir le point de vue du service public mis en cause. Même si formellement le plaignant a tancé l’éditorial plutôt que l’article, le CSP juge l’omission assez grave pour constituer une violation du chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».

Riassunto

La tragica morte di un bambino di quattro anni, probabilmente causata dal padre nel contesto di un conflitto che lacerava le relazioni con sua moglie dopo la separazione dei due coniugi, aveva destato una forte emozione a Ginevra. «L’illustré» riferisce di una «marcia bianca» e dà la parola al legale della madre, che addebita al Servizio di tutela dei minori del Cantone una parte di responsabilità. Nell’editoriale si appella pubblicamente ai responsabili e li esorta a riflettere sul «mal funzionamento».

Nel reclamo presentato al Consiglio della stampa, il Dipartimento dell’Istruzione Pubblica del Cantone critica quell’editoriale e rimprovera al giornalista di non aver raccolto le spiegazioni dell’autorità. Il Consiglio della stampa ritiene che l’editoriale sia rimasto nei limiti. Ma constata una mancanza al dovere di ricerca della verità da parte della redazione, in quanto ha mancato di raccogliere il parere del servizio messo in causa. Benché il reclamo ponesse l’accento soprattutto sull’editoriale, il Consiglio della stampa ritiene più grave l’omessa consultazione della parte messa in causa: una chiara violazione della Cifra 1 della «Dichiarazione dei doveri e dei diritti del giornalista».

I. En fait

A. En date du 9 octobre 2019, «L’illustré» publie, sous la signature de Patrick Baumann, un éditorial intitulé «Agir, pour que Thomas ne soit pas mort en vain» ainsi qu’un article important intitulé «Au nom de Thomas». Tous deux traitent de l’affaire d’un enfant de 4 ans retrouvé noyé dans le Rhône le 22 septembre 2019.

Selon l’article, le petit Thomas aurait été «entraîné dans la mort par son père, en conflit avec son ex-compagne depuis leur séparation». Le journaliste revient sur une marche blanche qui a eu lieu le 29 septembre 2019 à Genève et donne la parole à l’avocate de la mère de Thomas ainsi qu’à une amie de cette dernière. Le journaliste estime que l’affaire «nécessite désormais une analyse précise et détaillée des circonstances qui ont mené au drame» et parle – en citant l’avocate – de «dysfonctionnements» du système.

Dans l’éditorial, le journaliste choisit un ton plus personnel. Il pose d’abord une série de questions autour du drame, plus précisément autour de la question de savoir si celui-ci aurait pu être évité par la justice et le Service de protection des mineurs du canton de Genève (SPMi). En rappelant que le mode de fonctionnement du SPMi est déjà mis en cause par une pétition, le journaliste conclut: «Plus que des têtes qui tombent, on attend désormais qu’une enquête interne mette au jour les dysfonctionnements de façon à proposer un système plus efficace.»

B. Le 28 octobre 2019, le Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (par la suite «DIP») du canton de Genève porte plainte devant le Conseil suisse de la presse contre «L’illustré» et contre l’auteur Patrick Baumann. Selon le plaignant, seul l’avis des proches de la mère est reflété de manière unilatérale dans l’article. Bien qu’il y voie un choix éditorial «déséquilibré», il ne souhaite pas mettre en question ce dernier, et sa plainte se focalise sur l’éditorial. Dans ce dernier, le plaignant voit les chiffres 1 et 3 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration») violés.
a. Le plaignant relève que le journaliste n’avait pas, contrairement à d’autres médias, contacté le DIP pour recevoir des informations qui auraient permis au journaliste «de relativiser la responsabilité du SPMI» et d’«établir la vérité des faits avant de donner son opinion». Selon le plaignant, l’éditorial a donc violé le chiffre 1 de la «Déclaration» vu qu’il «vise et incrimine le SPMi sans qu’aucune vérification n’ait été faite en amont du propos».

b. Selon le plaignant, «à ce stade, rien ne permet de dire qu’il y a eu un dysfonctionnement institutionnel» et que, «à moins d’une information nouvelle, l’institution n’est pas responsable du décès tragique du petit Thomas». En affirmant un dysfonctionnement institutionnel sans le déclarer comme une «nouvelle non confirmée», le journaliste «mélange les faits et son opinion». Pour le plaignant, le chiffre 3 de la «Déclaration» a donc été violé.

c. Le plaignant rappelle aussi, sans référence directe à un chiffre de la «Déclaration», que les circonstances du drame (découverte de la voiture du père près du Rhône, corps du père retrouvé dans le fleuve quelques jours plus tard) «donnent à penser que le père pourrait être le meurtrier» mais que «la justice ne confirme ni n’infirme le meurtre de l’enfant par le père au moment de la parution».

C. Dans sa prise de position datée du 13 janvier 2020, le rédacteur en chef de «l’illustré», Michel Jeanneret, ainsi que le journaliste Patrick Baumann, disent ne pas pouvoir accepter les accusations.

a. «L’illustré» rappelle que l’éditorial se veut «justement l’expression d’une opinion, donc un espace de subjectivité pour le journaliste» et souligne que l’opinion du journaliste est «formulée essentiellement sous forme de questions» dans l’éditorial visé par la plainte.

b. En ce qui concerne l’accusation de diffamation de l’institution et du reproche que le journaliste a utilisé le terme «dysfonctionnements», «L’illustré» est de l’avis qu’il est «légitime, lorsqu’un enfant meurt dans des conditions aussi dramatiques, de se poser la question si quelque chose a dysfonctionné». En outre, contrairement à ce que le plaignant affirme, le journaliste n’a pas tenu le SPMi pour responsable de la mort de l’enfant mais il «relaye en [s]on nom les souhaits de l’avocate de la mère du petit Thomas Duarte, qui a été juge au tribunal des mineurs et parle en connaissance de cause, appelant de ses vœux l’établissement d’une enquête interne».

D. La présidence du Conseil de la presse confie le traitement de la plainte à sa 2ème Chambre, composée de Dominique von Burg (président), Sonia Arnal, Michel Bührer, Annik Dubied, Denis Masmejan, François Mauron et Mélanie Pitteloud.

E. La 2ème Chambre du Conseil de presse traite la plainte lors de sa séance du 17 septembre 2020 ainsi que par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Pour le Conseil de presse, l’éditorial est clairement reconnaissable comme reflétant le point de vue du journaliste. De plus, l’«illustré» relève avec raison que plutôt que d’accuser le SPMi, cet éditorial soulève une série de questions légitimes.

2. En revanche, le Conseil de la presse s’étonne que le journaliste n’ait pas jugé bon, dans le cadre de son article, cette fois, de recueillir le point de vue du Département de l’instruction publique avant de rédiger son éditorial – même si ce point ne fait pas l’objet d’une plainte directe du SPMi. Cette omission n’est en tout cas pas contestée par le magazine dans sa prise de position. Et si le Conseil de la presse reconnaît la liberté du commentaire, il a souligné à plus d’une reprise que même dans un commentaire forcément subjectif, les règles déontologiques doivent être respectées. En l’occurrence, recueillir le point de vue de l’Institution mise en cause faisait partie de l’obligation de rechercher la vérité. En bonne logique d’ailleurs, la réaction du SPMi aurait dû figurer dans l’article principal plutôt que dans l’éditorial. Mais dans tous les cas de figure, elle était une composante indispensable du traitement de cette affaire. Le chiffre 1 de la «Déclaration» est donc violé.

3. La violation du chiffre 3 (donner comme telles les nouvelles non confirmées) de la «Déclaration» n’est quant à elle pas établie pour le Conseil de la presse. Affirmer un dysfonctionnement institutionnel est un point de vue défendable dans un éditorial et non une information à confirmer. Par ailleurs, même s’il est vrai que la responsabilité du père dans la mort de l’enfant n’était pas formellement établie, elle ne faisait guère de doute. Le chiffre 3 de la «Déclaration» n’est donc pas violé.

III. Conclusions

1. La plainte est partiellement admise.

2. En omettant de recueillir le point de vue du Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse avant de rédiger l’éditorial «Agir, pour que Thomas ne soit pas mort en vain», l’«illustré» a violé le chiffre 1 (rechercher la vérité) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».

3. L’«illustré» n’a pas violé le chiffre 3 (donner comme telles les nouvelles non confirmées) de la «Déclaration».