Nr. 41/2022
Recherche de la vérité / Respect de la vie privée

(X./Y. c. «20 Minutes»)

Drucken

I. En fait

A. Le 5 mai 2021, sous la signature de Christian Humbert, «20 Minutes» publie un article intitule «Les chamailleries de deux frères finissent au tribunal». L’article est mentionné à la «Une» sous le titre «Crottes et coups bas entre héritiers fâchés». Il rend compte d’une séance du Tribunal de police de Vevey. L’affaire oppose deux héritiers «d’une personnalité du canton», qui occupent une propriété et feraient tout pour inciter l’autre à vider les lieux depuis sept ans. Il est par exemple question de branches d’arbres coupées en représailles de cueillettes de cerises indues. Ou encore de la manière de gérer l’allumage électrique pour gêner l’autre, de bruit occasionné pour gêner l’autre, ou de conflits autour d’un compost. L’article précise qu’une conciliation a échoué et que le conflit pourrait perdurer, une plainte pour dénonciation calomnieuse étant pendante.

B. Le 7 mai 2021, sur le site de «20 Minutes», le même journaliste publie une brève nouvelle intitulée «Familles en guerre: tous condamnés». Les deux frères et l’épouse de l’un des deux ont en effet écopé de jours amendes, ce que l’article rapporte.

C. Le 1er août 2021, X. et Y. saisissent le Conseil suisse de la presse. Pour l’article du 5 mai, la plainte allègue pour l’essentiel des manquements à la recherche de la vérité. Parmi les faits contestés: l’héritage remonterait à huit ans (et pas sept) mais le conflit n’aurait éclaté qu’un peu plus tard. Il ne s’agirait pas que de «chamailleries», un pseudo-testament ayant même dû être annulé. Rien dans le dossier pénal ne prouverait en outre que le cerisier n’appartienne qu’à un des frères. L’accusation de bruit occasionné intentionnellement ne repose enfin que sur un témoignage, et non sur le dossier.

La plainte estime également que la vie privée des protagonistes n’a pas été respectée. D’abord, parce que, comme le prouverait un sondage auprès des lecteurs de «20 Minutes», les trois quarts auraient jugé l’article «pas important». Ensuite parce que les personnes en cause seraient aisément reconnaissables, notamment dans le village où elles habitent. Les reproches faits au second article sont analogues.

La plainte s’en prend par ailleurs à l’auteur de l’article, qui aurait recherché le sensationnalisme plutôt que la vérité, et dont les méthodes seraient largement critiquées.

D. Le 19 octobre 2021, le Conseil de la presse informe les plaignants que leur plainte sera traitée par la présidence du Conseil.

E. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, «la présidence traite les plaintes sur lesquelles le Conseil n’entre pas en matière».

F. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Susan Boos (présidente), Annik Dubied (vice-présidente), Jan Grüebler (vice-président) et Ursina Wey (directrice), a traité la plainte le 9 novembre 2022 par correspondance.

II. Considérants

1. L’article 11 du Règlement du Conseil suisse de la presse stipule qu’une des raisons de ne pas entrer en matière sur une plainte est qu’elle est manifestement infondée.

2. En l’occurrence, il s’agit dans le cas du premier article d’un compte-rendu d’audience, et dans le second cas d’un bref compte-rendu de jugement. Or les règles déontologiques n’exigent pas que chaque fait rapporté devant un tribunal soit vérifié par ailleurs, pour autant qu’il soit clair pour le public qu’on est en présence d’un compte-rendu d’audience.

3. Pour de qui est de la protection de la vie privée des personnes jugées, les indications données par les articles ne permettent pas de les identifier au-delà du cercle de leurs connaissances. Que les gens du village les reconnaissent n’est pas surprenant, ni problématique du point de vue déontologique, pour autant qu’au-delà ils ne soient pas reconnaissables. Dans ces conditions, il est évidemment licite de rendre compte de l’audience publique d’un tribunal. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’un article est jugé «peu important» par un sondage qu’il ne doit pas être publié. Les rédactions sont libres de déterminer ce qu’elles publient.

4. Concernant les reproches généraux faits au journaliste par les plaignants, il n’appartient pas au Conseil de la presse de se prononcer à cet égard. De plus, les reproches de partialité allégués par les plaignants ne sont pas fondés aux yeux du Conseil de la presse.

III. Conclusion

Le Conseil suisse de la presse n’entre pas en matière sur la plainte.