Nr. 40/2022
Recherche de la vérité / Devoir de rectification

(X. c. «24 Heures»)

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I. En fait

A. Le 16 septembre 1921, «24 Heures» publie, sous la plume de Cécile Denayrouse, un article qui porte le titre suivant: «Aujourd’hui pour moi, se faire vacciner est une évidence». L’article est un témoignage de Claudio Alessi. Rapatrié d’urgence de ses vacances aux Maldives, il «est passé à deux doigts de la mort» suite à une infection au coronavirus. Une fois sorti des soins intensifs, il a décidé de raconter son histoire, car pour lui «le Covid n’est définitivement pas une ‹grippette› comme l’affirment certains». Comme d’autres sportifs il se croyait à l’abri d’une infection grave: «Grand sportif, expert en arts martiaux, habitué aux trails, aux Spartan Races et aux camps extrêmes en tous genres (…) il ne boit pas une goutte d’alcool, ne fume pas, vit et mange le plus sainement possible depuis près de cinquante ans.»

B. Le 22 septembre 2021, X. saisit le Conseil suisse de la presse. Pour lui, le journal a violé l’obligation de «prendre en compte toutes les données disponibles» (chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste», ci-après «Déclaration»). Se référant notamment à un portrait de Claudio Alessi paru le 15 novembre 2012 dans «Genève Home Information», il rappelle que celui que «24 Heures» présente comme «un sportif accompli sans problème de santé» est un grand prématuré qui a notamment dû surmonter de graves problèmes respiratoires, problèmes que l’article incriminé ne mentionne nullement. Par ailleurs, le plaignant reproche au journal de ne pas avoir publié de rectification (chiffre 5 de la «Déclaration») – et même d’avoir simplement ignoré ses demandes. Il demande la publication rapide d’un article rectificatif, ainsi que des sanctions à l’égard de la journaliste, du quotidien et du groupe de presse concerné.

C. Le 20 décembre 2012, Frédéric Julliard, rédacteur en chef de la «Tribune de Genève», prend position au sujet de la plainte. C’est en effet dans ce quotidien que l’article est paru à l’origine. La journaliste connaissait parfaitement l’histoire sanitaire de M. Alessi, mais avait jugé qu’au moment de l’épidémie il était effectivement en parfaite santé – ses ennuis remontant à 57 ans. Il n’y avait donc pas de pertinence, dans ce contexte, de les rappeler. Cela d’autant moins que le médecin du sportif avait attesté qu’il était en parfaite santé au moment de l’épidémie. Pour ce qui est des demandes du plaignants, Frédéric Juillard affirme n’en avoir reçue aucune, raison pour laquelle il n’avait pas pu y répondre.

D. Dans un courrier daté du 2 février 2022, le plaignant insiste: plusieurs études démontrent qu’il y a soixante ans, un grand prématuré n’avait que peu de chances de survie. Par ailleurs il conteste que la journaliste n’ait reçu aucun de ses courriers. Enfin, il demande la directrice du Conseil de la presse ne traite pas la plainte, puisqu’au moment de son dépôt, le règlement du Conseil de la presse stipulait encore qu’une telle plainte serait traitée par une présidence à trois (présidents des chambres), dont la directrice n’était pas encore membre.

E. Le 22 février 2022, Susan Boos, présidente du Conseil, répond au plaignant à propos de la demande de récusation de la directrice. Les trois autres membres de la présidence ont estimé «qu’il n’y avait pas de raison plausible pour que la directrice ne participe pas à la prise de décision». Et de rappeler en outre que selon l’art. 17 du règlement du Conseil de la presse, «toutes les prises de position sont soumises à la plénière du CSP avant d’être publiées».

F. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.

G. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Susan Boos (présidente), Jan Grüebler (vice-président), Annik Dubied (vice-présidente) et Ursina Wey (directrice) a traité la présente prise de position le 31 octobre 2022 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Tout d’abord, le Conseil de la presse rappelle que son seul pouvoir consiste en la publication de ses avis. Il ne saurait donc être question qu’il ordonne la publication d’un article rectificatif, où qu’il prenne des sanctions à l’égard d’une journaliste ou d’une publication.

2. La «Tribune de Genève» a-t-elle négligé de répondre aux demandes du plaignant quant à une éventuelle rectification? Le Conseil de la presse ne peut se prononcer à cet égard, constatant qu’il y a déclaration contre déclaration. Quant à savoir si les quotidiens auraient dû publier des rectifications, ce ne serait le cas qu’en cas d’erreur manifeste. Or en l’occurrence, l’article ne contient pas de telles erreurs. Le chiffre 5 de la «Déclaration» n’est donc pas violé.

3. Reste la question de savoir si la journaliste a négligé de prendre en compte et de publier «toutes les données disponibles». Après discussion, la présidence du Conseil de la presse se rallie aux arguments du rédacteur en chef de la «Tribune de Genève», à savoir qu’on peut affirmer que le sportif interrogé était en parfaite santé au moment du déclenchement de l’épidémie du Covid. Le rappel des ennuis de santé au début de l’existence de M. Alessi n’était pas forcément pertinent en l’occurrence. Le chiffre 1 de la «Déclaration» n’a donc pas été violé.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En publiant l’article «Aujourd’hui pour moi, se faire vacciner est une évidence», «24 Heures» n’a pas violé le chiffre 1 de la «Déclaration de devoirs et des droits du/de la journaliste».

3. En conséquence, il n’y avait pas de devoir de rectification, et le chiffre 5 de la «Déclaration» n’a pas non plus été violé.