Nr. 28/2018
Directives de la rédaction aux journalistes / Distinction entre information et appréciations

(Constantin père et fils c. «Blick» et «blick.ch»)

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I. En fait

A. Le 21 septembre 2017, au terme d’une rencontre de football de Super League, le président du FC Sion, Christian Constantin, s’en prend physiquement à Rolf Fringer, consultant pour Teleclub. Par ailleurs Barthélémy Constantin, directeur sportif du FC Sion, a également un différend verbal avec Rolf Fringer. La «raclée» que Christian Constantin administre à Rolf Fringer défraye la chronique et fait l’objet de nombreux compte rendus médiatiques.

B. Le 23 novembre 2017, représentés par l’étude Freymond Tschumy et Associés, Christian et Barthélémy Constantin portent plainte au Conseil suisse de la presse contre plusieurs articles du «Blick» et de «blick.ch», et en particulier contre Felix Bingesser, responsable de la rubrique sportive du Groupe Blick.

La plainte vise en particulier:
a) Un éditorial publié le 22 septembre 2017 sur «blick.ch». Sous le titre «Zieht diesen Mann aus dem Verkehr», Bingesser écrit notamment: «Die Liga muss und wird reagieren und diesen Mann aus dem Verkehr ziehen. Hoffentlich für längere Zeit.»
b) Un éditorial publié le 23 septembre sur «blick.ch». Sous le titre «Jetzt ist Constantin entlarvt», Bingesser écrit: «Es ist zu hoffen, dass Constantin für immer des Feldes verwiesen wird. Rot auf Lebzeiten. (…) Die Liga und der Schweizerische Fussballverband werden sich daran messen lassen müssen, ob man hier endlich ein Exempel statuiert oder sich weiter von Constantin auf der Nase herumtanzen lässt.» En plus de ce «réquisitoire frénétique», le journaliste affirme: «Eine Verurteilung wegen versuchter Körperverletzung ist so sicher wie das Amen in der Kirche.» Enfin, imaginant que Christian Constantin va se défendre en arguant que l’affaire pourrait aussi affecter le FC Sion, Bingesser conclut: «Zerstören, was man liebt. Das ist ein Syndrom der Borderliner.»
c) Un article du 23 septembre sur «blick.ch», rédigé par deux autres rédacteurs, qui prétendent que le modérateur de Teleclub, Chris Augsburger, aurait déclaré que Barthélémy Constantin aurait saisi Rolf Fringer par le col. Or Augsbuger nierait avoir déclaré cela.
d) Le compte-rendu du 24 septembre 2017, sur «blick.ch», d’une table ronde sur Teleclub, où le chef des sports du Groupe Blick a notamment déclaré: «Es geht auch um Meinungs- und Pressefreiheit. (…) Wird man als Medienschaffender im Stadion zum Freiwild? Kann man auf den Fussballplätzen Selbstjustiz verüben?» Plus loin: «Constantin steht dazu, er ist handgreiflich geworden – und zwar massiv. (…) Die Liga ist nun gefordert. Sie muss beweisen, dass sie Herrn Constantin in Griff bekommt. Seit Jahren tanzt er ihr auf der Nase rum.» Enfin, résume le plaignant, Felix Bingesser a conclu en faisant comprendre (…) que le «Blick» ne lâcherait pas cette affaire avant qu’un jugement, à la hauteur du comportement de Christian Constantin, soit rendu.
e) Un article du 26 septembre sur «blick.ch», où la rédaction prête les propos suivants à Alain Joseph, ex-président du Lausanne Sports: «Christian ist ein guter Bekannter von mir. Aber ich habe ihm gesagt, dass das ein Riesenmist war. Er hatte seine Emotionen nicht im Griff. Handgreiflichkeiten verurteile ich aufs Schärfste.» Or le plaignant cite une interview antérieure d’Alain Joseph dans le «Matin Dimanche», où ce dernier n’aurait pas condamné le geste de Constantin: «Il arrive que le verre déborde (…) malgré toute l’amitié que j’ai pour Christian, je ne peux pas cautionner la violence.» Et le plaignant de produire un message d’Alain Joseph à Christian Constantin où ce dernier affirme avoir dit la même chose aux deux rédactions, mais que le «Blick» l’a mal transcrit.
f) Un éditorial de Bingesser publié sur «blick.ch» le 26 septembre. Il y critique les patrons du football suisse qui se laissent mener par le bout du nez par Constantin parce qu’il a «de l’argent, des avocats, et des années d’expérience». Bingesser écrit en outre: «Der FC Sion ohne Constantin, das wäre auch eine grosse Chance. Die Chance, sich vom gruseligen diktatorischen Joch zu befreien.»
g) Un éditorial sur «blick.ch» publié le 12 octobre, où Martin Arn exprime son sentiment en demi teinte suite à la décision de la Swiss Football League. Le rédacteur du «Blick» écrit notamment: «Leider hat es die Liga verpasst, ein klares Zeichen zu setzen und Constantin lebenslänglich zu sperren. Wohl im Wissen darum, dass in Sion ohne Constantin kein Profifussball mehr möglich wäre.»
h) Enfin un éditorial de Felix Bingesser, publié le 13 octobre sur «blick.ch», et qui contient notamment ce passage: «Gut möglich, dass er sich (réd – Constantin) auch über dieses Urteil hinwegsetzt. Weil er ja das Gesetz ist. Weil er sich in der Rolle des Einzelkämpfers gefällt. Aber diesmal wird sich die Liga nicht noch einmal am Gängelband führen und auf der Nase herumtanzen lassen. Sie wird dieses Urteil durchsetzen und notfalls weitere Sanktionen beschliessen.»

Pour les plaignants, les chiffres suivants de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration») ont été violés:
a) Le chiffre 3, prévoyant que le journaliste ne dénature pas l’opinion d’autrui. Or «Blick» aurait faussement prêté des propos à Chris Augsburger (B.c) et à Alain Joseph (B.e).
b) Le chiffre 5 de la «Déclaration», qui prévoit que le journaliste rectifie toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte.
c) Le chiffre 11 de la «Déclaration», qui prévoit que la/le journaliste n’accepte des directives que de seuls responsable de sa rédaction, pour autant qu’elles ne soient pas contraires à la «Déclaration». Or, arguent les plaignants, «la lecture attentive des diverses publications susmentionnées tend à démontrer que la ligne éditoriale du ‹Blick› (…) semble s’être calquée sur l’avis propre de Felix Bingesser agissant avec un dessein apparemment bien éloigné de celui de la recherche et transmission de l’information objective». En l’état «il ne peut donc être exclu» que les journalistes du «Blick» aient accepté des directives de Bingesser en violation de la «Déclaration».
d) Le chiffre 2 de la «Déclaration», en particulier la directive 2.3 qui vise à rendre perceptible au public la distinction entre l’information et les appréciations. Les plaignants relèvent que «Blick» a traité l’affaire presqu’uniquement par le biais d’éditoriaux, ce qui aurait pour effet de mélanger les informations objectives à des appréciations «partielles, partiales, voire partisanes».
e) Enfin la directive 7.4, qui demande au journaliste de respecter la présomption d’innocence. Les plaignants relèvent en particulier que Bingesser a tenu la sanction pour certaine alors que les procédures ne faisaient que débuter (B.b); qu’il a réclamé la sanction la plus lourde alors que le cas étant encore sous investigation (B.a et B.b notamment); qu’il a affirmé qu’il ne lâcherait pas l’affaire avant le prononcé qu’un jugement à la hauteur de l’événement soit prononcé (B.d); en imaginant ce que pourrait être la défense de Constantin et en sous-entendant que ce dernier pourrait présenter un des symptômes du trouble de la personnalité borderline (B.b).
En résumé «Blick» et Bingesser auraient totalement manqué d’objectivité «dans le dessein de nuire (réd – aux Constantin) et de tenter d’influencer les instances compétentes afin de les évincer de la scène sportive suisse». Ce qui «laisse craindre une instrumentalisation, par les intimés, de la force de frappe des médias à des fins totalement étrangères (…) à une information du public libre, objective et complète».

C. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse de la presse, la présidence traite les plaintes sur lesquelles le CSP n’entre pas en matière.

D. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Francesca Snider (vice-présidente) et de Max Trossmann (vice-président), a traité la présente prise de position le 3 septembre 2018 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Selon l’article 11, al. 1 de son règlement, le Conseil de la presse n’entre pas en matière si une plainte est manifestement infondée.

2. Pour ce qui est la violation alléguée du chiffre 3 de la «Déclaration», le Conseil de la presse estime que les imprécisions invoquées ne touchent pas au cœur de l’affaire dans le cas de déclaration contestée du modérateur de Teleclub, et que l’interprétation des plaignants en ce qui concerne la transcription des déclarations d’André Joseph est discutable.

3. Dans la mesure où le chiffre 3 de la «Déclaration» ne s’applique pas, le devoir de rectification (chiffre 5 de la «Déclaration») ne peut pas être violé.

4. En ce qui concerne la violation alléguée du chiffre 11 de la «Déclaration», le Conseil de la presse constate que les suppositions des plaignants quant aux intentions du responsable de la rubrique sport du Groupe Blick ne sont nullement étayées. Pas plus que les manquements – toujours aussi hypothétiques – des autres membres de la rédaction.

5. Quant au reproche que «Blick» aurait induit le public en erreur en ne distinguant pas clairement entre les faits et les commentaires, le Conseil de la presse ne peut pas suivre les plaignants. Certes, «Blick» a multiplié les commentaires, mais ils ont toujours été indiqués comme tels. Et un média est libre de traiter ainsi les conséquences d’un événement dont le déroulement n’est pas controversé.

6. Enfin, le chiffre 4 de la «Déclaration» n’est pas davantage touché. Un média est libre de réclamer des sanctions pour autant que ces réclamations apparaissent comme des commentaires, et non comme des faits. Et pour autant qu’il apparaisse que l’affaire n’est pas jugée, ce qui en l’occurrence est le cas, ne serait-ce qu’en raison de la proximité des événements.

7. Certes, le Conseil de la presse reconnaît que la ligne éditoriale du «Blick» n’a pas été tendre dans cette affaire. Mais un personnage public controversé comme Christian Constantin doit s’attendre à faire l’objet de critiques virulentes, surtout à propos de faits qui sortent du commun et qu’il n’a d’ailleurs jamais contestés. Quant au rôle «politique» que pourrait jouer le «Blick» en matière sportive grâce à sa «force de frappe», il n’appartient pas au Conseil de la presse de l’apprécier.

III. Conclusion

L’entrée en matière est refusée.