Nr. 18/2023
Recherche de la vérité / Omission d’informations essentielles / Rectification / Avantage

(X. c. Radio Télévision Suisse)

Drucken

Zusammenfassung

JournalistInnen sollten so viel wie möglich über die Identität, die Rolle und die Motivation der Menschen wissen, denen sie in einer Reportage das Wort geben. Der Schweizer Presserat weist die Beschwerde eines Zuschauers gegen das Westschweizer Fernsehen RTS dennoch ab.
Dieser war der Ansicht, der vierminütige Beitrag mit dem Titel «Kherson, le prix de la libération» (Cherson, der Preis der Befreiung) habe die darin befragten Soldaten als Helden dargestellt, obwohl diese problematische Symbole rechtsextremer Organisationen getragen hätten. Der Presserat hatte die Frage zu beantworten, ob sich die RTS-ReporterInnen genauer mit dem ideologischen Hintergrund ihrer Gesprächspartner hätten befassen müssen. Er ist der Ansicht, dass das Ziel der kurzen Reportage klar genug war: Es ging darum zu erzählen, wie die Zivilbevölkerung und das Militär die Befreiung von Cherson erlebt hatten. Dass der mutmassliche Rechtsextremismus in diesem Kontext nicht thematisiert wurde, ist nachvollziehbar, weshalb der Presserat von einer Rüge absieht.

Résumé

Tout en rappelant que les journalistes doivent en savoir le plus possible sur l’identité, le rôle et les motivations des personnes auxquelles ils donnent la parole dans leurs reportages, le Conseil suisse de la presse rejette la plainte d’un téléspectateur contre la RTS.
Le plaignant reproche aux journalistes de la RTS d’avoir présenté les soldats interrogés comme des héros dans un reportage télévisé de quatre minutes intitulé « Kherson, le prix de la libération », alors même que ceux-ci arboraient des symboles problématiques signalant leurs liens avec des organisations d’extrême-droite. Les reporters de la RTS auraient-ils dû s’intéresser de plus près à l’arrière-plan idéologique de leurs interlocuteurs ? Selon le Conseil suisse de la presse, l’objectif du reportage était suffisamment clair : il s’agissait de raconter comment des civils et des militaires ukrainiens avaient vécu la libération de Kherson.
Le fait que les reporters de la RTS n’aient pas mentionné l’arrière-plan idéologique supposé de leurs interlocuteurs est compréhensible. La plainte est donc rejetée.

Riassunto

Pur ribadendo che i giornalisti devono conoscere e raccontare il più possibile sull’identità, il ruolo e le motivazioni delle persone alle quali danno la parola nei loro servizi — in particolare nel complesso contesto della guerra — il Consiglio svizzero della stampa ha respinto il reclamo di uno spettatore contro la RTS.
Secondo il reclamante, nel loro servizio televisivo di quattro minuti intitolato «Kherson, le prix de la libération» (Kherson, il prezzo della liberazione), i giornalisti della RTS hanno violato diversi punti della «Dichiarazione dei doveri e dei diritti del giornalista».
La critica principale del denunciante è che i soldati intervistati vengono dipinti come eroi, nonostante sfoggino simboli problematici che indicano i loro legami con organizzazioni di estrema destra.
Il Consiglio della stampa ha preso in esame la seguente questione: i giornalisti della RTS avrebbero dovuto osservare più da vicino il contesto ideologico dei loro intervistati? Secondo il CSS, l’obiettivo del servizio era sufficientemente chiaro: si trattava di raccontare come la popolazione civile e i soldati ucraini avevano vissuto la liberazione di Kherson.
Il fatto che i reporter della RTS non abbiano analizzato le opinioni politiche dei loro intervistati, né abbiano menzionato il loro possibile retroscena ideologico, non è da considerarsi alla stregua di una violazione della «Dichiarazione». Il reclamo viene quindi respinto.

I. En fait

A. Le dimanche 20 novembre 2022, la Radio Télévision Suisse (RTS) diffuse un reportage dans son journal télévisé «Le 19:30» sous la rubrique «Le Doc du week-end» et intitulé: «Kherson, le prix de la libération» (un sujet retitré dans sa version replay: «Après trois mois de contre-offensive, les troupes ukrainiennes ont repris le contrôle de Kherson»). Signé par deux envoyés spéciaux de la RTS, Sharon Aronowicz et Tristan Dessert, ce sujet de 4 minutes est également adapté pour le web par un journaliste qui signe de ses initiales (jgal) et publiié sur le site internet RTS.info sous le titre: «La bataille pour Kherson racontée par celles et ceux qui l’ont vécue».

Ce reportage s’inscrit dans le sillage de la libération de Kherson, ville du sud de l’Ukraine, le 11 novembre 2022, après plus de huit mois d’occupation russe. Le sujet consiste essentiellement en une série de témoignages. Le premier, recueilli sur une place de Stanislav, village de la région de Kherson, montre un militaire nommé «Serguei». Ce dernier, présenté comme «Sergent des forces spéciales ukrainiennes», se tient devant un mât portant le drapeau ukrainien qu’il dit avoir lui-même hissé à la place du «drapeau de propagande russe». Quelques heures après, rapportent les reporters de la RTS, le même homme était à Kherson, reproduisant le même geste et «entrant dans l’histoire» (une vidéo que l’on suppose tirée d’un smartphone est diffusée à l’appui de cette affirmation).

Le deuxième témoignage est celui d’une femme âgée de 69 ans, Nadezdha, une habitante d’Oleksandrivka, petit village dévasté situé à 40 km de Kherson, où elle raconte avoir miraculeusement survécu dans un abri sous-terrain avec son mari. Les journalistes recueillent également le témoignage de Ruslan, un soldat ukrainien rencontré à l’aéroport de Kherson en ruines.

Le reportage se termine sur l’interview de deux jeunes soldats ukrainiens, surnommés «Roze» et «Sheva» et tous deux présentés comme membres des «forces spéciales de la police ukrainienne».

B. Le 30 novembre 2022, un téléspectateur saisit le Conseil suisse de la presse. D’après son analyse, le reportage susmentionné et son adaptation web violent plusieurs points de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration»). «Il s’agit, écrit-il, de distinguer entre journalisme et propagande, d’autant plus qu’il s’agit de propagande de guerre, c’est tout l’enjeu de ma saisie auprès du Conseil suisse de la presse.»

1. Pour le plaignant, l’interview de «Roze» et «Sheva» viole le chiffre 1 (recherche de la vérité) et le chiffre 3 (suppression d’informations essentielles) de la «Déclaration». «Roze» appartient au groupe «KRBK-Team Kiev», comme le montre l’insigne qu’il porte sur la poitrine. Cet écusson est filmé en gros plan durant plusieurs secondes par l’équipe de la RTS, qui ne donne aucune explication sur la signification de cette appartenance. Le plaignant a fait ses propres recherches sur internet et les réseaux sociaux. Il affirme, photos et documents à l’appui, avoir découvert en quelques clics l’identité complète de ces deux militaires et établi leurs liens avec des organisations d’extrême-droite, le bataillon Azov et le néonazisme international. Selon le plaignant, les conditions de reportage de guerre n’excusent pas ces lacunes.

2. Le plaignant estime par ailleurs que le témoignage du premier militaire, un sergent nommé «Serguei» présenté comme un héros par les reporters de la RTS, viole également le chiffre 3 de la «Déclaration» en omettant une information capitale. Il remarque que l’insigne qui apparaît sur l’épaule gauche du militaire lorsqu’il est filmé de loin, n’apparaît plus dans le plan rapproché. A quelle unité militaire se référait cet insigne et pourquoi l’avoir escamoté? Le plaignant agrandit l’image et croit reconnaître le symbole de la rune «Tyr» qui, selon lui, serait communément «utilisée par différents groupes néonazis identifiés en Ukraine».

3. Autre violation du chiffre 3 de la «Déclaration» selon le plaignant: la légende de la photo de la place centrale de Kherson, dans la version écrite du reportage, omet de mentionner la présence de plusieurs symboles et drapeaux problématiques (néonazis, ultranationalistes) aux côtés des drapeaux ukrainien et européen.

4. Le plaignant dénonce aussi une violation du chiffre 5 de la «Déclaration» (devoir de rectification). A ses yeux, le titre du reportage dans sa version écrite – «La bataille pour Kherson racontée par celles et ceux qui l’ont vécue» – est «fallacieux et induit le public en erreur» en raison du déséquilibre des témoignages: un seul couple de civils, contre cinq militaires. «Le déséquilibre entre ces témoignages, civil et militaires, nuit à la crédibilité», conclut le plaignant.

5. Enfin, selon le plaignant, la photo publiée sur le site de la RTS montrant une des deux journalistes aux côtés de Nadezdha, la villageoise qui vient de lui offrir un bouquet de fleurs, viole le chiffre 9 de la «Déclaration» (acceptation d’un avantage). Le plaignant y voit «le signe d’un parti pris». Selon lui, cette «mise en scène avec l’objet de son travail», questionne l’indépendance professionnelle de la journaliste et peut être interprétée comme une tentative d’influencer le public.

C. Le 20 février 2023, la RTS prend position par l’intermédiaire de son service juridique et demande que la plainte soit rejetée.

1. La RTS fait valoir que «l’objet du reportage n’était pas d’enquêter sur la présence de militants d’extrême-droite au sein de l’armée ukrainienne, mais de raconter comment l’arée ukrainienne avait réussi à reprendre la ville de Kherson, en rencontrant ceux qui avaient participé à cette bataille». Ceci, ajoute-t-elle, «sans faire leur biographie ou analyser leurs opinions politiques».

Elle met en avant les conditions dans lesquelles ces témoignages ont été recueillis: «sur le vif, en zone de guerre, au plus près des acteurs». Au sujet des témoignages de «Roze» et «Sheva», la RTS souligne par ailleurs que «ni les propos diffusés, ni les propos qu’ils ont tenus dans le reste de l’interview, ne laissaient transparaître une quelconque idéologie extrémiste». Une vérification de leur arrière-plan idéologique n’était donc selon elle pas nécessaire.

2. A propos de la disparition de l’insigne du sergent «Serguei», la RTS explique que ce dernier l’avait retiré durant l’interview pour des raisons de sécurité, pour éviter de révéler à quelle unité il appartenait. A l’issue de l’interview, il a remis son insigne en place. Mais lorsque les journalistes lui ont demandé de faire quelques pas pour réaliser un plan large de la place, il n’a pas pensé à le retirer à nouveau. Et si l’insigne n’a pas été flouté au montage, c’est parce qu’il n’était pas identifiable à l’œil nu.

3. Au sujet des drapeaux qui n’ont pas été mentionnés dans la légende photo, la RTS reconnaît ne pas avoir jugé utile de s’attarder sur celui du corps des volontaires de Praviy Sektor, un mouvement nationaliste ukrainien. Elle rappelle que dans le contexte d’union nationale imposée par l’invasion russe, tous les volontaires sont amenés à combattre contre l’envahisseur. Parmi eux, certains groupes nationalistes sont en première ligne. Mais c’est là une thématique en soi, que la RTS affirme avoir approfondie dans un sujet consacré au régiment Azov diffusé le 13 mai 2022 au 19h30. La RTS réfute avoir travesti la vérité ou supprimé des informations essentielles à la compréhension des faits.

4. La RTS affirme également avoir respecté le chiffre 5 de la «Déclaration». Pourquoi rectifier une information qui n’est pas inexacte? Le titre «La bataille pour Kherson racontée par celles et ceux qui l’ont vécue» n’est à son sens ni fallacieux, ni n’induit le public en erreur: le mélange de témoignages civils et militaires était à ses yeux justifié.

5. Enfin sur la question de l’indépendance professionnelle, la RTS insiste sur le fait que la valeur pécuniaire d’un bouquet de fleurs du jardin est nulle. En revanche, la valeur symbolique de ces fleurs est forte (résilience, optimisme, revanche de la vie sur la mort) et, partant, justifie la publication de cette image.
D. La présidence du Conseil de la presse confie le traitement de la plainte à sa 2e chambre, composée d’Annik Dubied (présidente), Joëlle Fabre, Sébastien Julan, Fati Mansour, Denis Masmejan, David de Siebenthal et Anne-Frédérique Widmann (qui se récuse).

D. La 2e chambre du Conseil de la presse traite la plainte lors de sa séance du 10 mars 2023 ainsi que par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Le chiffre 1 de la «Déclaration» (recherche de la vérité) et sa directive 1.1 imposent au journaliste de prendre en compte les données disponibles et accessibles, de respecter l’intégrité des documents (textes, sons, images), de vérifier l’information et, le cas échéant, de rectifier l’information erronée.

Les reporters de la RTS auraient-ils dû s’intéresser de plus près aux motivations profondes et à l’arrière-plan idéologique de leurs interlocuteurs? Le Conseil de la presse considère que les journalistes doivent en savoir et en dire le plus possible sur l’identité, le rôle et les motivations des personnes interrogées, en particulier dans le contexte complexe d’une guerre. D’autant que les responsables ukrainiens et les pays occidentaux sont régulièrement soupçonnés de minimiser l’importance des mouvements néonazis et d’extrême droite en Ukraine, de crainte d’alimenter la machine de propagande russe (rappelons que la «dénazification» de l’Ukraine est l’un des principaux arguments du président russe Vladimir Poutine pour justifier l’invasion du pays). Cependant, le but du reportage des envoyés spéciaux de la RTS n’était clairement pas de répondre à la question: y a-t-il des ultranationalistes ou des néonazis parmi les forces de résistance ukrainienne? Leur objectif était de raconter, en 4 minutes, comment des civils et des militaires ukrainiens ont vécu la libération de Kherson.

Selon le Conseil de la presse, le fait que les journalistes n’ont pas analysé les opinions politiques de leurs interlocuteurs, ni mentionné leur éventuel arrière-plan idéologique, n’a pas le poids d’une violation du chiffre 1 de la «Déclaration».

Ceci étant dit, en zoomant durant plusieurs secondes sur l’insigne «KRBK-Team Kiev» de «Roze», la RTS attire indéniablement l’attention du public sur un élément d’information qu’elle juge important sans du tout expliquer ce que signifie cette appartenance. Pourquoi alors montrer cet insigne en gros plan? La RTS ne se justifie pas sur ce point. Les journalistes connaissaient-ils ce club d’arts martiaux et ses accointances? Avaient-ils fait le lien, comme le plaignant, avec des organisations d’extrême-droite, le bataillon Azov et le néonazisme international? En l’absence de réponse de la RTS, le Conseil de la presse ne peut que déplorer un manque de précision de la part des journalistes, sans conclure pour autant à une violation du chiffre 1 de la «Déclaration».

2. Au sujet de l’insigne de «Serguei» qui disparaît du plan serré, le Conseil de la presse est davantage convaincu par les arguments de la RTS que par les soupçons du plaignant. L’équipe de la RTS n’a manifestement pas «voulu cacher quelque chose afin de mieux calibrer un récit écrit par avance». Le Conseil considère que les reporters ont plutôt cherché à protéger leur source en lui permettant de retirer son insigne afin que son unité ne soit pas reconnue – et comme il est d’usage dans un contexte de guerre. Le chiffre 3 de la «Déclaration» n’est donc pas violé.

A propos de la légende de la photo de la place centrale de Kherson qui mentionne uniquement les drapeaux ukrainien et européen dans la version écrite du reportage, le Conseil de la presse considère que la RTS n’avait pas à décrire un à un tous les drapeaux réunis sur cette place. Il souligne néanmoins que les journalistes doivent veiller à ce que les photos soient accompagnées d’une légende précise et impartiale, de façon à permettre au public de comprendre le contexte de l’image. En ce sens, la RTS aurait pu relever la présence de drapeaux nationalistes, comme celui de Praviy Sektor. Sur ce point aussi, le Conseil de la presse conclut à un manque de précision plutôt qu’à une violation du chiffre 3 de la «Déclaration».

3. Le titre du reportage dans son adaptation écrite – «La bataille pour Kherson racontée par celles et ceux qui l’ont vécue» – n’a rien de trompeur selon le Conseil de la presse. Le fait de donner la parole à plusieurs militaires était légitime. Ces derniers étaient en première ligne lors du siège, de l’occupation et de la libération de Kherson. Ils étaient donc bien placés pour livrer leur récit de l’événement. En l’absence d’information matériellement inexacte, la RTS n’avait pas à rectifier ce titre. Le chiffre 5 de la «Déclaration» n’est pas violé.

4. L’acceptation d’un bouquet de fleurs du jardin de la part d’un interlocuteur peut-elle être considérée comme l’acceptation d’un avantage susceptible de limiter l’indépendance professionnelle du/de la journaliste? Le chiffre 9 de la «Déclaration» sous l’aspect de sa directive 9.1 (Indépendance) est très clair: «Il n’est pas interdit d’accepter à titre individuel des invitations ou de menus présents, dont la valeur ne dépasse pas les usages courants.» Le Conseil de la presse ne pense pas que l’acceptation de ce bouquet ait été de nature à influencer la journaliste dans sa recherche de l’information et sa publication. Le chiffre 9 de la «Déclaration» n’est pas violé.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En publiant le reportage télévisé intitulé «Kherson, le prix de la libération» et son adaptation web intitulée «La bataille pour Kherson racontée par celles et ceux qui l’ont vécue», la RTS n’a pas violé les chiffres 1 (recherche de la vérité), 3 (suppression d’informations essentielles), 5 (rectification) et 9 (avantage) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».