Nr. 15/2023
Recherche de la vérité / Identification / Dignité humaine

(X. c. «24 heures»)

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I. En fait

A. Le 11 octobre 2021 «24 heures» publie un article signé de la journaliste Flavienne Wahli Di Matteo, intitulé: «Mi-Rambo, mi-Calimero, l’ex-agent abuse d’une ado». L’article rapporte les faits jugés dans le cadre d’un procès: un ex-agent de sécurité de 45 ans est accusé d’avoir entamé une relation sexuelle avec une jeune fille qui avait à l’époque 15 ans. Il se sont rencontrés dans une salle de gym où il était moniteur. Durant leur relation, la jeune fille aurait été sous son emprise: l’homme lui racontait des histoires sur sa prétendue vie de militaire de détachement spécial en mission autour du globe. Pendant une année et demie, il lui aurait interdit de parler de leur relation avec sa famille ou ses amis. La journaliste cite le procureur, qui a réclamé une peine de deux ans de privation de liberté avec sursis, l’avocat de la jeune femme et le défenseur de l’accusé et rapporte le résultat du procès.

B. Le 12 octobre 2021, X. saisit le Conseil suisse de la presse. La plaignante retient que l’article donne un grand nombre de détails inutiles et que la journaliste a privilégié le sensationnalisme au détriment des faits. Pour la plaignante, nombre de détails sont trop spécifiques et le récit manque de discrétion. A son avis cela viole le chiffre 1 (vérité) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après: «Déclaration»). Les éléments personnels évoqués concernant l’accusé et la victime permettent d’identifier ces personnes: par exemple l’âge, l’initiale de la victime, le district de résidence, ou encore le sport pratiqué. L’article aurait donc également violé le chiffre 7 (sphère privée) de la «Déclaration». Enfin, le récit trop détaillé des pratiques sexuelles, ou du nombre des relations sexuelles ne respecte pas la souffrance de la victime et viole le chiffre 8 (dignité humaine) de la «Déclaration».

C. Le 21 décembre 2021, le rédacteur en chef de «24 heures», Claude Ansermoz, prend position et demande que la plainte soit rejetée. Il soutient que la journaliste rapporte simplement le déroulement des faits. Celle-ci décrit les stratagèmes mis en place par l’accusé. Les termes utilisés dans le texte seraient mesurés, parfois même simplement empruntés au Code pénal. Le passage mis en exergue serait une simple retranscription des propos tenus par l’avocat de la famille, et d’autres information ressortent de l’acte d’accusation. Si l’article rend compte du caractère sensible de l’affaire et révèle certains faits, c’est justement par souci de recherche de la vérité. En ce qui regarde le chiffre 7 de la «Déclaration», «24 heures» fait valoir que l’anonymat a été préservé: les références à l’âge de la jeune femme, respectivement à la différence d’âge avec le prévenu, ou au loisir à l’occasion duquel ils se sont rencontrés, ou encore à la région dans laquelle elle vit, toutes ces informations auraient déjà été rendues publiques lors de l’audience devant le tribunal et dans l’acte d’accusation et seraient utiles pour comprendre le contexte de l’affaire. Au-delà de son cercle familial, social et professionnel, aucun élément ne rend la victime identifiable. En dernier lieu l’article n’outrepasse pas les «limites de la nécessaire et légitime information du public» (directive 8.3): il ne donne aucun détail dégradant ou choquant.

D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.

E. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Susan Boos (présidente), Jan Grüebler, Annik Dubied (vice-présidents) et Ursina Wey (directrice), a traité la présente prise de position le 5 mai 2023 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. La plaignante n’indique pas concrètement quels passages violeraient le chiffre 1 (vérité) de la «Déclaration». L’accusation de «sensationnalisme» ne suffit à elle seule à justifier une violation du chiffre 1 (vérité). On ne peut pas demander aux journalistes de faire «des simples rapports de faits» et dans le même temps ne pas vouloir que les faits soient cités. Sur la base des informations dont le Conseil de la presse dispose, il ne voit pas en quoi le chiffre 1 de la «Déclaration» serait violé. La violation du chiffre 1 n’est donc pas retenue.

2. En ce qui regarde le chiffre 7 (identification) la directive 7.2 de la «Déclaration» précise: «Dans les cas où l’intérêt de protéger la vie privée l’emporte sur l’intérêt du public à une identification, les journalistes ne publient ni le nom, ni d’autres indications qui permettent l’identification d’une personne par des tiers n’appartenant pas à l’entourage familial, social ou professionnel, et qui donc sont informés exclusivement par les médias.» L’argumentation de la plaignante est compréhensible, les propos traités lors de la procédure sont des questions très sensibles. Un tel compte rendu judiciaire est certes potentiellement problématique pour la victime. Et pourtant, les données relatives à l’âge, au sport, au district et à l’initiale de la victime ne permettent pas d’identifier la personne au-delà de son cercle familial et social. Elles ne constituent donc pas en soi une transgression. Le chiffre 7 de la «Déclaration» est donc respecté.

3. Il en va de même pour le chiffre 8 (dignité humaine) de la «Déclaration». Le récit du procès devant le tribunal se limite à des descriptions généralisantes, sans détails. Le nombre de relations sexuelles avant les 16 ans de la jeune femme est pertinent du point de vue du droit pénal. La mention de ces faits est donc légitime. En citant que les pratiques sexuelles ont été inadaptées à son âge et qu’elles sont «tellement traumatiques qu’elle ne peut plus en parler», la dignité humaine est même respectée. En reconnaissant la délicatesse du sujet et la protection nécessaire de la victime, le chiffre 8 (dignité humaine) de la «Déclaration» n’est pas violé.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En publiant l’article «Mi-Rambo, mi-Calimero, l’ex-agent abuse d’une ado» «24 heures» n’a pas violé les chiffres 1, 7 et 8 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».