Nr. 15/2019
Indépendance et dignité de la profession / Secret des sources / Méthodes déloyales

(Giroud/Comina c. «RTS»)

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Zusammenfassung

Im April 2018 wurde dem Schweizer Presserat eine Fragestellung neuer Art vorgelegt: Der Walliser Weinhändler Dominique Giroud und sein Berater Marc Comina ersuchten den Presserat um eine Stellungnahme zur Einhaltung der berufsethischen Regeln durch einen Journalisten von Radio Télévision Suisse (RTS). Die Stellungnahme sollte sich auf abgehörte Telefongespräche stützen. Diese Gespräche waren während einer in Genf eingeleiteten Strafuntersuchung aufgezeichnet worden.

Die Abhörmassnahmen galten einem durch Dominique Giroud beauftragten Privatdetektiv. Die Aufnahmen enthielten zahlreiche Gespräche zwischen diesem Detektiv und dem Journalisten von RTS. Diese Gespräche wiesen in den Augen der Beschwerdeführer schwere Verstösse des Journalisten gegen die Berufsethik nach.

Der Presserat trat aus verfahrenstechnischen Gründen nicht auf die eigentliche Beschwerde selber ein. Er entschied jedoch, den Fall von sich aus aufzugreifen, um die aufgeworfenen Grundsatzfragen prüfen zu können.

Nach eingehender Diskussion hat sich der Presserat für das Konzept eines absoluten Quellenschutzes entschieden, hier geht es um eine der wichtigsten berufsethischen Regeln überhaupt. Er kam zum Schluss, dass er sich in seiner Stellungnahme entsprechend nicht auf den Inhalt der abgehörten Telefongespräche stützen kann. Der Presserat will die berufsethischen Regeln, deren Verteidigung seine Aufgabe ist, in keiner Weise abschwächen.

Angesichts der legitimen Fragen, die sich im Zusammenhang mit dieser Stellungnahme stellen mögen, ruft der Presserat aber in Erinnerung, dass Journalisten ihren Quellen gegenüber eine Haltung wahren müssen, welche mit der Berufsethik vereinbar ist. So dürfen sie keine Vorteile aus dem allfälligen Hacking elektronischer Geräte eines Kollegen oder einer Kollegin ziehen und sie dürfen nicht mit Informationen handeln, die sie unter dem Deckmantel des Quellenschutzes erhalten haben.

Résumé

Le Conseil suisse de la presse a été saisi, en avril 2018, d’une plainte d’un genre inédit. L’encaveur valaisan Dominique Giroud et son conseiller Marc Comina ont en effet demandé au CSP de se prononcer sur le respect des règles déontologiques de la profession par un journaliste de la RTS sur la base d’écoutes téléphoniques effectuées au cours d’une enquête pénale ouverte à Genève.

Ces écoutes visaient un tiers, un détective privé mandaté par Dominique Giroud. Elles contenaient, notamment, de nombreuses conversations entre ce détective et le journaliste de la RTS. Aux yeux des plaignants, ces conversations démontraient, de la part du journaliste, de graves manquements à la déontologie professionnelle.

Le Conseil de la presse a, pour des raisons de procédure, refusé d’entrer en matière sur la plainte elle-même. Il a toutefois estimé devoir examiner d’office le cas – et donc s’en « autosaisir » –, au vu des questions de principe soulevées par cette affaire.

Au terme de discussions approfondies, le Conseil de la presse a finalement choisi de faire prévaloir une conception absolue du secret des sources, l’une des règles les plus importantes de toute l’éthique du journalisme. Il a estimé ne pas pouvoir se baser lui-même sur le contenu de ces écoutes pour rendre un avis sur le cas. Il entend ainsi ne pas affaiblir, ne serait-ce que symboliquement, les règles déontologiques qu’il a précisément pour mission de défendre.

En réponse aux questions légitimes que le public pourrait se poser en prenant connaissance de ces écoutes, le Conseil de la presse rappelle cependant que les journalistes ont l’obligation, à l’égard de leurs sources, de garder un comportement et une attitude conformes à la dignité de la profession. Ils ne sauraient ainsi chercher à tirer profit de l’éventuel piratage de l’ordinateur d’un confrère ou d’une consoeur, ni marchander auprès de tiers des informations recueillies sous le couvert du secret des sources.

Riassunto

Il Consiglio svizzero della stampa è stato investito, in aprile 2018, da un reclamo di tipo inedito. Un enologo del Canton Vallese, Dominique Giroud, e il suo consigliere, Marc Comina, gli chiedevano infatti di pronunciarsi sulla correttezza deontologica dell’agire di un giornalista della Radiotelevisione romanda RTS circa il trattamento di ascolti telefonici relativi un’inchiesta penale aperta a Ginevra.

L’ascolto delle registrazioni aveva di mira una terza persona: un detective privato incaricato da Dominique Giroud, con il quale il giornalista aveva avuto vari colloqui telefonici. Il reclamo ritiene il comportamento del giornalista deontologicamente scorretto.

Per una questione di procedura, il Consiglio della stampa si è rifiutato in primo luogo di entrare in materia sul reclamo. Le questioni di principio toccate nel medesimo lo hanno tuttavia indotto ad aprire un procedimento autonomo: per così dire, ad autodenunciarsi, e per finire a concludere – al termine di discussioni approfondite – in favore del rispetto assoluto del principio del segreto delle fonti: una delle regole più importanti dell’etica giornalistica e perciò ritenuta, anche solo in generale, tale da non potersi allentare in nessun modo. Questo principio non gli permetteva basarsi lui stesso sul contenuto delle registrazioni.

In risposta agli interrogativi legittimi che il pubblico potrebbe porsi circa il trattamento delle informazioni ricevute per questa via da parte del giornalista, il Consiglio della stampa ricorda che è dovere dei giornalisti di rapportarsi con le proprie fonti in modo corretto e conforme alla dignità della professione, senza cercare di trarre profitto dall’eventuale pirataggio del computer di un collega e senza negoziare con terzi il contenuto delle informazioni raccolte al riparo del segreto delle fonti.

I. En fait

A. Le 20 avril 2018, Dominique Giroud et son conseiller en communication Marc Comina ont saisi le Conseil de la presse d’une plainte visant le journaliste Yves Steiner, travaillant pour la RTS à l’époque des faits, soit en 2013-2014. Les plaignants lui reprochent d’avoir violé à de nombreuses reprises plusieurs règles déontologiques lors de ses investigations sur « l’affaire Giroud » dont les médias ont abondamment parlé ces dernières années et qui mettait en cause l’encaveur valaisan.
A l’appui de leur plainte, Dominique Giroud et Marc Comina ont produit la transcription de certaines écoutes téléphoniques ordonnées par la justice genevoise sur la ligne d’une source d’Yves Steiner, un détective privé travaillant pour Dominique Giroud. Ces extraits, qui ont par ailleurs été diffusés publiquement sur le web par les plaignants, permettent de prendre connaissance de plusieurs conversations téléphoniques intervenues entre les deux hommes, de novembre 2013 à février 2014.
Ces écoutes ont été effectuées dans le cadre d’une enquête pénale ouverte par le Ministère public genevois pour des tentatives de hacking au préjudice de la RTS et du quotidien «Le Temps». Les investigations étaient dirigées contre Dominique Giroud lui-même, le détective privé ainsi que d’autres prévenus.
Dans leur plainte au Conseil de la presse, Dominique Giroud et Marc Comina soutiennent que ces écoutes font apparaître de graves violations de la déontologie professionnelle de la part du journaliste. Celui-ci se voit principalement reprocher d’avoir usé de procédés inadmissibles pour amener sa source à lui fournir des informations reçues de Dominique Giroud. Il l’aurait aussi incité à lui fournir ce que le hacking de l’ordinateur de sa consoeur journaliste du «Temps» pouvait révéler et serait allé jusqu’à proposer de livrer certaines de ses propres informations pour gagner les faveurs de Dominique Giroud.

B. Lors de son assemblée plénière du 24 mai 2018, le Conseil de la presse a décidé de ne pas entrer en matière sur la plainte en raison d’une part de l’ancienneté des faits incriminés et d’autre part parce que Dominique Giroud avait lui-même retiré une plainte similaire en automne 2015, même s’il n’avait alors pas encore connaissance du contenu des écoutes. S’il refusait d’entrer en matière sur la plainte, le Conseil de la presse décidait néanmoins de s’autosaisir du cas afin d’examiner les questions de principe relatives aux méthodes de travail des journalistes posées par cette affaire. Le dossier a dès lors été confié à la 2e chambre.

C. Yves Steiner et la RTS ont été invités à se prononcer. Dans leur prise de position respective, datée chacune du 20 août 2018, ils font valoir des conclusions similaires. Ils déplorent l’utilisation faite par les plaignants d’extraits choisis d’écoutes ne visant pas le journaliste lui-même et invitent le Conseil de la presse à ne pas entrer en matière sur le fond ou à écarter les écoutes téléphoniques du dossier, jugeant que le secret des sources s’y oppose. A supposer que le Conseil de la presse entre malgré tout en matière, ils réclament un délai supplémentaire pour se déterminer sur le fond. Subsidiairement, la RTS conclut à ce que le dossier soit suspendu jusqu’à ce que les diverses procédures judiciaires en cours entre les parties soient arrivées à leur terme.

D. Le Conseil de la presse a invité l’avocat d’Yves Steiner à produire une ordonnance du Tribunal genevois des mesures de contrainte du 26 juillet 2018. L’avocat en faisait état dans sa prise de position du 20 août et affirmait que cette décision ordonnait la destruction des écoutes téléphoniques entre le journaliste et sa source. Dans sa réponse du 14 septembre 2018, l’avocat a demandé au Conseil de la presse de lui donner la garantie au préalable que cette ordonnance ne serait pas communiquée à Dominique Giroud et Marc Comina et a indiqué qu’il devrait de toute manière requérir l’autorisation du Ministère public avant de pouvoir communiquer ladite décision.

E. La 2ème Chambre, composée de Dominique von Burg (président), Annik Dubied, François Mauron, Denis Masmejan, Sonia Arnal, Michel Bührer et Mélanie Pitteloud, a traité la plainte lors de ses séances des 20 septembre 2018, 14 novembre 2018 et 14 mars 2019 ainsi que par voie de correspondance.

II. Considérants

1. La présente affaire pose une question préalable, celle du secret des sources. Les enregistrements litigieux portent en effet à la connaissance du public des conversations téléphoniques entre un journaliste et l’un de ses informateurs. Ces conversations relèvent indiscutablement du secret des sources, l’une des règles éthiques les plus fondamentales du journalisme. Le Conseil de la presse ne peut se prononcer sur le contenu de tels enregistrements sans se demander en tout premier lieu s’il peut lui-même utiliser de telles informations sans porter atteinte à cette norme essentielle de la profession. Ce n’est que dans un second temps, si le Conseil répond par l’affirmative à cette première question, qu’il pourra passer à l’examen des méthodes utilisées, dans ce cas, par le journaliste.

2. Il n’appartient en aucun cas au Conseil de la presse d’apprécier le statut juridique, apparemment contesté, des enregistrements effectués dans le cadre de l’enquête pénale. Il se bornera à rappeler que le secret rédactionnel est protégé, dans certaines limites, par la Constitution et le code de procédure pénale et que des écoutes téléphoniques ne sont en principe pas envisageables sur les lignes de journalistes s’il s’agit d’élucider des délits de presse. Sous les mêmes réserves, d’éventuelles écoutes légalement effectuées auprès de leurs interlocuteurs ne peuvent pas non plus être exploitées contre des professionnels des médias agissant dans l’exercice de leur métier.

3. Le Conseil de la presse doit déterminer s’il peut en aller autrement pour lui-même et s’il peut se prononcer sur le contenu d’enregistrements ou d’autres informations couverts par le secret de sources. Celui-ci est en effet l’une des normes les plus importantes de toute l’éthique journalistique. Il est largement antérieur à sa consécration légale et constitutionnelle dans le droit suisse. Il a pour but, en favorisant la protection de celui qui renseigne un journaliste, d’assurer une information aussi libre, fiable et proche de la vérité que possible. A cette fin, lorsqu’une source n’accepte de renseigner un journaliste que sous le sceau du secret, ce secret doit rester, pour le professionnel de l’information qui en a bénéficié, un tabou absolu.

4. Dans ce contexte, le Conseil de la presse voit mal comment il pourrait utiliser la divulgation de ces enregistrements sans donner l’impression qu’il participe lui-même à une atteinte au secret des sources et affaiblit par-là, au moins symboliquement, les règles éthiques qu’il a pour mission de défendre. Ces considérations s’imposent d’autant plus qu’une prise de position du Conseil suisse de la presse dans cette affaire, si elle devait être défavorable au journaliste, risquerait d’être utilisée dans les procédures judiciaires en cours. Or le Conseil de la presse a toujours cherché à éviter d’être instrumentalisé de la sorte, en prévoyant notamment dans son Règlement la possibilité de ne pas entrer en matière lorsqu’une procédure judiciaire est conduite en parallèle.

5. Le Conseil de la presse clôt donc le dossier sans examiner plus avant les questions déontologiques que peuvent soulever les méthodes et l’attitude du journaliste telles que les révèlent les extraits de ses conversations téléphoniques avec sa source. Il renonce dès lors aussi à réclamer à l’avocat d’Yves Steiner l’ordonnance du Tribunal genevois des mesures de contrainte du 26 juillet 2018.

III. Conclusions

1. Le Conseil de la presse n’entre pas en matière sur le dossier.

2. Cependant, en réponse aux questions légitimes que le public est en droit de se poser en écoutant ces enregistrements, le Conseil tient à rappeler les points suivants:

– Les journalistes se sont librement donné un corpus de règles éthiques pour renforcer la légitimité de leur rôle, essentiel pour le bon fonctionnement d’une société démocratique. Le journaliste tient notamment pour ses devoirs essentiels de rechercher la vérité, en raison du droit qu’a le public de la connaître et quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même (ch. 1 de la «Déclaration des devoirs et droits du/de la journaliste»). La fin ne justifie toutefois pas tous les moyens. L’utilisation de méthodes déloyales pour découvrir la vérité est ainsi proscrite, sauf exceptions dûment limitées (ch. 4 de la «Déclaration» et directive 4.2). Par ailleurs, les journalistes s’astreignent à défendre et respecter la dignité de la profession, au même titre que son indépendance (ch. 2 de la «Déclaration»).

– Il en découle que les journalistes doivent veiller à donner aux tiers, en particulier dans les contacts qu’ils entretiennent avec leurs sources, une image de la profession conforme aux règles qui viennent d’être rappelées. A cet égard, il faut souligner avec force que le piratage de l’ordinateur ou du téléphone portable d’un journaliste n’est pas seulement une infraction pénale; c’est aussi une atteinte d’une gravité toute particulière à la liberté de la presse. Le journaliste qui apprend qu’un confrère ou une consoeur pourrait être victime d’un tel acte ne peut qu’en être profondément choqué. Il lui appartient alors de réagir en conscience, mais en aucun cas il ne saurait chercher à en tirer profit pour ses propres recherches.

– Si le secret des sources doit continuer à être défendu sans la moindre concession, les journalistes doivent aussi s’en montrer dignes et ne pas chercher à marchander auprès de tiers des informations qui leur ont été révélées sous le couvert du secret des sources.