Nr. 11/2022
Recherche de la vérité / Ne pas supprimer d’éléments essentiels / Identification

(Rodrik c. «gothamcity.ch»)

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Zusammenfassung

Der Schweizer Presserat hat eine Beschwerde gegen «gothamcity.ch» abgewiesen. In der Beschwerde ging es um einen Artikel, in dem geschildert wird, was der wachsende juristische Druck und die Zunahme von beantragten superprovisorischen Massnahmen für das Medium bedeutet. Thematisiert werden auch die damit verbundenen ökonomischen Risiken. Der Beschwerdeführer – ein Geschäftsmann – wird im Artikel namentlich erwähnt. Er wirft «gothamcity.ch» vor, wichtige Elemente des Zivilverfahrens zwischen ihm und dem Medium verschwiegen und seinen Namen erneut veröffentlicht zu haben, ohne dass ein öffentliches Interesse bestanden habe. In dem Verfahren ging es um die Veröffentlichung einer Gegendarstellung, bei der «gothamcity.ch» auf seiner Version beharrte.

Der Presserat hält fest, dass die Veröffentlichung einer Gegendarstellung die Vorwürfe von «gothamcity.ch» nicht hinfällig macht. Im weiteren kommt er zum Schluss, dass das Medium korrekt berichtet und auch keine wesentlichen Informationen unterschlagen hat, zudem rechtfertigt die Bekanntheit des Geschäftsmannes seine Namensnennung.

Résumé

Le Conseil suisse de la presse a rejeté une plainte dirigée contre «gothamcity.ch». La plainte était motivée par un article consacré aux pressions judiciaires exercées sur ce média à travers la multiplication des demandes de mesures superprovisionnelles et la difficulté de recouvrer les dépens accordés par les tribunaux en cas de victoire. Cité dans ce contexte, un trader turco-suisse reprochait au média d’avoir caché des éléments importants de la procédure civile qui les avait opposés et d’avoir à nouveau publié son nom sans que cela soit motivé par un quelconque intérêt public. Ce différend avait fait l’objet d’un droit de réponse et «gothamcity.ch» maintenait sa version.

Le Conseil de la presse a estimé que la publication d’un droit de réponse ne rendait pas les griefs caducs et ne pouvait en soi motiver un refus d’entrée en matière. Il a en revanche considéré qu’aucun des éléments de la plainte n’était fondé. Un lien permettait au lecteur averti d’accéder à la décision de justice et de comprendre le contexte global, aucune information essentielle n’avait été cachée, le plaignant avait bel et bien tardé à verser les dépens et sa notoriété justifiait de donner son identité.

Riassunto

Il Consiglio svizzero della stampa ha respinto un reclamo contro «gothamcity.ch». Il reclamo era motivato da un articolo in cui erano rivelate le pressioni esercitate sulla redazione a mezzo di svariate istanze di misure superprovvisionali e i rischi economici associati a questo. L’imprenditore turco-svizzero rimproverava al sito di aver taciuto elementi importanti della procedura che lo opponeva al sito e di avere rivelato il suo nome senza un vero interesse pubblico. Il sito aveva accordato un diritto di risposta in cui l’imprenditore aveva potuto spiegare le sue critiche.

Il Consiglio della stampa ha ritenuto che la concessione del diritto di risposta non basta a liquidare il caso dal punto di vista deontologico. Il reclamo, però, è stato ritenuto infondato su tutti i punti. Ai lettori il senso della domanda superprovvisionale risultava chiaro, le ragioni dell’imprenditore vi erano menzionate, l’anticipo delle spese da parte sua non era avvenuto e la notorietà di cui egli gode giustificava la menzione del nome.

I. En fait

A. Le 24 février 2021, le média en ligne «gothamcity.ch», spécialisé dans le suivi des affaires financières, publie un article intitulé «Les pressions judiciaires se multiplient contre Gotham City». Celui-ci évoque notamment la multiplication des demandes de mesures superprovisionnelles visant à faire interdire la publication d’articles concernant des hommes d’affaires, mais aussi les réticences de certains plaignants déboutés à verser les dépens accordés par les tribunaux à l’issue de procédures pour atteinte à la personnalité souvent longues et coûteuses, créant ainsi une pression économique supplémentaire sur le titre. L’article cite en exemple plusieurs litiges, dont celui qui l’a opposé au trader turco-suisse Yomi Rodrik (ou Rodrig), établi à Genève. Malgré un jugement définitif en sa faveur, «gothamcity.ch» précise devoir passer par une procédure de recouvrement pour obtenir les 4000 francs octroyés par la Cour de justice. La somme sera finalement encaissée six mois après la parution de l’article par le biais de l’Office des poursuites.

B. Le 21 mai 2021, Yomi Rodrik, par l’intermédiaire de son avocat, saisit le Conseil suisse de la presse d’une plainte estimant que «gothamcity.ch» a violé le chiffre 3 (ne pas supprimer d’éléments d’information essentiels) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration») sous les aspects des directives 1.1 (recherche de la vérité et respect de l’intégrité des documents) et 3.1 (mention de la source) ainsi que le chiffre 7 de la «Déclaration» sous l’aspect de la directive 7.2 (identification).

Le plaignant souligne que l’article incriminé ne mentionne pas la référence de l’arrêt de la Cour de justice relatif à leur litige civil et n’indique pas que cette décision est librement accessible sur le site du pouvoir judiciaire. Le lien menant vers ce document serait réservé aux seuls abonnés contrairement à cet article libre accès. Partant, le plaignant estime que des informations essentielles, comme l’anonymisation exigée par le tribunal en début de procédure ou le fait que la mention initiale faisant de Yomi Rodrik le protagoniste d’une procédure pénale internationale soit qualifiée de «vraisemblablement inexacte» par les juges, ont été cachées. Il ajoute que l’article omet aussi de mentionner que les dépens n’ont été réclamés par l’avocat de «Gotham City» qu’en janvier 2021, soit plusieurs mois après le prononcé de l’arrêt définitif, réduisant ainsi à néant la réalité de cette pression économique.

Le plaignant soutient également que la publication de son nom ne répondait à aucun intérêt public dans le cadre de la thématique dudit article.

C. «Gotham City», sous la plume de son co-fondateur François Pilet, a pris position le 7 décembre 2021 indiquant que le plaignant a omis de mentionner la publication d’un droit de réponse, daté du 18 mars 2021 et donc antérieur à sa plainte au Conseil suisse de la presse. Droit de réponse qui évoque précisément l’ordonnance superprovisionnelle portant sur l’anonymisation, sa révocation, l’arrêt de la cour qui nuance le soupçon à l’encontre de Yomi Rodrik, mais retient que la gravité de l’atteinte n’est pas réalisée en raison notamment du nombre restreint d’abonnés et, enfin, le fait que les dépens ont été réclamés en janvier 2021. Les griefs sur ces points seraient donc rendus caducs.

Le média précise aussi que l’article litigieux contenait bien un lien vers la décision de la Cour de justice à travers un renvoi vers un précédent article daté du 27 janvier 2021 et passé en libre d’accès lors de la parution de celui qui fait l’objet de la présente plainte. Un droit de réponse a également été ajouté à ce premier article précisant que ni Yomi Rodrik, ni ses sociétés ne sont impliqués dans la procédure pénale menée aux Etats-Unis contre Télémaque Lavidas. «gothamcity.ch» maintenant au demeurant sa position initiale.

Enfin, «gothamcity.ch» souligne que le versement des dépens est intervenu fin juillet 2021, soit onze mois après l’arrêt de la Cour de justice.

«Gotham City» ne se prononce pas sur les reproches touchant à la directive 7.2.

D. La présidence du Conseil suisse de la presse a confié le traitement de la plainte à sa 2e chambre, composée d’Annik Dubied (présidence), Joëlle Fabre, Sébastien Julan, Fati Mansour, Denis Masmejan, David de Siebenthal et Anne-Frédérique Widmann.

E. La 2e chambre du CSP a traité la plainte lors de sa séance du 20 janvier 2022 ainsi que par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Le plaignant ayant obtenu la publication d’un droit de réponse sur les aspects mentionnés, avec maintien de la position de «gothamcity.ch», la question d’une entrée en matière se pose. Le droit de réponse est un instrument du code civil qui permet à la personne directement touchée par le contenu d’un article de présenter sa version des faits dans le même média. Ce droit vise une sorte de rééquilibrage rapide des points de vue à destination de la même audience sans avoir en principe à ouvrir une action judiciaire (sauf en cas de refus). Ce droit de réponse ne présente donc a priori pas le caractère d’une procédure parallèle susceptible de fonder une non entrée en matière du Conseil suisse de la presse.

Il faut encore se demander si ce droit de réponse apporte des mesures correctrices de nature à justifier une non entrée en matière dans des cas de peu d’importance. Les éléments publiés dans cette réponse, bien visible au bas de l’article litigieux, apportent effectivement toutes les informations que le plaignant estime essentielles et qui sont mentionnées dans sa plainte. Toutefois, «gothamcity.ch» indique maintenir sa position et le droit de réponse ne peut donc être interprété comme un correctif. En tout état de cause, le Conseil suisse de la presse estime que la publication de ce droit de réponse ne change pas fondamentalement la problématique et son impact sur les éléments de la plainte peut demeurer indécis pour les raisons qui vont suivre.

2. Le Conseil suisse de la presse traitera ensemble de toutes les questions liées au chiffre 3 de la «Déclaration» (précisant le chiffre 1 de la «Déclaration») qui intime aux journalistes de ne pas supprimer des éléments d’information essentiels, la directive 1.1 (recherche de la vérité) sur le respect de l’intégrité des documents et la mention de la source, renvoyant elle-même à la directive 3.1 (traitement des sources).

En ce qui concerne le chiffre 3 de la «Déclaration», on ne voit pas très bien en quoi «gothamcity.ch» aurait caché ou dénaturé des éléments essentiels. L’article contenait les liens permettant d’accéder librement – certes au moyen d’un petit effort de recherche — à la décision de justice (la source) et donc de comprendre au besoin le contexte de toute l’affaire. L’origine de l’information, un arrêt de la cour, est clairement identifiable par le lecteur, de plus averti, de ce média.

L’anonymisation du plaignant, exigée en tout début de procédure sur mesure superprovisionnelle et qui n’a pas été confirmée par la suite, ne peut être considérée en soi comme une information capitale méritant une mention particulière dans le cadre de ce nouvel article consacré aux pressions exercées sur un média.

De même, l’appréciation de la cour selon laquelle il est «vraisemblablement inexact» que le plaignant et ses sociétés sont des protagonistes (au sens d’acteurs importants) d’une procédure pénale américaine n’est ni occultée, ni particulièrement pertinente pour comprendre le sujet. Dans l’article litigieux, «gothamcity.ch» décrit d’ailleurs le trader turco-suisse comme celui «dont le nom était apparu en marge d’une procédure de délit d’initié aux Etats-Unis», n’en faisant dès lors pas (ou plus) un personnage central.

Enfin, le reproche sur l’omission de préciser que les dépens n’ont été réclamés qu’en janvier 2021, soit peu de temps avant la publication de l’article et plusieurs mois après le prononcé de l’arrêt, tout en faisant croire ainsi à une forme de pression, tombe à faux et relève du procès d’intention. L’arrêt, daté du 31 août 2020, a été reçu le 24 septembre 2020 et n’est entré en force que trente jours plus tard. De plus, «gothamcity.ch» a dû passer par l’Office des poursuites pour encaisser le montant fin juillet 2021, ce qui suffit à démontrer la réalité du problème.

La plainte ne permet donc pas de conclure à une violation du chiffre 3 de la «Déclaration», ni des directives 1.1 et 3.1.

3. Pour ce qui est de la directive 7.2 (identification), le Conseil estime qu’on se trouve dans un cas limite mais que l’identification du plaignant pouvait se justifier au regard de l’intérêt public et de sa notoriété dans le milieu des affaires, milieu qui constitue le public cible de «gothamcity.ch». Le sujet de l’article est également en rapport avec les causes de cette notoriété.

Dans l’arrêt qui déboute le plaignant, la Chambre civile de la Cour de justice a d’ailleurs admis qu’il existait un intérêt public à ce que les professionnels actifs dans le domaine de la finance – en l’occurrence les abonnés de «Gotham France» – aient connaissance d’informations apparues lors de poursuites pénales, informations qui peuvent se révéler utiles aux personnes amenées à traiter professionnellement avec le plaignant et ses sociétés afin d’évaluer la situation en toute connaissance de cause.

Le même arrêt fait remarquer que le plaignant et ses sociétés ont déjà été nommément cités plus d’une vingtaine de fois par la presse internationale sur une période de dix ans.

Sur ce dernier point, le Conseil suisse de la presse a eu l’occasion de dire que la retenue dans la mention du nom peut perdre de son sens lorsque celui-ci a déjà été évoqué, même de manière injustifiée, dans des médias étrangers largement répandus (prise de position 6/2003).

Le fait que le cercle des abonnés de «gothamcity.ch» soit limité n’est qu’un des arguments ayant motivé l’arrêt de la Cour de justice et le passage en libre accès de l’article visé par la présente plainte ne saurait modifier fondamentalement ce raisonnement.

Enfin, l’anonymisation des arrêts de la cour ne lie pas les journalistes et la logique voulait ici que «gothamcity.ch» puisse renvoyer à ses articles antérieurs permettant de comprendre le contexte global, articles qui mentionnent le nom du plaignant ainsi que certaines informations réclamées à nouveau par celui-ci dans son droit de réponse et dans sa plainte au Conseil de la presse. La directive 7.2 (identification) n’est donc pas violée.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En publiant sur son site «Les pressions judiciaires se multiplient contre Gotham City», le média en ligne n’a pas violé le chiffre 3 (traitement des sources) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste», ni les chiffres 1 (recherche de la vérité) et 7 (identification). L’article n’a pas omis d’information essentielle et la révélation de l’identité du plaignant était justifiée par les circonstances.