Nr. 7/2019
Dénaturer un texte / Méthodes déloyales / Rectification / Dignité humaine

(Markus/Shazar/Keller c. «Tribune de Genève»)

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Zusammenfassung

Der Schweizer Presserat hat die Beschwerde von Virginia Markus, Pia Shazar und Elisa Keller gegen einen Artikel in der «Tribune de Genève» teilweise gutgeheissen. Unter dem Titel «Pourquoi les casseurs épargnent le halal» (Warum verschonen die Vandalen Halal-Geschäfte?) wird gefragt, warum Tierbefreiungsaktivisten (Antispeziesisten) Halal-Metzgereien grösstenteils verschonen. Der Autor stützt sich dabei auf die Aussagen von drei Vertreterinnen der Antispeziesismus-Bewegung in der französischsprachigen Schweiz. Weiter versucht der Artikel die antispeziesistische Bewegung einzuordnen. Dabei wird die Frage aufgeworfen, ob sie dem Linksextremismus, dem Antirassismus und dem Feminismus nahesteht.

Virginia Markus, Pia Shazar und Elisa Keller werfen der «Tribune de Genève» vor, Zitate entstellt sowie mit unlauteren Methoden Informationen beschafft und die Menschenwürde verletzt zu haben. Weiter habe die Zeitung Virginia Markus erst nicht korrekt identifiziert und sich dann geweigert, die falschen Angaben in der Papierversion der «Tribune de Genève» zu korrigieren.

Basierend auf der Analyse des umfangreichen E-Mail-Austausches vor der Veröffentlichung des Artikels weist der Presserat die meisten Vorwürfe der Verletzung des Journalistenkodex zurück. In einem Punkt heisst er die Beschwerde jedoch gut: Indem die «Tribune de Genève» die Funktion von Virginia Markus in ihrer Papierausgabe nicht korrigiert hat, hat sie die Berichtigungspflicht verletzt. Der Presserat erinnert daran, dass die Korrektur eines Online-Artikels gekennzeichnet werden muss und dass diese nicht gleichzeitig für die Printausgabe gilt.

Résumé

Le Conseil suisse de la presse a partiellement admis la plainte de Mesdames Virginia Markus, Pia Shazar et Elisa Keller contre un article publié le 2 juillet 2018 dans la «Tribune de Genève». Intitulé «Pourquoi les casseurs épargnent le halal», cet article se demande pourquoi les boucheries halal sont plutôt épargnées par les activistes antispécistes, en s’appuyant sur le témoignage des «trois figures de l’antispécisme romand». Le texte élargit ensuite le propos en tentant de mettre en contexte le mouvement antispéciste, se demandant s’il est proche de l’extrême gauche, de l’antiracisme et du féminisme.

Mesdames Virginia Markus, Pia Shazar et Elisa Keller reprochent à la «Tribune de Genève» d’avoir dénaturé des citations, d’avoir usé de méthodes déloyales pour obtenir des informations et de ne pas respecter leur dignité humaine. Elles reprochent en outre au quotidien de n’avoir pas identifié correctement Virginia Markus, puis d’avoir refusé de rectifier l’information erronée dans la version papier de la «Tribune de Genève».

Se basant notamment sur l’analyse des nombreux échanges de mails précédant la publication, le Conseil suisse de la presse rejette les accusations de violation des chiffres 3 et 4 de la «Déclaration des devoirs et des droits de la/du journaliste». En revanche, il admet la plainte sur un point: en ne rectifiant pas la fonction de Virginia Markus dans son édition papier, la «Tribune de Genève» a violé le chiffre 5 de la «Déclaration» (devoir de rectification). Le Conseil suisse de la presse rappelle qu’une rectification d’un article en ligne doit être signalée, et qu’elle ne vaut pas pour le papier. Pour le reste, la plainte est rejetée.

Riassunto

Il Consiglio Svizzero della Stampa ha accolto parzialmente un reclamo presentato da Virginia Markus, Pia Shazar e Elisa Keller contro un articolo pubblicato il 2 luglio 2018 dalla «Tribune de Genève». Intitolato «Pourquoi les casseurs épargnent le halal» (Perché i teppisti risparmiano le macellerie halal), l’articolo si domanda come mai i negozi che vendono carne trattata nel rispetto della religione ebraica sono in genere risparmiati dagli attivisti antispecisti (l’antispecismo è un movimento che si oppone allo specismo, cioè alla negazione di un valore identico a tutte le specie, NdT). Citato è il parere di tre persone in vista dell’antispecismo romando. L’articolo cerca pure di situare l’antispecismo, rispetto per esempio all’estrema sinistra, all’antirazzismo o al femminismo.

Le reclamanti rimproverano alla «Tribune de Genève» di avere alterato delle citazioni, di aver usato metodi sleali nella raccolta delle informazioni e di mancare di rispetto alla loro dignità di persone. Pure criticata la «Tribune» per essersi rifiutata di correggere nella versione a stampa del giornale un errore incorso nell’identificazione di Virginia Markus.

Basandosi in particolare sull’analisi dei messaggi di posta elettronica scambiati tra le parti prima della pubblicazione, il Consiglio della stampa ha respinto gli addebiti di violazione delle Cifre 3 e 4 della «Dichiarazione dei doveri e dei diritti del giornalista». Il reclamo è invece ammesso sul punto che riguarda la citazione della funzione di Virginia Markus. Il Consiglio ribadisce il valore della Cifra 5 della «Dichiarazione» (Dovere di rettifica), nel senso che non basta correggere online: se errore c’è stato anche nell’edizione a stampa, anche lì dev’essere corretto. Per il rimanente, il reclamo è respinto.

I. En fait

A. Le 2 juillet 2018, la «Tribune de Genève» et «24 Heures» publient sur leur site internet et dans leur édition papier un article intitulé «Pourquoi les casseurs épargnent le halal», signé par la journaliste Marianne Grosjean. Cet article se compose d’un texte principal, de deux encadrés et d’un glossaire explicatif. Le texte principal se base sur le témoignage de «trois figures de l’antispécisme romand»: Virginia Markus, Pia Shazar et Elisa Keller. Son point de départ est le suivant: depuis février, seize enseignes (boucheries, restaurants McDonald’s, kebabs) ont été la cible d’activistes antispécistes entre Genève et Nyon. Partant de ce constat, l’auteure pose une question initiale: doit-on s’attendre à un vandalisme particulier tourné vers les boucheries halal et casher, qui traduirait une protestation contre l’abattage rituel, impliquant l’égorgement de l’animal sans étourdissement? L’article répond non à cette question, en s’appuyant sur le témoignage des trois personnes citées ci-dessus, en précisant qu’elles «s’éloignent de la responsabilité des actes de vandalisme commis». La journaliste élargit ensuite son propos en tentant de mettre en contexte le mouvement antispéciste, se demandant s’il est proche de l’extrême gauche, de l’antiracisme et du féminisme. Les deux encadrés font apparaître le témoignage de deux autres personnes. Dans le premier d’entre eux, Raphaël Bovey, qui est ingénieur du son et végane, soutient que l’antispécisme est un mouvement incohérent et freine le véganisme. Dans le second encadré, Youri Volokhine, historien des religions, égyptologue et anthropologue, estime que l’antispécisme est basé sur des «théories bidon». Enfin, le glossaire explique diverses notions comme «végane» et «antispécisme».

B. Le 13 août 2018, Virginia Markus, Pia Shazar et Elisa Keller déposent une plainte contre la «Tribune de Genève» au Conseil suisse de la presse. Elles estiment que l’article publié le 2 juillet viole la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après la «Déclaration») sur quatre de ses points. Selon elles, le chiffre 3 (dénaturer un texte) est violé car l’article leur attribue des propos qu’elles n’ont pas tenu et d’autres qui ont été sortis de leur contexte. Le chiffre 4 (méthodes déloyales pour obtenir des informations) serait également violé, car la journaliste a contacté les trois femmes en leur disant que l’article porterait sur la convergence entre antispécisme, antiracisme, féminisme et pensée décoloniale et non pas sur les caillassages. Le chiffre 5 (rectification d’une information erronée) est aussi violé selon les plaignantes, car Virginia Markus est identifiée comme «porte-parole de l’association 269 Libération animale» au lieu de «auteure et militante antispéciste». Or si cela a été corrigé sur la version en ligne, aucun rectificatif n’a été apporté dans la version papier du journal. Enfin le chiffre 8 (respect de la dignité humaine) serait violé car l’article rabaisserait les trois femmes au statut de «casseurs racistes et incohérents».

C. Le 23 octobre 2018, Olivier Bot, rédacteur en chef adjoint, prend position au nom de la «Tribune de Genève». Il rejette les différentes accusations de violation de la «Déclaration». Selon lui, le chiffre 3 n’est pas violé car les trois femmes ont pu relire par mail la version finale de leurs citations à paraître dans l’article. Il estime par ailleurs qu’aucune citation n’a été sortie de son contexte, car les antispécistes répondent à des questions sur les caillassages qui leur ont été effectivement posées. Le chiffre 4 ne serait pas non plus violé car aucune méthode déloyale n’a été utilisée pour amener deux des plaignantes à se prononcer sur les caillassages. Le chiffre 5 ne serait pas non plus violé car la rectification demandée a été effectuée en ligne et qu’elle portait sur un élément mineur. Enfin, selon Olivier Bot, le chiffre 8 n’est pas violé, car, en substance, jamais l’article ne réduit les personnes interviewées à des «casseurs racistes et incohérents».

D. La présidence du Conseil suisse de la presse confie le traitement de la plainte à sa 2e Chambre, composée de Dominique von Burg (président), Sonia Arnal, Michel Bührer, Annik Dubied, Denis Masmejan, François Mauron et Mélanie Pitteloud.

E. La 2e Chambre traite la plainte dans sa séance du 14 mars 2019, ainsi que par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Pour ce qui est du chiffre 3 de la «Déclaration», la question est de savoir si l’auteure de l’article a dénaturé les citations attribuées à Mme Markus, Shazar et Keller, ou si elle les a sorties de leur contexte. Après analyse des nombreux échanges de courriels entre les parties, le Conseil suisse de la presse estime que ce n’est pas le cas. En effet, toutes les citations ont été relues et âprement négociées entre l’auteure et les personnes interviewées. Par ailleurs suffisamment de temps a été accordé pour la relecture. Dès lors, il n’est pas loisible d’affirmer que ces citations ont été dénaturées ou sorties de leur contexte. Le chiffre 3 de la «Déclaration» n’est pas violé.

2. Concernant le chiffre 4 de la «Déclaration», le Conseil suisse de la presse ne voit pas en quoi il a été violé. La journaliste s’est annoncée ès qualité, et son sujet concernait le domaine de compétence des trois femmes interviewées. Comme les plaignantes elles-mêmes le précisent, elles ont été contactées pour un article portant sur les convergences de l’antispécisme avec l’antiracisme, le féminisme ou la pensée décoloniale. Que le journal traite de cette question à partir des caillassages est tout à fait légitime. C’est en effet au journaliste qu’il appartient de donner un angle à son article. De plus, il ressort de la correspondance échangée que jamais la journaliste ne s’est engagée à ne pas parler des caillassages. Elle n’a donc pas usé de méthodes déloyales pour obtenir des informations. Le chiffre 4 de la «Déclaration» n’est pas violé.

3. Les plaignantes estiment en outre que le chiffre 5 de la «Déclaration» est violé, au motif que Virginia Markus est présentée comme «porte-parole de l’association 269 Libération animale» au lieu de «auteure et militante antispéciste». Cette information erronée n’a été corrigée que sur la version en ligne du média. Cette erreur factuelle aurait également dû être rectifiée sur la version papier du journal. La défense de la «Tribune de Genève» estimant que ce n’est pas important ne tient pas: les personnes citées dans un article, ainsi que le public, ont droit à ce que leur fonction soit correctement identifiée. Par ailleurs, la rectification en ligne aurait dû être signalé, ce qui n’a pas été le cas. Le chiffre 5 de la «Déclaration» (rectifier toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte) a bel et bien été violé.

4. Les plaignantes estiment enfin que le chiffre 8 de la «Déclaration» (respect de la dignité humaine) est violé car l’auteure les rabaisserait au statut de «casseurs racistes et incohérents». L’article indique pourtant d’emblée que les trois femmes «s’éloignent de la responsabilité des actes de vandalisme commis». Par la suite, il n’est à aucun moment fait mention qu’elles auraient accompli des caillassages. Ceux-ci sont bien justifiés par Virginia Markus dans le texte, mais ses arguments sont d’ordre philosophique. Elle compare de (simples) dégâts matériels aux violences subies par les animaux. Le chiffre 8 de la «Déclaration» n’est donc pas violé.

III. Conclusions

1. La plainte est partiellement admise.

2. En ne rectifiant pas le titre de Virginia Markus dans son édition papier, la «Tribune de Genève» a violé le chiffre 5 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste». Le Conseil suisse de la presse rappelle qu’une rectification d’un article en ligne doit être signalée, et qu’elle ne vaut pas pour le papier.

3. Pour le reste, la plainte est rejetée. La «Tribune de Genève» n’a pas violé les chiffres 3, 4 et 8 de la «Déclaration».