Nr. 8/1999
Respect de la sphère privée d’un auteur

(D. c. „Edelweiss) Prise de position du 31 mars 1999

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I. En fait

A. Dans son numéro 1 paru en novembre 1998, le magazine féminin romand „Edelweiss“ s’inspire de l’image et du souvenir de la voyageuse et auteur Ella Maillart pour ses pages „Mode“. Des citations de l’écrivain „habillent“ les photos de modèles hivernaux, assortis des mentions des produits portés par les mannequins. Un texte signé Anne Deriaz est en outre publié au cours de ces pages. Y figurent également des références à l’oeuvre d’Ella Maillart. Contestant cette démarche éditoriale, la journaliste genevoise D. a adressé le 5 et 13 novembre 1998 une plainte au Conseil de la presse.

B. D. estime que le chiffre 9 de la „Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste“ a été violé („s’interdire de confondre le métier de journaliste avec celui de publicitaire, n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs publicitaires“). Elle dénonce aussi l’utilisation du nom d’une personne sans son consentement ou celui de ses héritiers, à des fins de publicité commerciale.

C. Dans sa réponse du 4 décembre 1998 la rédactrice en chef d’„Edelweiss“, R., conteste cette approche: elle considère avoir évoqué le style d’Ella Maillart avec le plus grand respect, en se basant sur ses écrits et en demandant à Anne Deriaz, qui a partagé les dernières années de sa vie et venait de publier un ouvrage sur elle, de „donner son éclairage sur le sujet“. Mme R. nie avoir cédé à une pression “d’aucune sorte et de qui que ce soit“.

II. Considérants

1. Rien dans les pages d’„Edelweiss“ ne permet d’affirmer que ce magazine a suivi des consignes d’annonceurs. La rédaction paraît au contraire avoir exploité l’actualité de la sortie du livre de Mme Deriaz pour donner un thème à ses pages mode. Le texte commandé à cette dernière comprend déjà implicitement la critique d’une telle démarche („J’ai eu beaucoup de peine à associer Ella Maillart au concept de Mode. J’y ai vu une sorte de transgression de récupération, une impossibilité“). L’auteur se plie pourtant à l’exercice. Son hésitation signale qu’elle était consciente de prêter sa signature et l’autorité que lui vaut son ouvrage sur Ella Maillart à une opération de caractère promotionnel en faveur des modèles présentées.

2. „Edelweiss“ mentionne les marques des vêtements photographiés, mais se conforme à une pratique courante, que l’on peut assimiler à une forme de „service aux lecteurs“. Le magazine fait d’ailleurs de même pour les oeuvres d’Ella Maillart et le livre d’Anne Deriaz. 3. L’utilisation du nom de Mme Maillart sans son consentement ou celui de ses héritiers devrait être traitée en droit, ce qui sort des attributions du Conseil de la presse. Laurence D. compare à tort le cas d’„Edelweiss“ avec celui des cigares Churchill: le magazine ne lance pas une ligne de vêtements Ella Maillart, mais utilise sa réputation et son style vestimentaire.

4. Néanmoins, l’association de cette voyageuse à des produits commerciaux peut porter atteinte à l’image d’une femme qui se place au-dessus des contingences matérielles et de consommation, en quoi il y aurait plutôt atteinte au chiffre 7 de la „Déclaration des devoirs et des droits du/ de la journaliste“ (voir la prise de position du Conseil de la presse du 12 mars 1998 concernant l’utilisation commerciale de l’image d’une personne de la vie publique, recueil 1988, p. 73ss.). Tant le texte d’Anne Deriaz que les oeuvres de l’auteur référencées par „Edelweiss“ permettent cependant de rétablir une impression plus juste du personnage.

III. Conclusions

1. En dépit du caractère effectivement discutable du rapprochement entre la personnalité d’Ella Maillart et des articles de mode, l’Edelweiss n’a pas violé la „Déclaration des devoirs et de droits du/de la journaliste“.

2. Associer un écrivain ou toute autre personnalité à la présentation d’articles de mode ou d’autres produits de consommation est souvent discutable ou maladroit. Il se peut que cette exploitation soit même en contradiction flagrante avec l’image de cette personnalité ou de son souvenir, ce qui constitue une atteinte au respect de la personne. Dans tous les cas, il convient de s’assurer du consentement des intéressés lorsque ce consentement peut être obtenu.