Nr. 43/2012
Loyauté de la recherche / Sphère privée

(X. c. «Tribune de Genève») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 24 août 2012

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I. En fait

A. Le 10 septembre 2011, la «Tribune de Genève» publie un article signé par Dejan Nikolic sur un cambriolage dans une villa à Trelex, au-dessus de Nyon («Cambriolage: la bonne est ligotée, puis séquestrée»). «Marie* (identité connue de le rédaction)», une employée de maison, qui avait la garde de la villa pendant la nuit en question, raconte en détail «comment deux individus encagoulés ont dévalisé ses employeurs en sa présence».

B. Le 20 décembre 2011 et 9 janvier 2012, X., avocat de Genève, saisit le Conseil suisse de la presse en son propre nom, sur mandat de la propriétaire de la maison dont il est question dans l’article publié par la «Tribune de Genève». Selon le plaignant, l’employée de maison ne s’est jamais confiée à l’auteur de l’article. «Monsieur Dejan Nikolic a confessé que les informations à l’origine de son article ont été surprises alors que la victime était attablée dans un restaurant et discutait en serbe avec des proches.» En outre, selon le plaignant, l’article viole la vie et la sphère privée de la victime, «qui s’exprimait alors en toute intimité et confiance en s’adressant à des proches».

C. Par un courrier du 19 janvier 2012, la «Tribune de Genève» demande que le plaignant indique les points de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» qui, de son avis, ont été violés par le compte rendu médiatique mis en cause.

D. Le 1er mars, X. répond que la «Tribune de Genève» a violé les chiffres 4 (loyauté de la recherche) et 7 (sphère privée) de la «Déclaration».

E.
La «Tribune de Genève» prend position le 2 avril 2012, sous la plume de Pierre Ruetschi, rédacteur en chef. Il demande au Conseil suisse de la presse de rejeter la plainte de X. D’après lui, l’information selon laquelle l’employée nommée «Marie» ne se serait jamais confiée a Dejan Nikolic est erronée. «‹Marie› est en effet une connaissance de la famille de M. Nikolic. Ainsi, M. Nikolic s’est longuement entretenu avec Marie le lundi 5 septembre 2011. Lors de cet entretien, ‹Marie› lui a expliqué en détail le cambriolage (…) Dans la mesure où ‹Marie› était à cette époque encore employée chez la propriétaire, elle a demandé à demeurer anonyme lors de la publication de l’article.»La «Tribune de Genève» nie que Dejan Nikolic ait «confessé» que les informations «à l’origine de ses écrits eussent été surprises dans un restaurant». C’est «Marie» qui a inventé «cette histoire» car elle n’a pas osé avouer à sa patronne, «qu’elle avait été dûment interviewée par M. Nikolic. (…) M. Nikolic, soucieux de préserver sa source à laquelle il avait garanti l’anonymat, n’a pu ainsi que confirmer la version inventée de ‹Marie› lors de la conversation téléphonique qu’il a eu avec la propriétaire, sous peine de dévoiler sa source.» Etant donné que «Marie» ne travaille plus pour la propriétaire, le journaliste est en mesure de dévoiler sa source.

Concernant une éventuelle violation de la sphère privée, la «Tribune de Genève» souligne que les informations transmises par ‹Marie› au journaliste l’«ont été de façon consentie et dans le cadre d’une interview. Le fait que ‹Marie› ait demandé à être protégée comme source démontre bien à quel point elle avait compris que ces informations seraient utilisées dans un article.» Le rédacteur en chef de la «Tribune de Genève» réfute que la description de la propriété dans l’article ait été suffisante pour la reconnaître. «Aucune description n’est faite de la villa cambriolée, si ce n’est qu’elle se situe dans la commune de Trelex, laquelle compte tout de même 1369 habitants!» En outre, l’article ne comporte aucune photo du bâtiment.

F. Selon l’art. 12 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil suisse de la presse ou qui revêtent une importance mineure.

G. Le 10 avril 2012, le Conseil suisse de la presse communique que l’échange de correspondance avec les parties est terminé et que la plainte sera traitée par la présidence du Conseil.

H.
La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Francesca Snider (vice-présidente) et de Mac Trossmann (vice-président), a traité la présente prise de position le 24 août 2012 par voie de correspondance. Dominique von Burg (président), ancien rédacteur en chef de la «Tribune de Genève», s’est récusé.


II. Considérants

1. Le Conseil de la presse, selon une pratique constante, relève qu’il ne lui appartient pas de vérifier si des allégations de faits contestés par les parties et contenus dans un récit médiatique correspondent à la vérité (voir à ce sujet les prises de position 50/2006, 3 et 32/2007). Le Conseil de la presse ne dispose d’ailleurs pas des moyens contraignants nécessaires pour mener une procédure d’administration des preuves concernant des états de fait contestés.

2. En occurrence, le Conseil de la presse ne peut donc pas vérifier si le journaliste à mené un entretien avec «Marie» à des fins d’enquête ou si au contraire les informations à l’origine de l’article contesté ont été surprises alors que l’employée discutait dans un restaurant en serbe avec des proches. Dès lors, une violation du chiffre 4 de la «Déclaration» n’est pas établie.

3.
De même, le Conseil de la presse nie une violation du chiffre 7 de la «Déclaration» (sphère privée). D’une part, il doit partir de l’hypothèse que «Marie» était d’accord que les informations fournies par elle seraient publiées (voir le considérant 2 ci-dessus). D’autre part, l’article ne contient ni le nom ni d’autres informations permettant l’identification de «Marie» ou d’autres personnes par des tiers n’appartenant pas à l’entourage familial, social ou professionnel, donc informés exclusivement par les médias (Directive 7.2 relative à la «Déclaration»).

III. Conclusions

1.
La plainte est rejetée.

2. En publiant l’article intitulé «Cambriolage: la bonne est ligotée, puis séquestrée» dans son édition du 10 septembre 2011, La «Tribune de Genève» n’a pas violé les chiffres 4 (loyauté de la recherche) et 7 (sphère privée) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».