Nr. 9/2004
Liberté de commenter

(Ferrazino c. «Genève Home Information») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 6 février 2004

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I. En fait

A. Dans son édition datée des 18 et 19 juin 2003, «Genève Home Information» (GHI), hebdomadaire genevois gratuit publie un article signé François Baertschi et titré «Ferrazino 1er: drôle de sacre». L’article se présente sous la forme d’un portrait vitriolé du nouveau maire de Genève. «Elu de l’Alliance de gauche, Christian Ferrazino se place dans la mouvance des trotskystes, marxistes – ou apparentés – et autres révolutionnaires inspirés par ces idéologies qui ont fait faillite dans de nombreux pays. Pensons au Cambodge des khmers rouges ou à l’Union soviétique du goulag, qui n’ont pas été une réussite. C’est un euphémisme», écrit François Baertschi. Plus loin, ce dernier s’en prend également aux déclarations de M. Ferrazino sur les suites du sommet du G-8 où le magistrat genevois réclamait que la Confédération dédommage les victimes de déprédations.

B. Une semaine après, le 25 juin 2003, GHI publie un droit de réponse substantiel de Christian Ferrazino dans lequel il réfute toutes les accusations lancées contre lui et qui lui a permis de donner largement son point de vue.

C. Le 30 juin puis plus complètement le 26 septembre 2003, Christian Ferrazino dépose une plainte auprès du conseil de la presse. Il juge que l’article de François Baertschi viole plusieurs chiffres de la «Déclaration des devoirs et des droits des journalistes. Il invoque d’abord le chiffre 1 prescrivant aux journalistes de rechercher la vérité. Le plaignant conteste en effet qu’on puisse associer son nom au génocide cambodgien. Il invoque également les chiffres 3, estimant que sur le sujet du G-8 ses propos ont été dénaturés, le chiffre 7 qui interdit aux journalistes les accusations gratuites et dont il serait victime s’agissant de son engagement politique et enfin le chiffre 8 qui prescrit aux journalistes le respect de la dignité humaine qu’en l’occurrence l’auteur n’aurait pas respecté en salissant sa réputation.

D. Dans une réplique circonstanciée adressée au conseil le 10 novembre 2003, M. François Baertschi rejette ces accusations. S’il admet que son article relève du genre pamphlétaire, il invoque le droit général du journaliste à la critique et plus encore s’agissant d’un homme public exerçant des fonctions importantes. Il réfute également dans le détail les arguments du plaignant et rappelle que ce dernier a eu droit la semaine suivant la publication de son article à un droit de réponse.

E. Le 11 novembre 2003, M. Gil Egger, rédacteur en chef de GHI rejette à son tour les accusations de M. Ferrazino.

F. La plainte a été transmise à la 2ème Chambre du Conseil de la Presse, composée de Mmes Sylvie Arsever et Nadia Braendle ainsi que des MM. Dominique von Burg, Daniel Cornu (président), Jean-Pierre Graber, Ueli Leuenberger et Michel Zendali

G. Le 8 décembre 2003 M. Peter Studer, président et Mme Esther Diener-Morscher, vice-président one rejeté une demande de récusation de l’ensemble de la 2ème chambre du Conseil déposé par François Baertschi et Gil Egger et ont répondu à leurs critiques concernant la procédure suivie.

H. Par courriers du 18 décembre 2003 et 20 janvier 2004 M. François Baertschi a renouvelé sa critique concernant la procédure.

I. Le 1er janvier 2004 Daniel Cornu et Ueli Leuenberger ont été remplacés par Pascal Fleury et Charles Ridoré. Sylvie Arsever a remplacé Daniel Cornu à la présidence.

K. La 2ème Chambre a traité la plainte dans ses séances du 12 décembre 2003 et du 6 février 2004.

II. Considérants

1. De manière constante, le Conseil suisse de la Presse a souligné l’importance qu’il attache à la liberté du commentaire, précisant que celui-ci «doit jouir d’une large liberté quant au ton adopté» (prises de position 4/92). Dans ses prises de position (cf notamment 50/2002) le conseil rappelle cependant que cette liberté de commenter ne saurait être sans limites. Dans la prise de position citée, le conseil note par exemple qu’il convient de respecter la sphère privée et l’obligation de ne faire état que de faits avérés.

2. A l’évidence, l’article écrit par M. Baertschi use à plein la latitude du commentaire. Il relève du genre pamphlétaire qui suppose une exagération et l’hyperbole stylistique. Le titre de l’article annonce clairement la couleur pour le lecteur ainsi prévenu qu’il se trouve bien en présence d’un texte ouvertement critique.

3. En l’espèce, il n’est pas de la compétence du Conseil de trancher la question de savoir si l’engagement politique du plaignant l’a conduit à soutenir peu ou prou les régimes communistes. François Baertschi ne l’affirme d’ailleurs pas expressément. Il opère à ce sujet un amalgame, qui est perceptible par le lecteur et reste dans les limites acceptables s’agissant d’un pamphlet.

4. Sur la question du G-8 et des manifestations qui l’ont précédé et accompagné, l’article de M. Baertschi souffre sans doute de quelques imprécisions. Certes, ces rassemblements ont été également «organisés» par des membres de l’Alliance de gauche à laquelle appartient M. Ferrazino. Pour autant, on ne peut pas imputer à ce parti – et a fortiori à l’un de ses élus – la responsabilité directe et unique des débordements qui les ont suivi. François Baertschi use ici du procédé de l’amalgame mais il reste dans les limites acceptables explicitement posées par la pratique du Conseil.

Dans ses prises de position 16/1999, 30 et 44/2001, le Conseil a précisé qu’un «commentaire ne peut remplir son rôle d’éclairage du public que dans la mesure où ce dernier connaît les faits qui justifient l’opinion exprimée».

En l’occurrence, les faits – les débordements lors des manifestations anti-G-8 – sont connus et rappelés dans l’article. François Baertschi propose une interprétation, une lecture de ces événements, qu’on peut certes discuter, mais qui se présente comme telle.

5. S’agissant enfin de la phrase «Ferrazino aboie et la caravane passe», on ne peut en aucun cas suivre le plaignant lorsqu’il juge injurieux d’avoir été comparé à un chien. L’expression est peut-être de mauvais goût mais elle est évidemment et rigoureusement métaphorique.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. Au nom de la liberté de commenter, un commentaire pamphletaire, même blessant, à l’égard d’un magistrat est admissible dès lors qu’il est reconnaissable comme tel par les lecteurs et qu’il n’allègue pas de faits qui sont objectivement faux.