Nr. 2/1996
Traitement des sources / Rectification d’informations inexactes / Accès aux sources d’information

(Salvadé c. Giordano), du 31 mai 1996

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Stellungnahme

Quellenbearbeitung / Berichtigung ungenauer Informationen Zugang zu Informationsquellen

Die Notwendigkeit der Anhörung der von einem Medienbericht Betroffenen lässt sich aus dem ethischen Gebot des „audiatur et altera pars“ ableiten.

Die Berichtigungspflicht der Medienschaffenden leitet sich aus dem Recht der Öffentlichkeit ab, die Wahrheit zu erfahren. Bei Verwechslung des zivilrechtlichen Begriffs „Beklagter“ mit dem strafrechtlichen Begriff „Angeschuldigter“ ist eine umgehende Berichtigung angebracht.

Die Auferlegung eines Informationsboykotts gegenüber einem missliebigen Journalisten verletzt dessen berufsethisches Recht auf freien Zugang zu allen Informationsquellen.

Prise de position

Traitement des sources / Rectification d’informations inexactes Accès aux sources d’information

La nécessité d’entendre les personnes concernées par un compte rendu publié dans un média découle de l’obligation éthique „audiatur et altera pars“.

L’obligation de rectification imposée aux collaborateurs des médias découle du droit du public à connaître la vérité. En cas de confusion entre la notion „défendeur“ relevant du droit civil et de la notion „d’inculpé“ relevant du droit pénal, une rectification immédiate est de mise.

L’imposition d’un boycottage de l’information à l’encontre d’un journaliste mal-aimé porte atteinte au droit de ce dernier – droit qui est lié à l’éthique professionnelle – d’avoir librement accès à toutes les sources d’informations.

Presa di posizione

Scelta delle fonti / Rettifica di informazioni inesatte Accesso alle fonti

E‘ scelta eticamente corretta quella di sentire il parere di chiunque sia oggetto di una notizia („audiatur et altera pars“).

Il dovere di rettifica del giornalista deriva dal diritto del pubblico a conoscere la verità. La rettifica è dovuta se, in luogo di „convenuto“, nell’informazione si usa il termine: „imputato“. Il primo appartiene infatti al diritto civile, il secondo al diritto penale.

Il boicottaggio di cui è fatto oggetto un giornalista sgradito offende il suo diritto al libero accesso alle fonti d’informazione.

I. En Fait

A. Le 3 octobre 1995, l’agence de presse économique AWP diffuse une dépêche intitulée : Banque jurassienne Epargne : „Baisse des taux continuerait“. Cette dépêche reprend des informations contenues dans une communication de la Banque jurassienne d’Epargne et de Crédit (BJEC) à ses client débiteurs, datée d’octobre 1995. La dépêche annonce une baisse de 1/4 % dès le début octobre pour les crédits en compte courant et dès le début janvier 1996 pour les prêts hypothécaires et les autres prêts. Elle signale d’autre part que la BJEC envisage une nouvelle baisse des taux à court terme, pour autant que la tendance à la baisse subsiste.

B. Outre ces informations directement reprises de la communication écrite de la banque à ses clients débiteurs, la dépêche contient deux éléments supplémentaires. Le premier précise, à propos d’une nouvelle baisse, que celle-ci pourrait intervenir „dès le second trimestre de 1996″. Il est accolé à l’information reprise du texte de la banque, qui est introduite par l’expression „La BJEC indique également“. Le second élément ajoute que la BJEC indique „se démarquer par ce geste de la Banque cantonale du Jura dont les taux d’avances demeurent inchangés“. Cet ajout fait l’objet d’un paragraphe autonome, introduit par l’expression „La banque indique enfin“.

C. Le 4 octobre 1995, la direction de la Banque cantonale du Jura (BCJ) s’enquiert auprès de la BJEC des sources de l’information la concernant. La BJEC répond le jour même que la phrase litigieuse en fin de communiqué „n’est pas de notre banque“. Elle précise que les informations émanant de la banque ont été adressées au Quotidien jurassien, à M. Victor Giordano et à Fréquence Jura.

D. Le 5 octobre, la direction générale de la BCJ écrit à l’agence AWP, à Genève, pour lui demander des explications. Elle précise que la phrase litigieuse n’émane pas de la BJEC ; qu’elle est „contraire à la vérité car la BCJ abaissera ses taux prochainement“ ; qu’elle a provoqué „des dénonciations massives d’hypothèques“. Elle affirme que le correspondant d’AWP „a volontairement falsifié l’esprit du texte de base au préjudice tant de la BCJ que de la BJEC, et ceci sans prendre contact à aucun moment avec l’une ou l’autre banque“.

E. Par message téléphonique du même jour, AWP signale que son correspondant est M. Victor Giordano et qu’elle est disposée à rédiger un correctif si nécessaire. F. Le 22 novembre 1995, L’Impartial publie un article de M. Victor Giordano concernant la faillite de l’entreprise horlogère Piquerez-Bourquard S.A., à Bassecourt. Le titre principal de l’article indique : Administrateurs sur la sellette, directeur de la BCJ impliqué.

G. Directeur général de la BCJ, M. Robert Salvadé adresse en date du 6 décembre 1995 une lettre recommandée à M. Giordano, avec copies à la rédaction de L’Impartial et à la „Commission d’éthique des journalistes suisses“. Dans cette lettre, M. Salvadé relève que, bien que l’auteur de l’article précise qu’il s’agit d’une procédure civile, l’ensemble des termes utilisés ressortissent à la procédure pénale. Ainsi, M. Salvadé est cité nommément au nombre des „inculpés“ ou encore des anciens administrateurs se trouvant „sur le banc des accusés“. Outre qu’il affirme qu’il n’est pour rien dans la faillite, M. Salvadé écrit ceci : „En fait, vous me préjugez avant le verdict de la Cour qui se tiendra l’an prochain, ceci sans prendre contact avec l’intéressé ni rechercher d’éléments de vérification“.

H. Le 7 décembre 1995, M. Robert Salvadé s’adresse à la „Commission d’éthique“ (soit le Conseil de la presse) de la Fédération suisse des journalistes. Il évoque les deux affaires, parle de harcèlement journalistique et demande une médiation.

I. Le 14 février 1996, le Conseil de la presse informe M. Giordano de la démarche de M. Salvadé et lui demande de prendre position sur ces deux affaires.

K. Dans une lettre du 22 février 1996 au Conseil de la presse, M. Giordano répond à propos des deux affaires mentionnées.

Concernant la première (AWP/BJEC/BCJ), il affirme qu’il n’a été mis à l’époque au courant des protestations suscitées par son texte ni par la BJEC, ni par la BCJ, ni par l’AWP. Il conteste la falsification volontaire. Il affirme avoir pris contact dès réception de la communication de la BJEC avec le directeur de cet établissement et en avoir discuté le contenu avec lui. Il écrit : „Au cours de cette conversation, il a notamment été question de la marge d’intérêts de la BJEC proportionnellement plus importante que celle de la BCJ, ce que chaque lecteur de bilan peut constater. Le directeur m’a indiqué que cette différence de rendement permettait à la BJEC de réduire ses taux plus aisément que la BCJ“. M. Giordano justifie la comparaison entre les politiques des deux principaux établissements bancaires jurassiens et met d’autre part en doute les dénonciations massives d’hypothèques signalées par la direction de la BCJ.

Concernant la seconde affaire (L’Impartial/Piquerez-Bourquard S.A./Salvadé), M. Giordano signale l’existence d’un courrier adressé par lui en date du 31 janvier 1996 à M. Salvadé. Dans cette lettre, il justifie la mention du nom de M. Salvadé dans son article en raison de sa qualité de directeur général d’une banque publique appartenant en majorité à l’Etat et du fait que les séances du Tribunal cantonal sont publiques. Il admet avoir commis une erreur en recourant à des termes liés à la procédure pénale. Il dit même regre
tter cette erreur. Il considère cependant que l’effet en est atténué par le fait qu’il a „clairement indiqué l’objet du litige et précisé que ce dernier se déroule devant une cour civile“. Dans sa prise de position du 22 février adressée au Conseil de la presse, M. Giordano donne des précisions sur un entretien téléphonique orageux à la suite de la parution de l’article (non certainement daté, aux alentours du 26 novembre 1995), au cours duquel il se serait fait traiter de „connard“. Il ajoute : „En conclusion, mon article de contient pas d’erreurs, sinon l’emploi de termes inadéquats que j’aurais rectifiés très volontiers, si je n’avais pas fait l’objet d’injures téléphoniques de la part de M. Salvadé“.

L. Le dossier fourni par M. Giordano comprend en outre une réponse adressée par M. Salvadé, en date du 2 février, à la lettre du 31 janvier. Dans sa réponse, M. Salvadé informe M. Giordano qu’il ne sera plus convoqué aux conférences de presse de la BCJ et qu’il ne recevra plus la documentation de cet établissement.

Enfin, le dossier établi par M. Giordano fait état d’un troisième litige que la Deuxième Chambre du Conseil de la presse a décidé de ne pas traiter, dans la mesure où elle ne figure pas dans la plainte de M. Salvadé et n’ajoute rien aux deux affaires déjà citées, sinon la confirmation des mauvaises relations entre les deux personnes concernées.

M. Le 29 février l’Association jurassienne des journalistes écrit à M. Salvadé pour lui demander de suspendre sa décision de ne plus adresser les invitations aux conférences de presse ni la documentation de la BCJ à M. Giordano. Après sa séance du 15 mars, la Deuxième Chambre du Conseil de la presse accepte de se saisir du litige, mais demande au secrétariat du Conseil d’écrire à M. Salvadé dans le même sens. Une lettre est envoyée à M. Salvadé en date du 29 mars 1996.

N. Par lettre du 2 avril au Conseil de la presse, M. Salvadé maintient ses griefs contre M. Giordano, mais il consent à rapporter la mesure de boycottage prise à l’encontre du journaliste. Il confirme d’autre part n’avoir pas porté ces affaires devant un tribunal et n’avoir pas l’intention de le faire.

O. Par lettre du 9 avril au Conseil de la presse, M. Salvadé signale la parution dans L’Impartial du 6 avril d’un article de M. Giordano intitulé Banque cantonale du Jura. A la recherche d’un président, contenant plusieurs appréciations négatives sur son établissement. M. Salvadé ne demandant pas formellement que cette nouvelle pièce soit versée au dossier, la deuxième Chambre a décidé de ne pas la traiter de manière spécifique, considérant qu’elle renforçait l’impression laissée par l’examen des affaires faisant l’objet de la plainte initiale. Enfin, M. Salvadé joint un témoignage écrit du directeur de la BJEC, M René Roueche, daté du 4 avril, dans lequel l’intéressé soutient n’avoir eu „aucun entretien avec M. Victor Giordano au moment de notre communiqué de presse du 3 octobre 1995″.

II. Considérants

1. La Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste fait obligation de „ne publier que les informations, documents et images dont la source est connue de lui/d’elle ; (…) ne dénaturer aucun texte, document ou image ; donner très précisément comme telles les nouvelles non confirmées“ (chiffre 3 des devoirs). L’esprit de cet article est d’assurer les meilleures conditions possibles d’une information objective, afin de satisfaire le „droit du public à connaître les faits et les opinions“ (préambule de la Déclaration).

Le traitement des sources passe par un certain nombre de procédures pratiques : l’identification de la source ; l’évaluation de l’intérêt public de l’information ; l’enrichissement éventuel de l’information auprès de la source ; la vérification de l’information auprès de tiers. Ce travail de recherche étant achevé, il importe d’autre part de le rendre visible au public, dans un souci de crédibilité. Il importe donc de distinguer les sources, même lorsqu’elles sont proches, afin que les éléments d’information fournis par l’une ne puissent pas être attribués à une autre. Ces procédures doivent être suivies de manière particulièrement rigoureuses lorsque l’information comporte un élément conflictuel.

2. Les conditions de cet article ne sont qu’imparfaitement satisfaites dans la dépêche de l’agence AWP rédigée par M. Giordano. L’auteur connaît sa source, il a pris la peine de prendre un contact direct avec la direction de la BJEC. Mais il n’a pas traité de façon différenciée la communication officielle de la banque aux clients débiteurs et les déclarations qui lui ont été faites oralement. Or, la communication contenait des faits, tandis que la déclaration portait sur ces faits une évaluation. La confusion est renforcée dans le texte de la dépêche par l’usage de l’expression „la banque indique“, utilisée aussi bien pour un contenu figurant dans la communication que pour les propos tenus oralement. Il y a là deux niveaux d’autorité qui auraient mérité d’être plus clairement établis dans la présentation de l’information. Par exemple : „Selon une communication adressée aux clients débiteurs…“, „selon une source proche de la direction de la banque…“.

3. Dans l’impossibilité de connaître avec exactitude les propos tenus par l’interlocuteur de M. Giordano s’exprimant au nom de la direction de la BJEC, qui ne serait donc pas son directeur M. Roueche à l’époque de la diffusion du communiqué de la banque, il faut s’en tenir aux termes rapportés par M. Giordano lui-même dans sa lettre au Conseil de la presse du 22 février 1996. Ces termes (voir I point 10) donnent une image plus complexe et plus nuancée de la réalité des propos : la marge d’intérêts de la BJEC est proportionnellement plus importante que celle de la BCJ ; cette différence permet à la BJEC de réduire ses taux plus aisément que la BCJ. Dans la dépêche, l’usage du verbe „se démarquer“ renvoie à une situation de compétition exprimée de façon très simplifiée, laissant entendre au lecteur qu’un établissement consent à ses clients un avantage que son concurrent refuse d’accorder, hésite ou tarde à accorder. L’écart entre les deux versions données par M. Giordano (dans la dépêche AWP et dans sa lettre au Conseil de la presse) pourrait à lui seul expliquer qu’en toute bonne foi la direction de la BJEC ait pu nier avoir commenté sa décision selon les termes figurant dans la dépêche, sans même tenir compte de l’embarras où la mettait à l’évidence la demande d’explication de la BCJ. Cet écart peut être considéré comme une simplification extrême des propos induisant, par le fait de la présentation, une dénaturation du texte même de la communication de la BJEC à ses clients débiteurs.

4. D’autre part, M. Giordano a reproduit une déclaration concernant la BCJ sans prendre la peine de vérifier auprès du principal intéressé si elle était exacte. Cette précaution élémentaire lui aurait sans doute permis de mieux mesurer les appréciations de situation portées par les deux établissements concurrents et, le cas échéant, de faire état d’une prochaine baisse des taux par la BCJ. Contrairement aux usages élémentaires dans la profession, dont la nouvelle loi sur la concurrence déloyale signale pourtant la nécessité d’une application scrupuleuse en la matière, M. Giordano a cru bon de se passer de la réaction de la BCJ citée dans sa dépêche.

5. Le fait que M. Giordano n’ait été mis que tardivement au courant des réactions suscitées par sa dépêche ne permet pas de lui faire personnellement grief de n’avoir pas cherché à préciser ou rectifier sans attendre ce qui devait l’être. On peut s’étonner, en revanche, que l’agence AWP, aussitôt saisie de la question, n’ait pas jugé bon de diffuser un rectificatif quelconque ni d’informer son correspondant. 6. La Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste fai
t obligation au journaliste de „rectifier toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte“ (chiffre 5 des devoirs). Cette rectification est due au public, en fonction de son droit à connaître les informations et les opinions. La publication d’informations inexactes ou incomplètes n’est pas toujours imputable au journaliste. Ces défaillances ne sont pas nécessairement le produit de fautes professionnelles. Elles peuvent être occasionnées par des facteurs extérieurs ou liés au fonctionnement même des médias (technologie des transmissions, vitesse d’exécution, contraintes diverses). Si l’exactitude des informations est en principe un devoir absolu, aucun journaliste, à plus forte raison aucun média ne saurait prétendre à l’exactitude irréprochable et constante de ses informations. La recherche de la vérité elle-même passe par l’erreur. Ces réserves fondent le devoir de rectifier spontanément toute information qui se révèle matériellement inexacte.

7. Les erreurs contenues dans l’article sur la faillite de l’entreprise Piquerez-Bourquard SA sont des erreurs de caractère matériel. Les expressions „inculpés“, „banc des accusés“ se réfèrent à une affaire pénale. Elles induisent dans l’esprit du public l’idée de faute, de délit. On connaît la formule d’Albert du Roy : „En droit l’inculpé est présumé innocent. En français, l’inculpé est présumé coupable. Dans le langage de l’information, l’inculpé est coupable“ (Le serment de Théophraste, Paris, 1992, p. 147). Le fait que l’auteur de l’article ait effectivement mentionné qu’il s’agissait d’une affaire portée devant une cour civile n’est nullement suffisant pour dissiper l’équivoque. Une grande partie du public ignore la différence entre les procédures civiles et les procédures pénales. L’auteur de l’article lui-même ne semble pas être au clair, si l’on s’en réfère au vocabulaire utilisé. Il ne peut attendre de son public qu’il rétablisse les faits de lui-même.

8. Le fait que le nom de M. Robert Salvadé soit cité dans L’Impartial en relation avec la procédure peut se justifier en raison de la notoriété dont il jouit dans le Jura et du statut quasi public de son établissement. Cette citation ne serait nullement gênante si elle n’était pas assortie des erreurs mentionnées au point précédent et si M. Giordano avait pris la peine de connaître le point de vue de M. Salvadé dans cette affaire.

9. Le devoir de rectification est dû au public, avant de l’être à des tiers. C’est en relation avec la recherche de la vérité, „en raison du droit qu’a le public de la connaître et quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même“ (chiffre 1 des devoirs) que le journaliste se doit d’opérer spontanément les rectifications des inexactitudes dont il a connaissance. En l’espèce, il n’est pas admissible que M. Giordano reconnaisse ses erreurs et dise même les regretter, mais qu’il refuse de les rectifier en raison du caractère injurieux de l’entretien téléphonique qu’il a eu à ce sujet avec M. Salvadé. Le public n’a pas à connaître ni à supporter l’état des relations entre le journaliste et ses sources. Il a droit à une information exacte, la rectification dût-elle avoir quelques conséquences pour l’amour-propre du journaliste.

10. La dégradation des relations personnelles entre M. Giordano et M. Salvadé ne justifie donc pas les entorses commises par M. Giordano aux pratiques professionnelles (recoupement des informations auprès de plusieurs sources impliquées dans une même affaire) et aux règles déontologiques (devoir de rectification). Mais elle ne justifie pas non plus la décision lourde initialement prise par M. Salvadé de refuser à M. Giordano, en raison de ses pratiques et/ou de ses positions critiques, les informations qu’il diffuse d’autre part à d’autres médias ou journalistes.

Il peut arriver que des autorités publiques ou des entreprises décident de ne plus donner d’informations à un journaliste particulier. La question se pose évidemment de savoir si la BCJ doit être considérée comme un établissement de caractère public, en raison de la forte participation de l’Etat au capital de la banque. Cette question est fondée en l’espèce, dans la mesure où la République et Canton du Jura a introduit une loi analogue à la nouvelle loi bernoise sur l’information du public, qui étend le devoir d’informer aux organismes à participation étatique et aux entreprises privées ayant reçu un mandat de l’Etat. Dans le cas contraire, la BCJ devrait être considérée comme une entreprise privée. S’agissant du devoir d’informer des autorités publiques, la nouvelle ordonnance de la République et Canton du Jura sur l’information du public du 31 octobre 1995, entrée en vigueur le 1er janvier 1996, pose dans son article 2 le principe que „Le gouvernement et l’administration appliquent, dans leurs relations avec les citoyennes et les citoyens ainsi qu’avec les usagers, les principes de la transparence et du libre accès à l’information, de manière à permettre la formation autonome de l’opinion publique. Ils respectent l’égalité de traitement.“ D’autre part, une Convention du 2 novembre 1989 entre le gouvernement cantonal et l’Association de la presse jurassienne accorde à tout journaliste accrédité (c’est le cas de M. Giordano) un „droit aux informations dont dispose le gouvernement et dont la publication est de nature à servir l’intérêt public“.

En l’espèce, la distinction entre le statut public, quasi public ou privé de la banque est sans pertinence dans la mesure où le journaliste inscrit dans la Déclaration des droits (lettre a) le „libre accès (…) à toutes les sources d’information“ et le „droit d’enquêter sans entraves sur tous les faits d’intérêt public“. La même disposition précise que „le secret des affaires publiques ou privées ne peut lui être opposé que par exception, dûment motivée de cas en cas“. Ce dernier aspect n’entre pas en considération, dans la mesure où la BCJ n’a pas cessé d’informer d’autres médias ou journalistes. En revanche, le libre accès de M. Giordano aux informations de la BCJ n’a pas été respecté, tant que M. Salvadé n’avait pas rapporté sa décision de boycottage. Cette mesure était certainement de nature à porter atteinte aux intérêts personnels de M. Giordano, en l’empêchant d’exercer sa profession dans le domaine des activités de la BCJ, qui sont d’intérêt public. Elle le faisait de manière d’autant plus aiguë que M. Giordano exerce son activité en qualité de journaliste libre. Elle mettait donc en cause „la liberté de l’information et les droits qu’elle implique, la liberté du commentaire et de la critique“ que les journalistes se font un devoir de défendre (chiffre 2 des devoirs).

11. Dans les deux cas évoqués par M. Salvadé, il y aurait eu matière à droit de réponse : de la part de la BJEC, dans le premier, à l’endroit de l’agence AWP ; de la part de M. Salvadé lui-même, dans le second, à l’égard de L’Impartial. Il peut paraître étonnant que ce droit n’ait pas été invoqué.

III. Conclusions

1. Le traitement des sources est un acte essentiel de la pratique journalistique, traité dans plusieurs dispositions de la Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste, en particulier au chiffre 3 des devoirs. La nécessité d’entendre les diverses parties et de rendre compte de manière fidèle de leur version des faits ou de leurs appréciations différenciées est rendue particulièrement sensible dans le domaine économique par la loi contre la concurrence déloyale. Elle est de toute manière de première importance du point de vue de l’éthique dans la mesure où elle relève d’un sens élémentaire de la justice („audiatur et altera pars“). Ces procédures n’ont pas été rigoureusement suivies, ni dans le cas AWP/BJEC/BCJ, ni dans le cas L’Impartial/Piquerez-Bourquard S.A./Salvadé. De tels écarts sont dommageables dans la mesure où ils peuvent laisser suppose
r une malveillance délibérée de la part du journaliste.

2. La rectification participe de la recherche de la vérité „en raison du droit qu’a le public de la connaître“. Elle est due au public et non en priorité à un tiers qui aurait intérêt à voir les informations rectifiées. Dans le cas L’Impartial/Piquerez-Bourquard S.A./Salvadé l’auteur de l’article aurait dû publier un rectificatif retirant les termes „inculpés“ et „accusés“, qui relèvent du vocabulaire pénal et dont l’usage est d’autre part de nature à jeter le discrédit sur les personnes en cause dans cette affaire. La faute journalistique, en regard de l’éthique professionnelle, n’est pas dans l’erreur commise, mais dans le refus de la rectifier.

3. La liberté de la presse n’a pas en Suisse pour effet la reconnaissance d’un droit subjectif à l’information. Il existe pourtant des dispositions cantonales en vigueur (Berne et Jura) qui signalent une évolution remarquable dans le domaine de l’information par les autorités publiques, voire par les organismes à participation étatique et aux entreprises privées ayant reçu un mandat de l’Etat. Au reste, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les autorités, dans leur diffusion de l’information, sont tenues à l’égard des journaliste par le principe de l’égalité. Le fait qu’un journaliste, ayant en l’espèce le statut de journaliste libre, soit l’objet d’un boycottage par un particulier est contraire au principe du libre accès de tout journaliste à toutes les sources d’information et à son droit d’enquêter sur tous les faits d’intérêt public. C’est pourquoi il n’était pas possible d’admettre la mesure prise par M. Salvadé, en sa qualité de directeur général de la BCJ, de cesser d’adresser à M. Giordano la documentation de la banque et les invitations aux conférences de presse. Le Conseil de la presse relève qu’il a été entendu par M. Salvadé aussitôt qu’il lui a fait part de son point de vue.