Nr. 12/2000
Rédaction et promotion

(A. c. „Le Temps“) Prise de position du Conseil suisse de la presse du 31 mars 2000

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I. En fait

A. Dans une lettre du 14 décembre 1999 A. se plaint au Conseil suisse de la presse de la parution répétée dans „Le Temps“ d’un titre ainsi libellé: „La Suisse entre dans l’Union européenne“. Ce titre est porté en manchette d’un fac-similé du journal sur une photographie qui appartient à la „base line“ d’une campagne publicitaire. Cette campagne est reprise dans le quotidien sous forme de pages promotionnelles. Comme élément isolé, la photographie sert également de bouchon dans les pages publicitaires. A. demande au Conseil s’il est licite de publier de façon répétée une information „manifestement fausse“ en utilisant le procédé du „lavage de cerveau“ et d’associer à cette information fausse des personnages illustres (comme le Dalai Lama ou Nelson Mandela). De plus, A. demande s’il est licite de négliger „le devoir de tout journaliste sérieux“, qui est de séparer clairement l’information et la publicité, voire l’information et le commentaire.

B. En raison de la nature de la plainte, qui porte sur un message échappant à la responsabilité de la rédaction, la présidence du Conseil de la presse a renoncé à demander une prise de position au rédacteur responsable du „Temps“. L’examen de la plainte est confié à la 2ème Chambre.

C. La plainte de A. a été examinée dans sa séance du 31 mars 2000 par la 2ème Chambre du Conseil de la presse, composée de Mmes Sylvie Arsever et Madeleine Joye, et de MM. Dominique Bugnon, Dominique von Burg, Daniel Cornu (président), Jean-Pierre Graber et Ueli Leuenberger (représentants du public). Mme Arsever, journaliste au „Temps“, s’est récusée.

II. Considérants

1. La compétence du Conseil de la presse s’étend à la partie rédactionnelle ou aux questions d’éthique professionnelle qui s’y attachent (art. 1, al. 4 du Règlement du Conseil suisse de la presse). En effet, le Conseil veille à l’observation de la „Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste“. Ce code déontologique est sa seule référence et l’application de ses dispositions relève de la responsabilité des seuls journalistes. Le Conseil n’est donc pas habilité à traiter des actes ou comportements de collaborateurs des médias qui n’appartiennent pas à la rédaction. Les parutions visées par le plaignant relèvent de la responsabilité des services commerciaux du „Temps“ (marketing, promotion) et, au delà, de la société éditrice du journal, et non de celle de la rédaction.

2. Le chiffre 10 de la „Déclaration des devoirs et des droits“, révisée le 21 décembre 1999, interdit au journaliste de confondre son métier avec celui de publicitaire. Le Conseil de la presse s’est prononcé en diverses occasions sur le sujet (notamment dans ses prises de position 1/93 du 8 mars 1993 sur le mélange de la publicité et de l’information dans des radios locales, recueil 1993, p. 13ff. ; 10/94 du 7 novembre 1994 sur le boycottage des médias par la publicité commerciale, recueil 1994, p. 96ss.; 5/95 du 2 novembre 1995 sur la séparation insuffisante entre informations journalistique et payante, recueil 1995, p. 59ss.). Cette interdiction a pour corollaire que la rédaction est elle-même protégée de toute confusion entre, d’une part, son travail d’information et ses prises de position et, d’autre part, les messages publicitaires diffusés par les annonceurs. On ne saurait donc lui imputer des contenus appartenant à la partie publicitaire.

3. La claire et formelle séparation entre la partie rédactionnelle et la partie publicitaire relève de la responsabilité première de l’éditeur. Elle était consignée à l’époque de la plainte dans les Directives établies par la Commission suisse pour la transparence dans les médias (CSTM, 1995). Au 1er janvier 2000, cette commission a été intégrée dans la Commission Suisse pour la Loyauté, qui veille au respect de la loyauté dans la communication commerciale. Celle-ci se fonde sur des „Règles“, qui contiennent également des dispositions sur la séparation entre information rédactionnelle et communication commerciale (Règle 3.12). Sur la base d’une observation empirique effectuée à partir de plusieurs éditions du „Temps“ par le président de la 2ème Chambre du Conseil de la presse, l’usage comme bouchon de la photographie portant le titre litigieux est réservé aux pages de publicité.

4. Le message contesté par le plaignant ressortissant à sa partie publicitaire, il n’y a pas lieu de discuter le fait que cette campagne associe à la promotion du „Temps“ le nom et l’image de personnages illustres, ni la relation entre l’information et le commentaire, qui relève de l’activité journalistique.

5. Les annonces de promotion pour le média se distinguent cependant de la publicité insérée par des tiers. Le Conseil de la presse a ainsi considéré que l’on ne saurait empêcher un journaliste de participer, par son nom ou son image, à la promotion de son propre média (prise de position 5/93 du 6 septembre 1993, recueil 1993, p. 64ss.). On peut aussi estimer qu’un journaliste est concerné par la promotion de son propre média. Il l’est d’autant plus lorsque cette promotion en exprime la ligne éditoriale. La définition de cette ligne par la société éditrice induit un double contrat: un contrat avec les collaborateurs de la rédaction, un contrat avec les lecteurs. En l’espèce, le service de promotion du „Temps“ suit le fil rouge de sa campagne publicitaire („Le temps vous donnera raison“). Il affiche clairement que ce journal entend faire de l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne une ligne directrice de sa politique éditoriale. Cela relève de la liberté de la presse. Tout lecteur ou abonné du „Temps“ est ainsi informé de cet objectif politique. Il est dès lors libre de passer ou non un „contrat de lecture“ avec ce quotidien.

III. Conclusions

La plainte se situant en dehors de la compétence du Conseil suisse de la presse, l’entrée en matière est refusée.