Nr. 16/2000
Lettres de lecteurs

(Oui à la vie Fribourg c. „La Liberté“) Prise de position du Conseil suisse de la presse du 16 mai 2000

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I. En fait

A. Dans son édition du 22 janvier 2000, „La Liberté“ publie un article qui fait état d’une prise de position de la conseillère fédérale Ruth Metzler, opposée à une initiative populaire demandant l’interdiction de toute fécondation en dehors du corps de la femme. Un vote fédéral sur cet objet est prévu le 12 mars 2000. L’article est titré: „Y a-t-il un monopole de la dignité? Bébés-éprouvettes: Ruth Metzler oppose la liberté et le droit à la diversité des valeurs à la prétention de certains au ‘monopole de la dignité humaine’“.

B. Le 29 janvier 2000, MM. Edgardo Giovannini et Nicolas Hemmer, au nom de l’association fribourgeoise Oui à la vie, adressent une lettre à la rédaction, visant en particulier à répondre aux arguments de la conseillère fédérale. Leur texte est titré: „Monopole de la dignité humaine ou éthique universelle?“ Un bref paragraphe d’introduction, rédigé par leurs soins, situe le propos en référence à l’article du 22 janvier, dont le titre est intégralement cité.

C. Le 3 février 2000, cette lettre est publiée dans la page Forum (le courrier des lecteurs) de „La Liberté“. Le texte de la lettre est intégralement reproduit. En revanche, le titre originel est remplacé par: „L’in vitro et ‘Oui à la vie’. Le paragraphe d’introduction est changé; la nouvelle teneur est la suivante: „L’article (‘La Liberté’ du 22.1) consacré aux déclarations de Ruth Metzler à propos de la conception in vitro suscite ces remarques“.

D. Par lettre du 23 février 2000, MM. Giovannini et Hemmer, saisissent le Conseil suisse de la presse. Ils font valoir que la rédaction de „La Liberté“ a modifié le titre et l’entrée en matière sans leur consentement et sans consultation. Ils considèrent que la déontologie est malmenée par le journaliste responsable du courrier, requièrent la parution intégrale de leur lettre et attirent l’attention du Conseil de la presse sur l’urgence de la matière en raison de l’imminence du vote.

E. La plainte est confiée par la présidence à la 2ème Chambre du Conseil suisse de la presse.

F. Dans un courrier au Conseil suisse de la presse du 6 avril 2000, M. Claude Chuard, rédacteur en chef adjoint de „La Liberté“ et responsable du courrier des lecteurs, fait valoir que la lettre en question a fait l’objet de toute sa bienveillance „puisqu’elle fut l’une des rares prises de position en faveur de l’initiative, publiée dans nos pages Forum“. M. Chuard justifie le changement de l’entrée en matière par le fait que la lettre a été publiée plusieurs jours après l’article controversé et que l’allusion faite par les signataires aux déclarations de Ruth Metzler pouvait alors paraître peu claire. L’introduction rédigée par le journal est „neutre, habituelle pour ce type de lettre“. Quant au titre, il est également „neutre“, indiquant „le sujet et l’auteur de cette prise de position“. M. Chuard fait encore état de relations tendues entre l’un des signataires de la lettre, M. Giovannini, et „La Liberté“, notamment depuis le changement de la charte rédactionnelle du journal en 1996: de journal catholique, soumis au magistère de l’Eglise, „La Liberté“ se présente désormais comme un journal qui „cultive les valeurs catholiques et chrétiennes de vérité, de justice et, comme le dit son nom, de liberté“.

G. Ces derniers développements, qui sont sans relation directe avec l’objet de la plainte, ainsi que d’autres considérations de même nature alimentent largement une longue réponse adressée par M. Hemmer au Conseil suisse de la presse. En ce qui concerne le traitement de la lettre, celui-ci estime qu’en raison du petit nombre de lignes accordées dans „La Liberté“ aux personnes prônant l’initiative, „il aurait été d’autant plus crédible d’y reproduire notre texte intégralement“. A aucun moment cependant les plaignants ne signalent qu’ils ont demandé explicitement cette publication intégrale.

H. La plainte a été examinée lors de sa séance du 16 mai 2000 par la 2ème Chambre du Conseil de la presse, composée de Mmes Sylvie Arsever et Madeleine Joye, de MM. Dominique Bugnon, Dominique von Burg, Daniel Cornu (président), Jean-Pierre Graber, Ueli Leuenberger (représentants du public). Mme Madeleine Joye, journaliste à „La Liberté“ s’est récusée.

II. Considérants

1. Le Conseil suisse de la presse se prononce sur les pratiques journalistiques en référence à la déontologie professionnelle énoncée dans la Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste, ainsi qu’aux Directives qui lui sont jointes. Il agit sur plainte ou de son propre chef, mais ses avis ne prennent pas la forme de sanctions ou de décisions au sens judiciaire. Il les exprime par des prises de position. C’est pourquoi le fonctionnement du Conseil suisse de la presse n’est pas conçu en vue de répondre à des situations d’urgence ou d’imposer des réparations, comme peut le faire la justice civile. Le Conseil suisse de la presse n’a donc pas cru devoir répondre à l’attente du plaignant en termes de délai. Il a décidé de traiter de la plainte selon ses propres critères et son propre rythme.

2. Le traitement des lettres de lecteurs a occupé l’attention du Conseil suisse de la presse à de nombreuses reprises. En chaque occasion, il a été rappelé que le traitement des lettres de lecteurs relève de la responsabilité de la rédaction et que cette responsabilité signifie l’application à leur sujet des règles de la déontologie professionnelle (en particulier, prise de position du 15 décembre 1999 sur la publication de lettres à contenu raciste, reucueil 1999, p. 174ss.). Cette position constante est désormais signalée dans la directive 5.2. („Les normes déontologiques s’appliquent également au courrier des lecteurs“) jointe à la Déclaration des devoirs et des droits.

3. Une prise de position récente porte précisément sur les coupures opérées dans les lettres de lecteur (B. c. „Basler Zeitung“, prise de position du 15 octobre 1998, recueil 1998, p. 129ss.). Cette question spécifique renvoie au chiffre 3 de la Déclaration des devoirs: „Ne pas supprimer des informations ou des éléments d’information essentiels“. Le traitement des lettres de lecteur doit donc être conforme sur ce point précis aussi aux règles professionnelles. En l’espèce, les deux interventions de la rédaction (sur le titre et sur l’entrée en matière) ne sont pas de nature à priver la lettre de sa substance ni à supprimer des arguments constitutifs de la position exprimée par l’association Oui à la vie. Il s’agit de retouches de caractère technique. D’une façon générale, les rédactions indiquent en titre le thème traité par le lecteur plutôt qu’elles ne tentent de résumer en quelques mots sa prise de position. „La Liberté“ s’inscrit dans cette ligne, comme l’atteste un autre titre publié dans la même page („La marche du lynx vers l’Est“). De la même manière, les quelques lignes d’introduction servent essentiellement de repère, utile au lecteur par sa référence à l’article qui a suscité la réaction, ou à la lettre d’un autre lecteur précédemment publiée, avec la date de parution. Ces interventions appartiennent par définition à la rédaction, qui ne procède pas différemment à propos d’autres textes (rectificatifs, communiqués, etc.). On peut regretter que les auteurs de la lettre n’aient pas songé à inclure dans leur texte même la discussion sur les concepts „monopole de la dignité humaine“ et „éthique universelle“. On peut difficilement reprocher à la rédaction de s’être passée d’une allusion au titre de l’article controversé qui, une douzain
e de jours après la publication de cet article, risquait d’échapper à une partie des lecteurs. Dans le traitement de la lettre, la bonne foi de la rédaction paraît évidente.

4. La même prise de position 15/98 du 15 octobre 1998 aborde la question de la publication intégrale: „Si l’auteur d’une lettre de lecteur insiste sur la publication de l’intégralité de son texte, il convient soit d’accéder à son désir, soit d’en refuser la parution“. En l’espèce, cette publication intégrale n’a pas été demandée au moment de l’envoi de la lettre. Elle ne l’a été qu’après publication. Il faudrait alors parler d’une reparution intégrale. Étant donné le traitement réservé à l’ensemble de la lettre, dont seuls l’entrée en matière et le titre ont été changés sans induire une quelconque déformation du sens du message, une telle reparution aurait été une mesure disproportionnée. Elle l’aurait été aussi en raison de la nature même d’une rubrique consacrée au courrier, qui vise à s’ouvrir au plus grand nombre de lecteurs possible.

5. Les plaignants déplorent que les modifications aient eu lieu sans leur consentement et sans consultation. Ils seraient en situation de le faire s’ils avaient demandé explicitement une publication intégrale et si la rédaction avait décidé de son propre chef de publier leur lettre sous cette forme sans les contacter. Lorsqu’un correspondant demande la publication d’une lettre dans son intégralité, il n’est pas interdit à la rédaction, en effet, de chercher à sortir de l’alternative „publication intégrale/non publication“ et d’entrer en discussion afin de chercher un compromis. Une telle démarche ne s’imposait pas en l’occurrence.

6. En règle générale (directive 5.2.), les lettres de lecteurs peuvent être remaniées ou raccourcies lorsque la rubrique contient un avis permanent précisant que la rédaction se réserve le droit de retoucher et d’abréger les lettres. Cette recommandation pratique vise à rendre explicite au public un usage commun et constant de la presse, qui est aussi celui de „La Liberté“. La publication régulière d’un avis de quelques lignes permet d’éviter des malentendus.

III. Conclusions

1. „La Liberté“ n’a pas violé la Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste en intervenant seulement sur le titre et l’entrée en matière du texte soumis pour publication, opération courante dans le traitement de la matière rédactionnelle, dans la mesure où ces interventions n’ont pas modifié ou supprimé des éléments essentiels.

2. Lorsqu’une publication de l’intégralité du texte n’est pas explicitement requise, la lettre peut être remaniée ou abrégée sans qu’il soit nécessaire de consulter son auteur et d’obtenir son consentement et pour autant que son contenu ne soit pas dénaturé. Par souci de transparence, il est toutefois recommandé d’informer le lecteur, par un avis régulier, de la possibilité que se réserve la rédaction de remanier et d’abréger les lettres de lecteurs.