Nr. 44/2010
Rechercher la vérité / Omission d’informations importantes / Rectification / Respect de la vie privée

(X. c. «Le Régional»)

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I. En fait

A. Dans son édition No 511 du 14 au 21 avril 2010, l’hebdomadaire gratuit «Le Régional» publie un article intitulé «Retour gagnant pour le nouveau club de tennis». Le journaliste, Murat Karaali, y fait état d’une décision du Conseil communal de Bex autorisant la construction d’un club de tennis. L’article indique que la seule opposition, celle d’un habitant de la commune d’Ollon, avait été «mise au panier» par l’autorité communale. Sans le nommer, le journaliste précise que le recourant est un «ancien résident de la Cité de Sel connu pour être un empêcheur de tourner en rond».

B. Le 1er mai 2010, X., d’Ollon, dépose une plainte auprès du Conseil suisse de la presse. Sa plainte fait état de la violation par le journaliste de quatre des normes déontologiques contenus dans la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste»:

– Il n’aurait pas recherché la vérité, se bornant à relayer les informations officielles sans prendre contact avec lui (chiffre 1 de la «Déclaration», recherche de la vérité).

– Il aurait supprimé une information essentielle, en laissant entendre que le recourant n’avait avec la commune de Bex aucun lien l’habilitant à recourir valablement (chiffre 3 de la «Déclaration», suppression d’informations essentielles).

– Deux informations contenues dans l’article devaient être rectifiées selon le plaignant: il y a eu deux oppositions et non une, et celle du plaignant a été «levée» et non «mise au panier» par la Municipalité (chiffre 5 de la «Déclaration», devoir de rectification).

– Enfin, en le présentant comme un «empêcheur de tourner en rond», le journaliste l’aurait accusé gratuitement en ternissant son image, car même si son nom n’est pas mentionné, le journaliste «donne des indices précis permettant de l’identifier facilement» (chiffre 7 de la «Déclaration», protection de la vie privée).

C. En date du 8 juin 2010, l’auteur de l’article et la rédactrice en chef de l’hebdomadaire «Le Régional» prennent position sur la plainte.

Selon eux, la première information autorisée reçue par le journaliste faisait état d’une seule opposition émanant d’une personne extérieure à la commune et dont l’identité n’était pas donnée. Au moment de la rédaction de l’article, le journaliste ignorait que le plaignant était propriétaire sur le territoire de la commune. Il n’a donc pas supprimé intentionnellement une information essentielle.

Dans son édition 519 du 9 au 16 juin 2010, la rédaction a rectifié les deux informations erronées. Enfin, en utilisant l’expression «empêcheur de tourner en rond», ils n’avaient eu ni la volonté, ni le sentiment de blesser le plaignant. Ils rejettent donc les accusations portées contre eux par le plaignant.

D. La plainte a été transmise à la 2ème Chambre du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Nadia Braendle, Michel Bührer, Pascal Fleury, Charles Ridoré, Anne Seydoux et Michel Zendali.

E. La 2ème Chambre a traité la plainte dans sa séance du 10 septembre 2010 et par voie de correspondance.

II. Considérants

1. La Directive 1.1 relative à la «Déclaration» (recherche de la vérité) impose au journaliste de tenir compte des documents disponibles et accessibles, de respecter l’intégrité des documents, de vérifier l’information et le cas échéant de rectifier l’information erronée.

Le plaignant reproche au journaliste de n’avoir pas respecté ce principe. Pour sa défense, le journaliste invoque des arguments tels que manque de temps, oubli, bonne foi. L’argumentation est faible. Selon le Conseil suisse de la presse «les délais et l’espace rédactionnel» ne sauraient constituer en soi des motifs suffisants pour déroger aux obligations découlant du principe de la recherche de la vérité. En l’occurrence, il y a bien eu deux oppositions au projet, comme l’écrit par exemple «24 Heures», et une plus grande diligence de la part du journaliste lui aurait permis de mieux informer le lecteur. Etant donné que son information se basait sur une seule source, Murat Karaali aurait dû au moins poser des questions critiques à la Commune. Le chiffre 1 de la «Déclaration» est donc violé.

2. Il découle du point précédent que si le journaliste avait déployé suffisamment d’efforts pour rechercher la vérité, il se serait alors rendu compte que le plaignant était bien habilité à faire opposition et qu’il avait des motifs pour cela, bénéficiant de l’usage d’une maison familiale à Bex située à côté du tennis projeté. Le Conseil suisse de la presse retient qu’il y a omission d’éléments d’informations essentiels (chiffre 3 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste»). En outre, il aurait été approprié de mentionner la source de l’information publiée.

3. Qu’en est-il de l’obligation de rectifier l’information erronée, au sens du chiffre 5 de la «Déclaration»? Selon la directive 5.1, le devoir de rectification est mis en œuvre spontanément par le/la journaliste. Néanmoins, on ne peut pas attendre une rectification si une rédaction n’a pas conscience d’avoir publié une information fautive. Le Conseil suisse de la presse note qu’il y a bien eu une rectification dans l’édition No 519 du «Régional» du 9 au 16 juin 2010. Dès lors, il n’y a pas eu violation du chiffre 5 de la «Déclaration» (rectification).

4. Le plaignant invoque encore le chiffre 7 de la «Déclaration», estimant que l’article incriminé permet non seulement de l’identifier, mais le stigmatise en l’accusant gratuitement et en le traitant «d’empêcheur de tourner en rond». Selon «Le Régional» l’expression est à prendre comme un compliment et c’est ainsi qu’elle l’a utilisée.

De l’avis du Conseil de la presse, le terme «empêcheur de tourner en rond» ne peut être compris que dans un sens dévalorisant. Mais dans la mesure où les quelques éléments figurant dans l’article (habitant d’Ollon, ancien résident de la Cité de Sel) ne suffisent pas pour permettre l’identification du plaignant, l’expression ne peut pas constituer une atteinte ou une injure à son égard. De ce fait, le Conseil ne retient donc pas le reproche d’atteinte au respect de la vie privée fait au journaliste.

III. Conclusions

1. La plainte est partiellement admise.

2. En publiant l’article «Retour gagnant pour le nouveau club de tennis» dans son No 511 du 14 au 21 avril 2010 «Le Régional» a violé les chiffres 1 (rechercher la vérité») et 3 (omission d’informations importantes) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste». Le journal aurait dû au moins poser des questions critiques quant aux informations de la Commune et l’article aurait dû indiquer que le plaignant était légitimé dans la procédure d’octroi du permis de construire.

3. Pour le reste, la plainte est rejetée.

4. «Le Régional» n’a pas violé les chiffres 5 (rectification) et 7 (respect de la vie privée) de la «Déclaration».