Nr. 27/2008
Vérité / Dénaturation des informations / Entretien aux fins d’enquête / Rectification

(Audiorama c. «Matin Bleu») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 21 mai 2008

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I. En fait

A. Le lundi 8 octobre 2007, le «Matin Bleu» a publié un article intitulé «Très critiqué, l’Audiorama appelle à l’aide». Selon cet article, la fondation de l’Audiorama veut engager un démarcheur pour trouver les fonds nécessaires à la rénovation du Musée national suisse de l’audiovisuel. Le quotidien pose la question suivante: «Est-ce un bon signe ou une nouvelle démonstration de la mauvaise gestion?». Il cite des propos tenus par MM. Laurent Wehrli, municipal en charge de la culture à Montreux et membre du conseil de fondation, Philippe Guillemin, président du musée, et Pierre Keller, directeur de l’ECAL.

B. Le 29 novembre 2007, M. Jean-Marc Nicolas, directeur et conservateur de l’Audiorama, écrit au Conseil suisse de la presse en affirmant que l’article du «Matin Bleu» a causé un tort certain à la gestion du musée. Selon lui, la journaliste du «Matin Bleu», Mme Habb, a mené son enquête auprès des personnes citées dans l’article en cherchant uniquement à rapporter des propos négatifs pour la Fondation de l’Audiorama. Il déclare avoir interrogé MM. Wehrli et Guillemin, qui contesteraient les propos qui leur sont attribués dans l’article. Il cite également M. Smolik, dont les propos n’ont pas été retenus dans l’article contesté. Dans la suite de son courrier, il développe des arguments en faveur de l’Audiorama. Il affirme que, suite à un échange de courriers et d’entretiens téléphoniques, le rédacteur en chef du «Matin Bleu», M. Tristan Cerf, lui a présenté des excuses écrites s’agissant les termes de «mauvaise gestion», reconnaissant une maladresse de la part du «Matin Bleu», ces propos n’étant pas adéquats. M. Nicolas estime quant à lui qu’il s’agit d’une faute grave de la part de la journaliste, qui a causé du tort à l’Audiorama. Il termine en demandant l’avis et les conseils du Conseil suisse de la presse concernant cette affaire dommageable.

Par courrier du 16 janvier 2008, M. Nicolas invoque la violation des chiffres 1 (vérité, vérifications des sources), 3 (dénaturer des informations) et 5 (rectification) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» et du chiffre 4.6 (entretien aux fins d’enquête) des Directives relatives à cette «Déclaration».

C. Le 13 février 2008, le «Matin Bleu» prend position sur la plainte du Musée national suisse de l’audiovisuel. Son rédacteur en chef conteste les violations alléguées. Il estime que la journaliste a recherché la vérité et a vérifié ses sources. Selon son interprétation de la Directive 4.6, Mme Habb n’avait pas à soumettre d’office les citations attribuées aux personnes interrogées. Il reconnaît que les termes de «mauvaise gestion» ont été utilisés de manière inadéquate, sans que cette «maladresse» ne justifie une rectification dans le quotidien. Il conclut au rejet de la plainte du Musée national suisse de l’Audiorama.

D. La plainte a été transmise à la 2ème Chambre du Conseil suisse de la presse, qui est composée de Dominique von Burg (président), Nadia Braendle, Michel Bührer, Pascal Fleury, Charles Ridoré, Anne Seydoux et Michel Zendali.

E. La 2ème Chambre a traité la plainte dans sa séance du 21 mai 2008 et par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Selon le plaignant, la journaliste du «Matin Bleu» n’a pas vérifié ses sources et a dénaturé les propos de ses interlocuteurs. De surcroît, elle ne leur a pas soumis les quelques phrases destinées à être publiées.

Les journalistes ont le droit de sélectionner les aspects des interviews qui leur paraissent le plus important, comme l’affirme le rédacteur en chef. De même, conformément à la Directive 4.6, ils «sont autorisés à retravailler et raccourcir les déclarations de leurs interlocuteurs, pour autant que le sens de ces déclarations ne s’en trouve pas changé».

Or, l’affirmation du plaignant selon laquelle les propos de MM. Wehrli, Guillemin et Smolik ont été dénaturés n’est pas contestée par le rédacteur en chef du «Matin Bleu». Il apparaît donc que la Directive 4.6 a bien été violée.

Par contre, contrairement à l’interprétation qui en est faite par le plaignant, la Directive 4.6 n’implique pas un devoir général des journalistes d’informer les personnes interrogées qu’elles ont le droit d’exiger que les propos prévus pour publication leur soient soumis, sauf s’il s’agit de personnes sans expérience des médias. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

2. Le plaignant estime que l’article du «Matin Bleu» cause du tort au Musée national suisse de l’audiovisuel. Sous le titre «Très critiqué, l’Audiorama appelle à l’aide», le quotidien se demande si le fait que la fondation veut engager un démarcheur pour trouver les fonds nécessaires à sa rénovation est un bon signe ou «une nouvelle démonstration de la mauvaise gestion». Plus loin, l’article affirme que la fondation se trouve dans des difficultés financières.

Or, aucun élément probant ne vient étayer ces allégations. Le directeur et conservateur de l’Audiorama indique dans sa plainte que la gestion financière du musée est agréée par le Service de surveillance des fondations du Département fédéral de l’Intérieur et par les vérificateurs des comptes. Il affirme d’autre part que l’Audiorama est dans les chiffres noirs depuis la mise en place de la direction actuelle, en 2000.

Le rédacteur en chef du «Matin Bleu» n’apporte pas la preuve du contraire. A la suite de la publication de cet article, un échange de courriers et d’entretiens a eu lieu entre M. Nicolas et le rédacteur en chef du «Matin Bleu». Ce dernier a reconnu, comme il le fait expressément dans sa réponse du 13 février 2008, que les termes de «mauvaise gestion» ont été utilisés «de manière inadéquate». Il reconnaît «une maladresse», celle-ci ne justifiant cependant pas une rectification dans les colonnes du quotidien.

Le reproche de «mauvaise gestion», dans un contexte de recherche de fonds en vue de la rénovation de l’Audiorama, et par conséquent de sponsors et de mécènes, peut être considéré comme grave. Il ne s’agit pas simplement de termes utilisés «de manière inadéquate» dans le cadre d’une simple «maladresse». Les termes «mauvaise gestion» comportent des notions d’incompétence, voire de malhonnêteté. En publiant cette affirmation, qui n’est soutenue par aucun élément, le «Matin Bleu» a violé le chiffre 1 (vérité) de la «Déclaration». Et conformément à la Directive 5.1, le «Matin Bleu» aurait dû la rectifier. Le public doit en effet être informé de l’inexactitude des informations publiées.

III. Conclusions

1. La plainte contre le «Matin Bleu» est partiellement admise.

2. En publiant l’article du 8 octobre 2007 («Très critiqué, l’Audiorama appelle à l’aide»), le «Matin Bleu» a violé les chiffres 1 (vérité), 4 (changement du sens des propos des interlocuteurs) et 5 (rectification) de la «Déclaration des devoirs et droits du/de la journaliste».

3. Pour le reste, la plainte est rejetée.

4. La Directive 4.6 (entretien aux fins d’enquête) n’implique pas un devoir général des journalistes d’informer les personnes interrogées qu’elles ont le droit d’exiger que les propos prévus pour publication leur soient soumis, sauf s’il s’agit de personnes sans expérience des médias.