Nr. 11/1994
Respect de la vie privée / Affichettes

(Sbarro c. 'Le Matin'/'24 Heures') , du 20 décembre 1994

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Stellungnahme

Wahrung der Privatsphäre / Zeitungsaushänge

Die Berichterstattung über ein hängiges Verfahren verlangt eine erhöhte journalistische Sorgfalt. Wenn eine Person im Vorfeld eines Prozesses öffentlich genannt wird, ist darauf achtzugeben, dass auch über einen allfälligen Freispruch angemessen berichtet wird. Zeitungsaushänge bilden Teil der Information von Zeitungen und Zeitschriften. Somit ist die „Erklärung der Pflichten und Rechte des Journalisten” auch auf diese anwendbar. Die Kürze von Schlagzeilen darf keinen Vorwand für die Missachtung der berufsethsichen Regeln bieten. Zeitungsaushänge sollten von Mitgliedern der Redaktion und nicht von PR-Fachleuten redigiert werden.

Prise de position

Respect de la vie privée / Affichettes

L’information relative à une procédure en cours requiert une vigilance journalistique accrue. Lorsqu’une personne a été mentionnée et nommée publiquement dans le cadre d’un procès, il faut prendre garde à rendre compte également, de manière appropriée, de l’acquittement dont elle bénéficie par la suite.

Les affichettes constituent une partie de l’information diffusée par le journal ou le périodique. Dès lors, la „Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste” leur est également applicable. La nécessité d’une formulation ramassée ne devrait pas servir de prétexte au non respect des règles de l’éthique professionnelle. Les affichettes des publications doivent donc être rédigées par des membres de la rédaction et non pas par des spécialistes des relations publiques.

Presa di posizione

L’informazione relativa a una procedura in corso esige una particolare attenzione da parte del giornalista. Se una persona è menzionata e designata pubblicamente durante un processo, occorre render noto in modo adeguato anche che è stata assolta.

Le locandine sono parte integrante dell’informazione diffusa da un giornale o da un periodico. La „Dichiarazione dei doveri e dei diritti del giornalista” vale anche per le locandine. La necessità di abbreviare il testo non può costituire pretesto per scusare il mancato rispetto dell’etica professionale. La redazione delle locandine dev’essere perciò competenza della redazione, non di specialisti di relazioni pubbliche.

I. En Fait

A. Le 26 novembre 1993, les journaux „Le Matin” et „24 Heures” ont publié des articles qui annonçaient l’inculpation de M. Franco Sbarro pour escroquerie et faux témoignage. Des affichettes ont été placardées par les deux quotidiens à la devanture des kiosques. A l’origine de l’affaire, il y a une plainte déposée par un client de M. Sbarro. Un collectionneur valaisan a acheté une Ford GT 40 portant le numéro de chassis 1033. Or une autre Ford GT 40 disposant du même numéro roulait aux Etats-Unis, à Washington.

B. Le 3 février 1994, le Tribunal correctionnel du district de Grandson a libéré M. Sbarro de toute accusation, au terme d’un vaste débat portant sur l’identité des véhicules de course. Certains experts ont soutenu que la véritable identité d’une automobile réside dans son châssis. D’autres, avec M. Sbarro, ont affirmé que seuls les papiers accompagnant un véhicule font foi; ils permettent de retrouver les propriétaires successifs, et ils constituent le „fil rouge” du bolide de compétition soumis à des dégâts parfois importants et des réparations fréquentes.

Le tribunal a retenu cette deuxième thèse, et il a libéré M. Sbarro d’escroquerie et de faux témoignage le 3 février 1994. Une transaction a été passée entre M. Sbarro et son client, au terme de laquelle M. Sbarro a notamment repris la Ford GT 40. Les frais ont été mis à la charge de l’Etat.

C. Au lendemain de la lecture du jugement, le journal „24 Heures” a publié un article rédigé par un correspondant régional, tandis que „Le Matin” s’est contenté de reprendre une dépêche d’agence. Le jugement du Tribunal de Grandson a été rédigé et signé à huis clos.

D. Le 30 mars, M. Franco Sbarro a déposé une plainte auprès du Conseil de la presse, estimant que les articles publiés le 26 novembre 1993 ont fait de lui „un condamné dans l’opinion publique”. M. Sbarro s’est déclaré atteint dans sa personnalité; il a affirmé être victime d’inéquité. M. Sbarro n’a pas déposé de plainte devant la justice; il n’a pas demandé de droit de réponse et n’a pas exigé une lettre de lecteur.

E. Au cours des dernières années, le Conseil de la presse a publié plusieurs prises de position qui se rapprochent du cas „Ford GT 40″. Il a récemment traité le problème de la protection de la sphère privée des personnages publics (“24 Heures”/Joseph Zisyadis, 6 septembre 1993), et les différents aspects de la présomption d’innocence (“TSR”/Tornare, 24 janvier 1994).

II. Considérants

1. Dans sa prise de position, le Conseil de la presse souhaite rappeler les réflexions qu’il a faites dans le cas des deux affaires précitées. Il entend aussi énoncer quelques recommandations concernant les affichettes.

2. a) Dans le cas de l’affaire Tornare, le Conseil de la presse a mis en lumière le devoir du jounaliste de rendre compte des procédures judiciaires en cours qui sont d’intérêt public. En effet l’opinion publique a le droit d’être renseignée sur le fonctionnement de la justice.

b) Le Conseil de la presse a aussi évoqué le principe de la présomption d’innocence. Il a souligné expressément le fait que cette règle ne s’impose directement qu’aux seuls organes de l’Etat. Les personnes privées, donc aussi les médias, doivent seulement en tenir compte dans le cadre d’une interprétation du droit à la protection de la personnalité conforme à la Constitution.

3. Le chiffre 2 de la Déclaration des droits et devoirs des journalistes fait un devoir aux gens de médias de défendre la liberté de l’information et les droits qui en résultent. Le droit à l’information concerne aussi les procédures judiciaires en cours. Dans ce cas, le média doit clairement faire apparaître qu’il s’agit de soupçons, aussi longtemps que les faits demeurent contestés par l’accusé.

4. Concernant la publication du nom de la personne inculpée, le Conseil de la presse a toujours considéré qu’elle se justifie dans les cas qui touchent des personnalités connues et publiques (chiffre 7 de la Déclaration des droits et devoirs des journalistes: „Le journaliste doit respecter la vie privée des personnes, pour autant que l’intérêt public n’exige pas le contraire; il doit s’interdire les accusations anonymes ou gratuites”). Il faut aussi que l’information que le média s’apprête à publier soit en rapport avec la qualité publique de la personne concernée.

5. La liberté de presse est un principe fondamental dans les démocraties occidentales. Il peut arriver qu’un autre principe s’y oppose: celui de la protection de la sphère privée. La législation de notre pays prévoit qu’en cas d’atteinte à cette sphère, des mesures particulières peuvent être exigées, la plus récente étant le droit de réponse.

6. Les informations publiées par les deux journaux n’ont pas été obtenues de manière déloyale. Elles sont basées sur l’acte d’accusation, qui a été fourni à Jean Bonnard par la partie adverse à celle de M. Sbarro.

7. Le Conseil de la presse ne se prononce pas sur d’éventuelles erreurs contenues dans les articles; si tel devait être le cas, il va de soi que les erreurs doivent être corrigées. C’est l’une des règles essentielles de la profession. Le Conseil de la presse rappelle aussi qu’il n’est pas habilité à sanctionner les gens de média (tel était le voeu de M. Sbarro).

8. Le Conseil de la presse comprend le désarroi de M. Sbarro, libéré au terme d’
une affaire qui a duré deux ans. Il estime que la notoriété de M. Sbarro l’exposait naturellement à être cité dans la presse. Les médias ont souvent évoqué l’activité de M. Sbarro, en termes très fréquemment élogieux. L’affaire qui a été jugée par le Tribunal de Grandson ne touchait pas à sa sphère intime; elle avait un rapport direct avec les activités publiques de M. Sbarro, et on ne peut pas reprocher au „Matin” et à „24 Heures” d’avoir présenté le procès.

9. Dans sa plainte, M. Sbarro a dénoncé la présence des affichettes annonçant son inculpation à la devanture des kiosques. Renseignements pris auprès de „24 Heures” et du „Matin”, les affichettes sont rédigées par un membre de la rédaction en chef ou un chef d’édition. Les deux journaux n’ont pas publié d’affichettes annonçant la disculpation de M. Sbarro.

10. Pour étayer ses discussions, le Conseil de la presse a pu disposer du texte de la plainte de M. Sbarro, des réponses écrites des rédacteurs en chef des deux journaux concernés, et du jugement du Tribunal de Grandson. Un membre du Conseil a eu deux contacts téléphoniques avec M. Sbarro, et un contact avec M. Bonnard.

III. Conclusions

1. Le Conseil de la presse estime que les journaux „24 Heures” et „Le Matin” n’ont pas violé la Déclaration des droits et des devoirs des journalistes. Ils ont présenté une affaire en cours au sein de l’appareil judiciaire, sans entrer dans la sphère privée des personnes concernées. Le journaliste a accordé une place particulière à l’avis du principal intéressé dans un encadré.

2. Le Conseil de la presse insiste sur la grande prudence que doivent observer les journalistes lorsqu’ils mettent en lumière une affaire en cours devant la justice. Si une personnalité est montrée du doigt par un média alors qu’elle n’est pas encore reconnue coupable, il est nécessaire que ce même média accorde beaucoup d’attention et d’importance à une éventuelle libération du prévenu.

3. Enfin, le Conseil de la presse exprime ses préoccupations concernant les affichettes. Il peut comprendre que celles-ci soient destinées à faire vendre les journaux, mais leur message est parfois brutal. Elles font partie intégrante de l’information véhiculée par un média, et elles sont donc soumises aux règles de la profession. Leur brièveté ne doit pas prêter le flanc à des atteintes à la Déclaration des droits et devoirs des journalistes, ceci d’autant plus qu’elles sont très visibles à la devanture des kiosques. Le Conseil de la presse estime que les affichettes doivent être rédigées par les membres de la rédaction d’un média, et non par des spécialistes de la publicité.