Nr. 49/2007
Recherche de la vérité / Audition lors de reproches graves / Rectification

(Banque Cantonale Vaudoise c. «La Côte») Prise de Position du Conseil suisse de la presse du 6 novembre 2007

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I. En fait

A. Le 21 juin 2007, le journal «La Côte» publie en page «Evénement» un article important intitulé: «La BCV fait plonger le boucher d’Aubonne». Mis en faillite suite à un refus de paiement d’une «charge d’intérêts trop lourde», il doit quitter des locaux dans la zone industrielle d’Aubonne. En conclusion de l’article, il est précisé que le porte-parole de la BCV n’a pas souhaité commenter cette affaire. Dans la même page figure un commentaire, sous le titre «Mais où est donc l’humanité de la BCV?» Enfin, une déclaration du maire d’Aubonne est mise en exergue: «Nous perdons un boucher de grande qualité». Le titre principal en «Une» du journal est ainsi libellé: «Aubonne: la BCV étale le boucher». La légende d’une photo du boucher et de sa famille précise: «L’entreprise familiale de C. est mise en faillite».

B. Le 6 juillet 2007, par l’entremise d’un avocat, la Banque cantonale vaudoise (BCV) saisit le Conseil suisse de la Presse. Bien que le projet d’article ait été envoyé par courrier électronique au porte-parole de la BCV le 8 mai déjà, le journaliste n’a adressé aucune question ou demande de renseignement. Or l’article de «La Côte» contiendrait plusieurs erreurs factuelles, et n’ayant pas adopté de comportement actif pour obtenir la vérité, le journal aurait violé le chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste». Deuxièmement, le journal aurait violé le chiffre 3 et en particulier la directive 3.8 (audition lors de reproches graves) relative à la «Déclaration». En effet, le porte-parole de la BCV n’aurait pas dit qu’il ne voulait pas s’exprimer, et le journaliste aurait été inatteignable la veille de la publication de l’article. Enfin, selon la BCV, le journal «La Côte» aurait violé le chiffre 5 (devoir de rectification) de la «Déclaration». Il n’a rien rectifié de lui-même, refusant notamment, comme la banque l’enjoignait à le faire, de demander au boucher d’Aubonne de délier cette dernière du secret bancaire pour qu’elle puisse rétablir certains faits. Le journal a également refusé le droit de réponse sollicité par la BCV le 2 juillet 2007.

C. Suite à une audience de conciliation devant le tribunal, «La Côte» publie dans son édition tous ménages du 16 août 2007 un «Droit de réponse» de la BCV. Dans le même numéro, le journal publie une «lettre de lecteur» de la BCV, où cette dernière a l’occasion de présenter sa politique commerciale générale.

D. Le 17 août 2007, «La Côte» prend position auprès du Conseil de la presse par l’entremise de son conseil. Le journal ne reconnaît qu’une erreur factuelle dans la légende de la photo en «Une», erreur corrigée dans le corps de l’article (c’est le boucher personnellement qui est mis en faillite, et non l’entreprise familiale). Quant à la déclaration du syndic d’Aubonne, le journal maintient qu’il l’a prononcée, tout en admettant que ce n’est qu’au printemps 2009 que la boucherie devra probablement mettre la clé sous le paillasson. «La Côte» réfute le reproche de ne pas avoir recherché la vérité, puisque le projet d’article a été adressé à la BCV un mois et demi avant parution. Pour ce qui est de la directive 3.8, le journal maintient que la banque avait bien dit ne pas vouloir s’exprimer, et conteste que l’auteur de l’article se soit rendu inatteignable. «La Côte» fait enfin remarquer que c’était à la BCV qu’il appartenait de demander au boucher de la délier du secret bancaire, ce qu’elle n’avait pas fait. Quant à la proposition de droit de réponse, elle a été refusée parce qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences légales, et depuis un arrangement est intervenu (voir C).

E. La plainte a été transmise à la 2ème Chambre du Conseil de la presse, composée de Mmes Sylvie Arsever (présidente) et Nadia Braendle, ainsi que de MM. Dominique von Burg, Pascal Fleury, Jean-Pierre Graber, Charles Ridoré et Michel Zendali.

F. Le 3 septembre 2007, par l’intermédiaire de son conseil, la BCV sollicite l’audition du journaliste de La Côte et du porte-parole de la BCV par la 2ème Chambre. Le 10 octobre, le Conseil de la Presse répond en précisant que selon sa pratique constante, il ne tient pas d’audiences avec audition de témoins. Ses moyens et ses ressources personnelles ne lui permettent pas de le faire, et au demeurant il n’a pas autorité de convoquer des témoins.

G. Le 31 octobre 2007, la Banque cantonale vaudoise recontacte le Conseil de la presse par l’intermédiaire de son conseil. Elle revient sur certains aspects de la réplique de l’avocat de «La Côte», sans apporter d’élément nouveau. Si ce n’est la preuve qu’elle a demandé au boucher, le lendemain de la publication de l’article, de la délier du secret bancaire.

H. La 2ème Chambre a traité cette plainte lors de sa séance du 6 novembre 2007.

II. Considérants

1. Le premier point soulevé par la BCV concerne le chiffre 1 de la «Déclaration». Le journaliste, d’après la BCV, n’a pas adopté de «comportement actif en vue d’obtenir la vérité». Il n’a pas adressé de question ni recherché de renseignements auprès de la banque, se contentant d’envoyer par courrier électronique une première version de l’article, certes plusieurs semaines avant la publication.

Concernant le devoir de rechercher la vérité, la directive 1.1 du Conseil de la presse précise qu’il comprend notamment «la prise en compte des données disponibles et accessibles» et «la vérification». Cela suppose d’évidence de la part du journaliste qu’il ne se contente pas d’un point de vue, mais qu’il cherche à le confronter à celui de tous les protagonistes d’une affaire. La manière de faire de l’enquêteur de «La Côte» n’a pas satisfait à cette exigence.

2. La déclaration du syndic mise en exergue («Nous perdons un boucher de grande qualité») laisse accroire que ce commerce va fermer ses portes dans l’immédiat. Elle induit le lecteur en erreur. Le journal aurait dû préciser que par cette déclaration le syndic exprimait plutôt une crainte pour l’avenir.

En revanche, l’erreur de fait contenue dans la légende de première page peut être considérée comme vénielle. Non seulement cette erreur est rectifiée dans le corps de l’article, mais encore sa portée n’est pas évidente pour le grand public.

3. Peut-on reprocher au journal de ne pas avoir demandé au boucher d’autoriser la banque de lever le secret bancaire le concernant? Le Conseil de la presse répond par la négative: une telle démarche est de la responsabilité de la banque. Certes, des questions directes auraient peut-être pu amener la BCV à entreprendre une telle démarche. Mais on ne saurait l’affirmer puisque la banque, pourtant mise au courant de l’article bien avant sa parution, ne s’est adressée à son client pour obtenir la levée du secret bancaire qu’après cette parution.

4. Le journal «La Côte» a-t-il violé le chiffre 3 de la «Déclaration» en n’auditionnant pas la BCV sur des reproches graves? Sur les échanges entre le journal et la banque, beaucoup d’éléments de faits sont disputés. A cet égard, le Conseil de la Presse rappelle qu’il ne dispose ni du pouvoir ni des moyens de mener une enquête pour établir ces faits. Il n’est donc pas en mesure de dire si, oui ou non, la banque avait précisé qu’elle ne souhaitait pas réagir. Pas plus qu’il n’a les moyens de faire la lumière sur la question de savoir qui était inatteignable à quel moment et pourquoi.

Toutefois, en se reposant sur des faits non contestés, notamment la transmission par courrier électronique de l’article plusieurs semaines avant sa publication, le Conseil de la presse est en mesure de constater que sur le chiffre 3, la «Déclaration» n’a pas été violée. En effet, la Banque disposait de tout le temps nécessaire pour réagir, et à a
ucun moment elle n’a fait montre d’une attitude active en vue de faire publier son point de vue. La BCV n’étant pas une petite PME et disposant d’un service de presse bien étoffé, le Conseil de la Presse ne doute pas qu’elle aurait pu faire connaître son point de vue si elle avait choisi de le faire. Le fait qu’elle était liée par le secret bancaire n’est pas un argument. Elle aurait pu faire savoir, pour le moins, qu’elle contestait plusieurs faits relatés dans l’article mais qu’elle était liée par le secret bancaire.

5. Reste à examiner le reproche concernant le chiffre 5 de la «Déclaration» (devoir de rectification). A en juger par les éléments en possession du Conseil de la presse, la BCV n’a pas spécifié quelles étaient les erreurs de faits qu’elle alléguait dans les jours qui ont suivi la publication de l’article. Comment exiger, dans ces conditions, une rectification?

En ce qui concerne le «Droit de réponse», le Conseil de la presse rappelle qu’il s’agit là de l’application d’un article du Code civil qui n’est pas de sa compétence. Il se bornera à constater que les parties ont fini par se mettre d’accord devant tribunal et qu’un tel «Droit de réponse» a été publié.

III. Conclusions

1. La plainte est partiellement admise.

2. Le journal «La Côte» a violé le chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (recherche de la vérité).

3. La simple communication d’un projet d’article ne satisfait pas aux exigences d’une enquête journalistique. La recherche de la vérité implique que le journaliste se fasse une opinion en interrogeant toutes les parties concernées.

4. Pour le reste, la plainte est rejetée.