Nr. 52/2008
Recherche de la verité / Accusations sans fondement

(X. c. «Le Matin»); Prise de position du Conseil suisse de la presse du 28 novembre 2008

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I. En fait

A. Dans son édition du 21 juin 2008, sous la plume de Joël Cerutti, «Le Matin» a publié un article intitulé: «Une double vie de fou», consacré à Paul-Mac Bonvin et à sa double activité de chanteur rock et de tenancier du Buffet de la Gare de Sierre. Un intertitre dit: «Fini le glauque!», et on lit la phrase suivante: «Il est très loin le temps où l’endroit avait été désigné comme un des buffets les plus glauques de Suisse romande».

B. Par courrier du 17 juillet 2008, X., précédente tenancière du Buffet de la Gare de Sierre, dépose une plainte auprès du Conseil de la presse. La plaignante estime que le rédacteur de l’article «a violé plusieurs devoirs essentiels du journaliste. En particulier il n’a pas respecté la vérité et a soulevé des accusations sans fondement.» La plaignante déclare avoir repris l’exploitation de cet établissement en 2001, l’avoir fait rénover complètement par l’un des meilleurs architectes sierrois, et l’avoir géré ensuite «dans les bonnes règles me consacrant à en maintenir ses bons accueil et standing jusqu’en juin 2006, date de sa reprise par Madame Bonvin». Elle estime que la façon dont l’article présente cette reprise lui cause un tort professionnel et social: «Je précise que je suis née et que j’habite à Sierre où je suis connue. Il est clair pour le lecteur, que j’aurai ainsi géré, de manière sordide, un établissement public.»

C. En date du 15 octobre 2008, la rédaction du journal «Le Matin» prend position sur cette plainte qu’elle estime infondée. La rédactrice en chef, Ariane Dayer, répond tout d’abord que la plaignante n’est pas l’objet de l’article incriminé. Ni son nom ni aucune référence à sa personne n’y figurent. Par ailleurs, les propos mis en cause relèvent de la critique professionnelle et ne touchent en rien la réputation de la plaignante à titre personnel. Les propos litigieux ont fait, selon la rédaction, l’objet d’une enquête journalistique sérieuse. «Les dires de notre journaliste Joël Cerutti se fondent sur plusieurs informations publiées à l’époque où la plaignante gérait l’établissement dont il est question, informations qui s’accordaient à dire que ledit établissement ne répondait pas aux attentes de la clientèle. En particuler, nous nous permettons de citer l’article paru le 30 juin 2006 dans ‹Le Nouvelliste› faisant notamment état d’un ‹endroit sans identité›, un ‹lieu boudé›, l’auteur commentant ensuite la reprise durant le mois de juin 2006 par la famille Bonvin, ‹histoire de donner une âme au lieu.»

D. La plainte a été transmise à la 2ème Chambre du Conseil suisse de la presse, qui est composée de Dominique von Burg (président), Nadia Braendle, Michel Bührer, Pascal Fleury, Charles Ridoré, Anne Seydoux. Michel Zendali, ancien rédacteur en chef du «Matin Dimanche», s’est récusé.

E. Par courrier du 29 octobre 2008, la plaignante a encore fait parvenir au Conseil suisse de la presse la copie d’une lettre du 10 juillet 2006 qu’elle a reçu du rédacteur en chef du «Nouvelliste». On y lit à propos de l’article paru le 30 juin et cité plus haut: «Soyez certaine que nous regrettons vivement de vous avoir blessée. Nous vous saurions gré de bien vouloir nous en excuser.»

F. La 2ème Chambre a traité la plainte dans sa séance du 28 novembre 2008 et par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Selon la plaignante, l’article du «Matin» viole le chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste», respectivement la directive 1.1 (recherche de la verité). Par ailleurs, l’article suggère qu’elle aurait géré de manière sordide un établissement public, ce qui constituerait une atteinte à la personnalité au sens du chiffre 7 de la «Déclaration» (s’nterdire les accusations gratuites).

2. «Le Matin» précise qu’une enquête journalistique sérieuse a précédé la rédaction de l’article incriminé. Toutefois, la seule pièce à l’appui de cette affirmation est l’article du «Nouvelliste» du 30 juin 2006 concluant à un changement de tonalité et d’ambiance au Buffet de la Gare de Sierre suite à sa reprise par les nouveaux tenanciers. Le journaliste aurait pu argumenter davantage pour étayer le fait allégué, à savoir une enquête approfondie. Qualifier de «glauque» le Buffet de la Gare sur la base de ce seul article est un peu léger de la part de la rédaction du «Matin», le terme étant fort et pouvant faire l’objet d’une interprétation dépréciative. Cette légèreté est certes regrettable mais pour le Conseil suisse de la presse – sur la base de faits non contestés et des pièces produites par les parties – une violation du chiffre 1 de la «Déclaration» (vérité) et de la directive y relative (recherche de la vérité) n’est pas établie. En particulier, même le courrier d’excuse du «Nouvelliste» du 10 juillet 2006, ne contient aucune rectification des faits publié par ce journal.

3. Est-ce que la réputation de la plaignante est mise en cause auprès des lecteurs par le qualificatif «glauque» attribué «autrefois» au Buffet de la Gare de Sierre? Le Conseil suisse de la presse constate tout d’abord que l’article contesté ne mentionne pas spécifiquement la plaignante – même si certains lecteurs locaux étaient susceptibles d’établir ce lien. Par ailleurs, le qualificatif mis en cause («il est très loin le temps…») ne renvoie pas explicitement à l’époque où la plaignante en assurait la gérance. Enfin, il s’agit bien ici d’un jugement de valeur, qui relève de la liberté de commenter même si la base objective sur laquelle repose ce jugement est controversée entre les parties. Ce jugement de valeur est reconnaissable comme tel par le public est ne disqualifie pas – selon l’avis du Conseil suisse de la presse de manière disproportionée les personnes concernées.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En publiant l’article «Une double vie de fou» dans son édition du 21 juin 2008 «Le Matin» n’a violé ni le chiffre 1 (vérité), ni le chiffre 7 (s’interdire les accusations gratuites) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».