Nr. 31/2007
Présomption d’innocence / Équité

(De Buman c. «Le Temps») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 3 août 2007

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I. En Fait

A. Le 30 janvier 2007 «Le Temps» a publié un article annonçant l’ouverture d’une enquête pénale dans «l’affaire de la caisse de pension de la Ville de Fribourg». Sous le titre «Fribourg: faux dans les titres?», le journaliste François Mauron relate que «le juge d’instruction Olivier Thormann, spécialiste des délits d’ordre économique, suspecte une falsification de certains documents. Aussi mène-t-il, conjointement avec le Ministère public, une instruction pénale contre inconnu pour faux dans les titres.» Selon le magistrat «pour l’instant personne n’est inculpé». Il ne s’agissait pas encore d’une accusation.

«Ce nouvel épisode s’ajoute à une saga qui semble sans fin. En vedette: le conseiller national Dominique de Buman (PDC), ex-syndic de Fribourg, l’actuel syndic Pierre Alain Clément (PS), Claude Masset (PLR), ancien membre du conseil communal (exécutif), mais aussi le Conseil général (Parlement) de la ville et plus spécifiquement sa commission financière. En août 2004, quelques semaines après la démission de Dominique de Buman de la syndicature, les citoyens de la cité des Zaehringen, abasourdis, apprennent que la caisse de prévoyance du personnel de la Ville recèle un gouffre abyssal. Il manque 109 millions de francs pour atteindre le capital global, couvert seulement à 31,4%. Pis, la couverture totale des rentes en cours – exigée par les statuts – n’est pas garantie: il faudrait 79 millions, or la fortune de l’institut n’est que de 49 millions.»

En février 2006, après que Dominique de Buman et Claude Masset auraient tenté en vain de s’opposer à la publication d’une enquête de la commission financière du Conseil général, celle-ci «est présentée à la presse, mettant en cause une communication défaillante, mais aussi une relative incompétence des trois politiciens, qui ont tous siégé au comité de la caisse. La Commission financière estime toutefois qu’ils n’ont commis aucune infraction à caractère pénal. Sera-ce également l’avis du juge d’instruction? (…) Dominique de Buman et Claude Masset étaient injoignables lundi. En revanche, Pierre Alain Clément confirme qu’il a bien été auditionné». L’article est illustré – au-dessous du titre – par une photo de Dominique de Buman avec la légende «Dominique de Buman. Conseiller national PDC et ex-syndic de Fribourg.»

B. Le 9 février 2007, Dominique de Buman, représenté par un avocat, s’est adressée au Conseil suisse de la presse pour se plaindre de l’amalgame entre le titre de l’article du «Temps» et la photo du plaignant. Selon lui, «le lecteur est amené à conclure que l’enquête pénale le vise lui-même. «La lecture de l’article confirme cette impression. ‹Le Temps› sait (…) qu’il s’agit d’une enquête pénale dirigée contre inconnu (…) ‹Le Temps› ne sait pas si Dominique de Buman a été entendu dans le cadre cette enquête, ni, cas échéant, à quel titre. ‹Le Temps› mentionne des personnes qui ont vraisemblablement été entendues par le Juge d’instruction, dans certains cas en citant leur nom, dans d’autre cas en indiquant seulement leur fonction. D’après l’article six personnes au moins (…) sont susceptibles d’avoir été entendues. Mais une seule d’entre elles confirme l’avoir été.»

Cette publication porterait atteinte de manière grave et injustifiée à la réputation du plaignant. «Elle viole la ‹Déclaration des devoirs et des droits du journaliste› selon laquelle le journaliste ‹respecte les principes généraux de l’équité par une attitude loyale envers les personnes dont il parle›. Elle viole également la directive 7.5 concernant la présomption d’innocence.»

C. Conformément à l’art. 9 al. 3 du règlement du Conseil suisse de la presse, la présidence doit refuser les plaintes manifestement infondées, ainsi que celles qui ne relèvent pas de la compétence du Conseil.

D. La présidence du Conseil suisse de la presse composée par Peter Studer (président), et Esther Diener-Morscher (vice-présidente) a traité la présente prise de position le 3 août 2007 par voie de correspondance. Sylvie Arsever (vice-présidente et rédactrice du «Temps») s’est récusée.

II. Considérants

1. Le plaignant est l’ancien syndic de Fribourg et conseiller national actuel. Il est donc une personne d’intérêt public. La publication d’une photo dans le contexte de ces fonctions publiques ne viole pas la sphère privée (voir aussi la prise de position 45/2005). Dominique de Buman ne conteste pas la publication de l’image en soi, mais plutôt la combinaison de la photo avec le titre du compte rendu qui violerait le principe général de l’équité et la présomption d’innocence.

2. a) Selon la directive 7.5 relative à la «Déclaration» les comptes rendus et reportages sur les affaires judiciaires «veilleront à prendre en considération la présomption d’innocence dont jouit le justiciable». Conformément à la pratique du Conseil de la presse (voir les prises de position 64/2006, 60 et 61/2003), la présomption d’innocence est respectée lorsqu’un compte rendu mentionne que la condamnation n’a pas encore été prononcée ou qu’elle n’est pas encore entrée en force.

b) Le compte rendu du «Temps» répond à ces exigences. Il mentionne l’état de la procédure (instruction pénale contre inconnu) et indique clairement que «pour l’instant (…) il s’agit pas encore d’une accusation». Il n’y a donc pas eu atteinte au chiffre 7 de la «Déclaration».

3. De même «Le Temps» n’a non plus violé les principes généraux d’équité. Vu les grosses difficultés de la caisse de pension de la ville de Fribourg mis en évidence en 2004 et la critique sévère vis à vis des représentants de l’exécutif de la Ville dans la caisse, y compris contre le plaignant, dans le rapport de la commission d’enquête publié en hiver 2006, il était admissible que «Le Temps» ait focalisé son compte rendu du 30 janvier 2007 sur la personne de Dominique de Buman en illustrant l’article avec sa photo. Cela vaut même si, à ce moment, il n’était pas encore clair, si l’enquête pénale contre inconnu pour faux dans les titres entamée en automne 2006 sera ouverte ou non contre une personne déterminée.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. «Le Temps» n’a pas violé le chiffre 7 (protection de la sphère privée) ni les principes généraux de l’équité de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».