Nr. 10/2013
Liberté de commenter / Accusations infondées / Dignité humaine

(X. Sàrl c. «Le Nouvelliste») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 8 mars 2013

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I. En fait

A. En date du 13 novembre 2012, «Le Nouvelliste» publie sous la rubrique «Le baromètre en hausse» un article intitulé «Imagination sans limite aucune»: «La création d’entreprises va bon train en Valais, et c’est tant mieux. Mais l’imagination de certains pourrait bien dépasser les limites de la bienséance, dans la seule optique de faire de l’argent. Il en est ainsi d’Y. basée a Z., un nouveau site web d’articles érotiques qui propose entre autres 95 tailles différentes d’une marque de préservatifs. Il en fallu du temps pour imaginer une telle gamme, aussi inutile que stupide. Créer une entreprise n’autorise pas à faire tout et n’importe quoi!»

B. Le 14 novembre 2012, l’entreprise X. saisit le Conseil suisse de la presse. Selon la plaignante, «les propos tenus par l’auteur de l’article du ‹Nouvelliste› apparaissent clairement comme déloyaux à notre entreprise, dans la mesure où seul le site web détenu par celle-ci est cité, alors qu’un nombre important d’autres entreprises proposent les mêmes services. (…) Notre société n’est pas le fabricant, mais commercialise comme nombre d’autres ce produit. (…) Contrairement à ce que l’article suggère la possibilité d’avoir des tailles différentes de préservatifs n’est pas un artifice, mais cela participe à la sécurité d’utilisation et concourt à éviter les conséquences d’une rupture.»

Toujours selon la plaignante il est «injurieux et méprisant» d’écrire que l’idée d’imaginer une gamme de 95 tailles de préservatifs est «stupide» (violation du chiffre 7 de la «Déclaration» des devoirs et des droits du/de la journaliste» – accusations gratuites). Et en insinuant que l’unique but de la société X. serait pécuniaire, l’auteur du texte «l’allègue sans qu’aucun fait objectif ne vienne justifier, ni corroborer ces accusations». Le reproche d’avoir comme unique but «de faire de l’argent» serait en outre grave dans la mesure où il porterait «grandement» atteinte à la réputation de la société X. et aux personnes qui y collaborent. Finalement, X. fait valoir que «Le Nouvelliste» viole le chiffre 8 de la «Déclaration» (dignité humaine) en utilisant le terme «stupide» qui est «ordurier».

C.
Selon l’art. 12, alinéa 1 du règlement du Conseil suisse de la presse, la présidence traite les plaintes sur lesquelles le Conseil n’entre pas en matière.

D. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Francesca Snider (vice-présidente) et de Max Trossmann (vice-président), a traité la présente prise de position le 8 mars 2014 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Selon l’article 10 alinéa 1 de son règlement, le Conseil suisse n’entre pas en matière si une plainte est manifestement infondée.

2. Le chiffre 2 de la «Déclaration» oblige les journalistes de défendre la liberté du commentaire et de la critique. La Directive 2.3 y relative statue, que «les journalistes veillent à rendre perceptible pour le public la distinction entre les faits et les appréciations, relevant du commentaire ou de la critique.»

De manière constante, le Conseil suisse de la presse a souligné l’importance de la liberté du commentaire, précisant qu’«il doit jouir d’une large liberté quant au ton adopté» (prise de position 4/1992). La liberté de commenter n’est toutefois pas sans limite. Les journalistes doivent respecter la sphère privée en l’absence d‘un intérêt public prépondérant et ont l’obligation de ne faire état que de faits vérifiés. Dans sa prise de position 51/2002, le Conseil a constaté qu’au nom de la liberté de commenter, un pamphlet même blessant à l’encontre de magistrats ou d’un groupe de magistrats est admissible. Finalement, il est déterminant que l’appréciation sur laquelle repose le commentaire soit reconnaissable pour le public et que de surcroît ce commentaire ne se fonde pas sur des allégations non avérées, manifestement inconvenantes et dépréciatives (prises de position 16/1999, 2/2000).

3.
En l’occurrence, le commentaire du «Nouvelliste» est sans autre reconnaissable comme tel. De même, les faits qui sont à la base de la critique sont transparents et ne sont pas contestés: «Y. basée a Chermignon, un nouveau site web d’articles érotiques (…) propose, entre autres 95 tailles différentes d’une marque de préservatifs». En critiquant une telle gamme de produits, un journaliste ne dépasse manifestement pas les limites de la liberté du commentaire. Selon la jurisprudence du Conseil de la presse même une critique exagérée utilisant des termes blessants est compatible avec la liberté de commenter, si l’exagération est facilement reconnaissable comme telle (prise de position 56/2008).

Pour le lectorat du «Nouvelliste» il est clair que les appréciations «inutile» et «stupide» ne se réfèrent qu’à l’offre critiquée et non pas à la société X. et les personnes derrière l’entreprise. Selon le Conseil de la presse il ne s’agit donc manifestement ni d’un reproche grave qui demanderait une audition avant publication, ni d’une accusation gratuite et ni encore d’une violation de la dignité humaine. Enfin, reprocher à une entreprise de n’agir que dans un but lucratif est clairement une appréciation relevant de la liberté du commentaire.

III. Conclusion

L’entrée en matière est refusée.