I. En fait
A. Dans son numéro 44 du 1er novembre 2001, «L’Hebdo» a publié un éditorial consacré aux dernières élections municipales vaudoises. Signé de la plume de la rédactrice en chef Ariane Dayer, cet éditorial est intitulé «Bulletins empoisonnés». En page 28 du même numéro, «L’Hebdo» a également publié un article consacré aux récents succès électoraux de l’UDC en Suisse romande. Titre : «La Suisse romande souffre du syndrome Blocher». Dans son éditorial, Ariane Dayer se gausse du fait que les scrutateurs chargés de dépouiller les bulletins en ville de Lausanne ont été équipés de gants et de masques pour le cas où des bulletins contiendraient de l’anthrax. Et l’éditorialiste de relever que les bulletins «portaient un danger plus réaliste : le succès, une fois de plus, de l’UDC». Dans l’article de la page 28, son auteur, Benoît Couchepin, s’interroge sur ce qui fait la force de l’UDC en Suisse romande en marge des récents succès électoraux de ce parti. Faisant allusion aux premières victoires de l’UDC, l’auteur écrit qu’ «aujourd’hui, ces temps sont révolus. L’accès de fièvre est tout simplement purulent». Egrenant ensuite les gains électoraux de l’UDC en 2001, l’auteur cite les cas de Vigilance à Genève, celle des Démocrates suisses à Neuchâtel ou encore des chrétiens conservateurs en Valais pour écrire que «la maladie était présente, mais à l’état latent. Aujourd’hui, c’est l’épidémie.»
B. Par courrier du 23 novembre 2001, l’Union démocratique du centre du canton de Vaud (ci-après UDC) dépose une plainte auprès du Conseil de la presse. L’UDC estime que la rédactrice en chef de «L’Hebdo» a dépassé son devoir de journaliste qui doit consister en priorité à informer. En ce qui concerne l’article de la page 28, la plaignante dénonce le fait qu’à ses yeux l’auteur a établi le constat d’une UDC maladive, l’auteur parlant même d’épidémie. L’UDC vaudoise estime qu’Ariane Dayer, en assimilant l’UDC à l’anthrax, a violé l’entête de la «Déclaration des devoirs et des droits du/ de la journaliste» qui requiert du journaliste une attitude loyale et équitable envers les personnes dont il parle et le public. La plaignante fait également état d’une violation du chiffre 1 de la «Déclaration» et du devoir de rechercher la vérité. A ses yeux, il n’est plus question d’objectivité lorsque le plus grand parti politique suisse est comparé à un poison mortel. Pour la section vaudoise de l’UDC, la comparaison entre l’UDC et l’anthrax relève de l’amalgame. Il s’agit, selon elle, d’une désinformation mensongère et intentionnelle qui contredit le chiffre 3 de la «Déclaration». Par ailleurs, la partie plaignante estime que «L’Hebdo» a violé le chiffre 7 de la «Déclaration», qui fait devoir au journaliste de respecter la vie privée des personnes. L’UDC relève que si le résultat d’une élection est comparé à un poison mortel ou à une épidémie, celles et ceux qui ont voté pour le poison ou l’épidémie sont accusés de manière gratuite de créer un danger pour leurs concitoyens. Enfin, l’UDC dénonce une violation du chiffre 8 de la «Déclaration». La comparaison entre l’UDC et un poison ou une maladie constitue une allusion discriminatoire particulièrement odieuse. Pour la plaignante, elle crée un amalgame entre les membres de ce parti et les terroristes arabes. L’hebdomadaire aurait ainsi omis de respecter la dignité humaine.
C. Dans un courrier du 29 novembre 2001, le Secrétariat du Conseil suisse de la presse accuse réception de la plainte de l’UDC vaudoise. Cette dernière précisant «qu’à ce jour aucune plainte pénale n’a été déposée», le Secrétariat demande à la plaignante de préciser si elle a l’intention d’ouvrir ultérieurement une procédure judiciaire.
D. Dans sa réponse du 6 décembre au courrier susmentionné, l’UDC du canton de Vaud informe le Secrétariat du Conseil de la presse qu’elle n’a pas l’intention d’ouvrir une procédure judiciaire ultérieurement au présent arrêt.
E. En date du 11 janvier 2002, «L’Hebdo» prend position sur les griefs de l’UDC. Sa rédactrice en chef estime que toutes les règles déontologiques ont été respectées et qu’il s’agit simplement de divergences d’opinions politiques. Ariane Dayer relève que l’article est clairement annoncé comme un éditorial et que le préambule de la «Déclaration» affirme le droit à la liberté d’expression et à la critique. Par ailleurs, la rédactrice en chef de «L’Hebdo» souligne qu’en matière d’opinion politique, le pouvoir critique est accru. Par ailleurs, Ariane Dayer note que cette liberté est d’autant plus grande que le contexte est satirique. A son avis, le ton est clairement amusé dès les premiers mots et la satire de la peur de l’anthrax est évidente. «L’Hebdo» prétend que l’UDC n’est jamais comparée directement à l’anthrax. Le texte évoque le téléscopage de deux événements : le dépouillement paranoïaque des bulletins et le succès de l’UDC. Enfin, pour l’hebdomadaire, ce ne sont pas les personnalités mais les idées de l’UDC qui sont critiquées. Sa rédactrice en chef précise encore qu’à la suite de ce commentaire, son titre a consacré son courrier des lecteurs du numéro suivant aux réactions des membres de l’UDC.
F. En date du 15 janvier 2002, le Secrétariat du Conseil suisse de la presse informe les parties que la plainte sera traitée par la 2ème Chambre. Celle-ci se compose de Mme Sylvie Arsever et de MM. Daniel Cornu (président) Dominique Bugnon, Dominique von Burg, et Ueli Leuenberger. MM. Jean-Pierre Graber et Michel Zendali se sont récusés.
II. Considérants
1. La plaignante estime que «L’Hebdo» a assimilé l’UDC à l’anthrax. Ce faisant, l’hebdomadaire aurait violé l’obligation contenue dans l’entête de la «Déclaration» qui fait devoir au journaliste d’avoir une attitude loyale et équitable envers les personnes dont il parle et le public. La même comparaison conduirait en outre à une violation du chiffre 1 de la «Déclaration» en ce sens que la recherche de la vérité postulerait, selon la plaignante, un maximum d’objectivité. Pour l’UDC, il n’est plus question d’objectivité lorsque le plus grand parti politique suisse est comparé à un poison mortel. Il convient ici de rappeler que le préambule de la «Déclaration» précise que le droit à l’information, de même qu’à la libre expression et à la critique, est une des libertés fondamentales de tout être humain. Du droit du public à connaître les faits et les opinions découle l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes. L’article signée d’Ariane Dayer en page 5 du numéro 44 est un éditorial clairement identifié comme tel. A réitérées reprises (cf. notamment prise de position 15/99 G c. B/ «L’Impartial»), le Conseil de la presse a souligné qu’une grande liberté de ton doit être laissée au commentaire. Par ailleurs, l’éditorialiste fait valoir que le contexte est satirique. Dans les deux premiers paragraphes, il paraît clair en effet que l’auteur se gausse des mesures prises par les autorités lors du dépouillement des bulletins de vote. Dans un premier temps, l’auteur s’est donc attaché à mettre le doigt sur le ridicule d’une situation provoquée par la peur de l’anthrax. La dénonciation d’une situation absurde aux yeux de l’auteur permet à «l’Hebdo» de mettre ensuite en lumière ce qui lui paraît être «un danger plus réaliste», à savoir la victoire de l’UDC. Loin de faire un amalgame entre l’UDC et l’anthrax, le texte met en balance deux dangers aux yeux de son auteur: le premier a trait au risque de voir des bulletins de vote contaminés à l’anthrax. Ce risque-là aurait été surestimé par les autorités. L’autre danger, toujours aux yeux de l’auteur de l’article, est celui que fait peser le succès de l’UDC. Et ce danger-là est plus réaliste pour Ariane Day
er. Si comparaison il y a, c’est entre un risque très hypothétique et un fait bien réel, la victoire de l’UDC au soir des élections. Quant à savoir si le succès de l’UDC est un danger, cette appréciation est politique et relève de la liberté de commenter évoquée plus haut. La rédactrice en chef de «L ‘Hebdo» n’a donc ni violé l’obligation de loyauté figurant dans l’entête de la «Déclaration», ni le chiffre 1 de cette même «Déclaration».
2. La plaignante invoque une violation du chiffre 3 de la «Déclaration» qui fait devoir au journaliste de ne pas dénaturer les faits. A l’appui de sa plainte, elle fait à nouveau valoir l’amalgame que constituerait, selon elle, la comparaison entre l’UDC et l’anthrax. On a vu plus haut que l’auteur n’a pas cherché à comparer les dangers nés de la dissémination d’anthrax dans la nature avec ceux qui seraient liés, selon lui, aux succès électoraux de l’UDC. L’auteur a mis en relief la disproportion des moyens mis en œuvre par rapport à un danger très hypothétique avant de souligner ce qui, pour elle, constitue un vrai danger politique, à savoir les nouveaux succès électoraux de l’UDC. Le chiffre 3 de la «Déclaration» n’a donc pas été violé.
3. Dans sa plainte, l’UDC s’appuie sur son interprétation de l’éditorial pour y lire une violation du chiffre 7 de la «Déclaration» qui fait devoir au journaliste de respecter la vie privée des personnes. La plaignante fait valoir qu’en comparant le résultat d’une élection à un poison mortel ou à une épidémie, le texte incriminé conduit le lecteur à accuser l’UDC et ceux qui ont voté pour elle, de créer un danger pour leurs concitoyens. Selon la plaignante, le texte va encore plus loin, en accusant également de complicité ceux qui ne sont pas allés voter, permettant ainsi au poison de se répandre. Nous renvoyons ici aux chiffres 1 et 2 des considérants quant à la question de la comparaison entre l’UDC et l’anthrax. S’agissant plus précisément du respect de la vie privée des personnes, il convient de préciser ici que la critique des points de vue défendus par un parti politique relève de la liberté de commenter. Elle ne saurait être assimilée à une violation du respect de la vie privée des personnes qui auraient voté pour des candidats de ce parti.
4. La plaignante estime que «L’Hebdo» a violé le chiffre 8 de la «Déclaration» qui fait du respect de la dignité humaine un devoir du / de la journaliste. La comparaison entre l’UDC et un poison constitue, aux yeux de la section vaudoise de l’UDC, une allusion discriminatoire; elle crée un amalgame entre les membres de ce parti et les terroristes arabes. La plaignante se fonde une nouvelle fois sur le point de vue selon lequel l’article recèlerait une comparaison entre l’UDC et l’anthrax. Sur la base de l’analyse faite plus haut en relation avec ce point, il n’y a pas lieu de s’interroger plus longuement sur la question de savoir si l’article en question viole le chiffre 8 de la «Déclaration».
5. La plaignante, dans l’exposé des motifs, invoque l’éditorial d’Ariane Dayer, rédactrice en chef de «L’Hebdo», mais aussi l’article paru en page 28 du même numéro. Cet article dresse, selon elle, le constat d’une UDC «mortelle» ou tout au moins «maladive», l’auteur parlant même d’épidémie. Dans ses conclusions, la plaignante souligne que les articles parus dans le numéro du 1er novembre 2001 violent les chiffres 1, 3, 7 et 8 de la «Déclaration». Il faut donc en déduire que, pour la plaignante, l’article de la page 28 viole également les quatre chiffres précités de la «Déclaration», même si l’exposé de ses motifs laisse supposer que l’essentiel des griefs porte sur l’amalgame qui aurait été fait entre l’UDC et l’anthrax. Or, l’article paru en page 28 et signé Benoît Couchepin ne mentionne nulle part l’anthrax. L’auteur recourt cependant à des métaphores qui font appel au langage médical. A commencer par le titre de l’article : «La Suisse romande souffre du syndrome Blocher». Faisant référence aux succès électoraux enregistrés par les sections romandes de l’UDC en 2001, Benoît Couchepin écrit, en substance, que les temps sont révolus qui voyaient les victoires de l’UDC chatouiller, démanger, mais pas inquiéter. Aujourd’hui, écrit l’auteur, «l’accès de fièvre est tout simplement purulent». Après avoir cité les gains électoraux de l’UDC, l’article poursuit : «Avec Vigilance à Genève, les Démocrates suisses à Neuchâtel ou les chrétiens conservateurs en Valais, la maladie était présente, mais à l’état latent. Aujourd’hui, c’est l’épidémie». Avant de s’interroger sur les causes des succès de l’UDC et leurs conséquences politiques en Suisse romande, l’article emprunte donc des formules du langage médical pour imager l’expansion politique du parti précité. Ce faisant, la rédaction de «L’Hebdo» a-t-elle enfreint la «Déclaration» en ses chiffres 1, 3, 7 et 8 ? Stricto sensu, les formules utilisées traduisent ce qu’a été, ces dernières années, l’évolution de l’UDC sur l’échiquier politique romand: jalonné de victoires éparses interprétées sur le moment comme des accès de fièvre, le parcours de l’UDC en Suisse romande est désormais celui d’un parti dont les succès sont contagieux. En ce sens, l’auteur n’a pas trahi son devoir de rechercher la vérité. De même, il n’a pas dénaturé les faits. Le recours à des expressions médicales pour imager le propos visait l’évolution d’un parti au travers de ses résultats électoraux et non pas des personnalités de ce parti. On ne saurait donc reprocher à l’auteur de n’avoir pas respecté la vie privée des personnes ou la dignité humaine.
6. Quant au choix des images effectué par l’auteur, il reste dans le cadre de la liberté d’expression comprise comme l’une des libertés fondamentales de tout être humain (cf. le préambule de la «Déclaration»). Bien qu’il ne soit pas présenté comme un commentaire, le texte en question recèle des jugements de valeur. Ceux-ci ne sont toutefois pas de nature à tromper le lecteur quant aux faits sur lesquels ils se fondent, à savoir la progression de l’UDC en Suisse romande. Pour le reste, ces jugements de valeur ressortent de la liberté de commenter et de critique.
III. Conclusions
1. La plainte est rejetée.
2. Affirmer que le succès électoral d’un parti est un danger plus réaliste que celui de voir des bulletins de vote être empoisonnés à l’anthrax ne viole pas la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste». Le commentaire doit bénéficier d’ , BUFTEXT1 = ‘une grande liberté.
3. Sur la base de faits non contestés, il n’est pas contraire à la «Déclaration» de recourir à des termes comme «maladie» ou «épidémie» pour désigner la vague de succès d’un parti politique. A la condition posée ci-dessus, le recours à telle ou telle image relève de la liberté d’expression.