I. En Fait
A. Le 5 octobre 2006 «La Liberté» a publié une réponse d’une lectrice à une lettre de lecteur. Rejetant la thèse de l’effet positif de la migration sur la natalité, elle faisait valoir qu’accueillir «des immigrés pour ‹renouveler› la population c’est repousser le problème, car les immigrés de la 2ème génération ne font pas plus d’enfants que les autochtones. Et ceux qui continuent à en faire ‹beaucoup› sont ceux qui ne s’intègrent pas.»
B. Le 1er mars 2007 «La Liberté» a publié une tribune libre de l’ancien conseiller d’Etat du Canton de Fribourg, Denis Clerc. Ce dernier s’opposait à la proposition, formulée dans une autre tribune, de donner une église inutilisée aux fidèles musulmans. Dans ce contexte, il formulait l’appréciation suivante: «A part la famille Ramadan, et quelques autres, les musulmans de Suisse s’intègrent plutôt bien à notre ordre public.»
C. Le 13 mars 2007 «La Liberté» a publié une réaction de X., à propos du texte de Denis Clerc mentionné ci-dessus. «Sans aucune distinction de personne ni de faits, M. Clerc met au pilori et diffame une famille musulmane tout entière. (…) En publiant des propos qui portent atteinte à l’honneur de chaque membre d’une famille jusqu’aux enfants, ‹La Liberté› contrevient ouvertement à ce que le Conseil suisse de la presse dit sur le respect de la dignité humaine. (…) Les lecteurs ont droit à une mise au point de la part de la rédaction.»
D. Le 14 juin 2007, X. s’est adressé au Conseil suisse de la presse. Selon le plaignant, en publiant la lettre de lecteur du 5 octobre 2006 et la tribune libre du 1er mars 2007 la rédaction de «La Liberté» a violé les chiffres 1 (vérité), 5 (rectification) et 8 (discrimination; dignité humaine) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».
E. Dans une prise de position du 27 juillet 2007, Claude Chuard, rédacteur en chef adjoint de «La Liberté» a rejeté la plainte comme dénuée de fondement.
F. La plainte a été transmise à la 2ème Chambre du Conseil de la presse, qui est composée de Sylvie Arsever (présidente), Nadia Braendle, Dominique von Burg, Jean-Pierre Graber, Charles Ridoré et Michel Zendali. Pascal Fleury, rédacteur de la «Liberté», s’est récusé.
G. La 2ème Chambre a traité la plainte dans sa séance du 31 août 2007 et par voie de correspondance.
II. Considérants
1. Selon la directive 5.2 relative à la «Déclaration», les rédacteurs chargés du courrier des lecteurs n’ont l’obligation d’intervenir que si une lettre viole manifestement la déontologie journalistique. Cette règle s’étend par analogie au contenu des contributions extérieures à la rédaction; dans ce cas aussi, l’obligation de contrôle de la rédaction se limite à d’évidentes violations des règles de l’éthique professionnelle (voir la prise de position 43/2000).
2. a) Dans la lettre de lecteur publié le 5 octobre 2006 le plaignant critique la phrase suivante: «ceux qui continuent à en faire ‹beaucoup› sont ceux qui ne s’intègrent pas». Cette phrase, estime-t-il, fait peser sur tout un groupe le reproche de ne pas s’intégrer en Suisse et présente donc un caractère discriminatoire (chiffre 8 de la «Déclaration»).
b) L’interdiction de discrimination ne protège que les groupes définis par les critères posés au chiffre 8 de la «Déclaration» (appartenance ethnique ou nationale, religion, sexe, orientation sexuelle, maladie ou handicap d’ordre physique ou mental) ainsi que les collectivités analogues (prises de position 13 et 64/2006). Le groupe des immigrés de la deuxième génération ayant beaucoup d’enfants ne peut être assimilé à une telle minorité. En outre, la thèse de l’auteur de la lettre litigieuse, si discutable soit-elle, ne postule pas une incapacité à s’intégrer innée ou découlant spécifiquement d’une culture donnée. Elle renvoie plutôt à des considérations socio-économiques qui, même si leur pertinence est très incertaine, ne sont pas discriminatoires au sens du chiffre 8 de la «Déclaration».
3. a) Le plaignant reproche en outre à «La Liberté», d’avoir diffamé la «famille Ramadan» en publiant la tribune libre de Denis Clerc du 1er mars 2007. Sans aucune distinction de personne ni de faits, le texte de Denis Clerc reprocherait à une famille entière (enfants, grands-parents etc. inclus) de ne pas respecter l’ordre public suisse.
b) La formulation «la famille Ramadan» est pour le moins malheureuse. Elle met en effet en cause un large groupe de personnes qui n’ont en rien mérité l’accusation de ne pas s’intégrer en Suisse. Il est toutefois hautement probable que Denis Clerc n’entendait viser par cette formule que les frères Tarik et Hani Ramadan, tous deux actifs dans le débat public et que c’est ainsi que le lectorat de «La Liberté» aura compris. En tant qu’ils visent les positions défendues par les deux frères, les termes litigieux restent dans le cadre d’un débat d’idée vigoureux. En les publiant dans le cadre d’une tribune libre, la rédaction de « la Liberté » n’a donc pas violé le chiffre 7 de la «Déclaration» (accusations gratuites).
4. Dans ces conditions, la «Liberté» n’était pas tenue de publier une mise au point et n’a donc non plus violé le chiffre 5 de la «Déclaration».
III. Conclusions
1. La plainte est rejetée.
2. «La Liberté» n’a pas violé les chiffres 1 (vérité), 5 (rectification), 7 (accusations gratuites) et 8 (discrimination) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».