I. En Fait
A. Le 18 et 30 mars 2006 «Le Matin» a publié deux articles concernant une «petite» affaire pénale devant le Tribunal de police de Lausanne. Sous le titre «Un avocat devant le juge pour une poubelle!» (18 mars) la journaliste Z. a rendu compte des démêlés avec la justice d’un avocat lausannois qui «conteste avoir déposé, dans une rue piétonne située à proximité de son étude au centre-ville, un sac-poubelle en dehors des heures de ramassage: un acte pour lequel il a écopé d’une amende de 150 francs». Dans l’édition du 30 mars («Acquitté pour sa poubelle») elle a informé le lectorat que «le Tribunal de police a admis hier l’appel formulé par Maître Y. et annulé la sentence qui le condamnait à payer une amende pour dépôt sauvage d’ordures».
B. Les 6 avril et 16 mai 2006, X. s’est adressée au Conseil suisse de la presse pour se plaindre du comportement de la journaliste. Selon la plaignante une affaire judiciaire l’oppose à la journaliste. Les deux femmes sont chacune assistées par un avocat. «Mon conseil est Maître Y. Récemment, cet avocat s’est opposé aux autorités lausannoises dans une affaire mineure concernant un problème de voirie. Z. s’est intéressé à contacter Me Y., à le rencontrer à son étude pour donner un nouvel écho à ce litige évoqué déjà les 11/12 mars 2006 par ‹24 Heures›. (…) Je sais par ailleurs, sans avoir de témoinage écrit, que Z. se prévaut de son métier de journaliste pour s’entrenir avec le juge concerné par notre affaire.»
Selon un avis juridique – présenté par la plaignante le 16 Mai 2006 – le comportement de la journaliste a violé le chiffre 2.4 des Directives relatives à la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (mélange entre activités professionnelles et privées).
C. Dans une prise de position datée du 9 juin 2006, Peter Rothenbühler, rédacteur en chef du «Matin», a rejeté la plainte comme dénuée de fondement. «Le sujet et le contenu des articles susmentionnés (…) ne laisse nullement transparaître un quelconque lien avec un engagement de caractère privé de notre journaliste. (…) Notre journaliste a enquêté sur une affaire locale dont Maître Y. se trouve être le protagoniste principal; aucun lien ne peut être établi avec le conflit privé qui oppose notre journaliste à la plaignante. Une prise de contact a eu lieu entre notre journaliste et Maître Y. (…) car ce dernier souhaitait la couverture par la presse locale du litige qui l’a opposé au Service d’assainissement de la Ville de Lausanne en relation avec les ordures ménagères de son étude. Dans ce contexte, nous voyons difficilement de quelle manière Maître Y. aurait pu se voir soutirer des informations concernant un litige privé, compte tenu du secret professionnel auquel il est soumis ainsi que de sa longue expérience (…) Quant au second fait rapporté par la plaignante, à savoir que notre journaliste se serait entretenue avec le juge concerné par le litige privé les opposant en se prévalant de son statut professionnel, les propos avancés par la plaignante sont infondés.»
D. Conformément à l’art. 10 al. 7 du règlement du Conseil suisse de la presse, la présidence peut se prononcer définitivement sur des plaintes qui, dans leurs traits essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil ou qui paraissent d’une importance mineure. Le 28 juin 2006 le Conseil suisse de la presse a communiqué aux parties que la plainte sera traité par la présidence du Conseil.
E. La présidence du Conseil suisse de la presse composée par Peter Studer (président), Sylvie Arsever et Esther Diener-Morscher (vice-présidentes) a traité la présente prise de position le 3 août 2007 par voie de correspondance.
II. Considérants
1. Le Conseil de la presse, selon une pratique constante, relève qu’il ne lui appartient pas de vérifier si des allégations de faits contestés par les parties et contenus dans un compte rendu médiatique correspondent à la vérité (voir à ce sujet les prises de position 50/2006 et 3/2007). Le Conseil de la presse ne dispose pas des moyens contraignants nécessaires pour mener une procédure d’administration des preuves concernant des états de faits contestés. Il ne peut obliger des témoins à se présenter, ni exiger la remise de moyens de preuve. La procédure du Conseil de la presse est écrite et s’appuie sur les arguments et documents présentés par les deux parties. Dès lors, dans la mesure où il y a désaccord entre les deux parties, dans le cas présent, sur le fait de savoir si la journaliste du «Matin» a tiré parti de sa position professionnelle pour contacter le juge compétent à propos d’un différend judiciaire initié par elle-même, le Conseil de la presse n’entre pas en matière sur la plainte.
2. a) Le chiffre 2 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» engage les journalistes à préserver et à défendre leur indépendance. La directive 2.4 précise à cet égard que les collisions d’intérêts nuisent au bon renom des médias et à la dignité de la profession. «Les mêmes règles valent aussi pour les activités privées qui peuvent se recouper avec la recherche d’informations.» Le Conseil de la presse, dans sa prise de position 51/2001, relevait que les journalistes ne sauraient tirer profit de leur fonction professionnelle pour porter sur la place publique un différend privé.
2. b) La journaliste Z. se trouvait-elle dans un conflit d’intérêts suite à son différend judiciaire et aurait-elle dû se récuser de ce fait concernant le compte rendu sur l’avocat Y.? Ou bien aurait-elle dû, à tout le moins, faire clairement état de son «lien» avec l’avocat? De l’avis du Conseil de la presse, la réponse doit être «non» dans les deux cas. Par analogie avec la prise de position 51/2001 une récusation s’imposerait si son conflit avec la plaignante avait fait l’objet du compte rendu médiatique. En revanche, le seul fait que l’avocat Y. représente la plaignante dans un différend juridique suscité par la journaliste Z. ne saurait justifier une collision d’intérêts dans le cas d’un article n’ayant rien à voir avec le différend. Ce d’autant que l’impulsion pour écrire l’article émanait à l’évidence de l’avocat. Enfin, la plaignante ne fait pas valoir que son différend privé avec Z. serait lié à son activité journalistique.
III. Conclusions
1. La plainte est rejetée.
2. «Le Matin» n’a pas violé le chiffre 2 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (Indépendance de la profession).