Nr. 13/2001
Devoir de rectification / Equité

(Eglise de Scientologie Zurich c. « L’ Hebdo ») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 2 février 200

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I. En fait

A. Le 31 mai 2000, « l’Hebdo » publie une enquête intitulée « J’ai obtenu justice, mais pas réparation ». Cette enquête évoque deux cas, puis interroge un avocat « sur les lenteurs de la justice et les frustrations qu’elles peuvent engendrer ». L’un des deux cas précités concerne un « scientologue repenti qui cherche à récupérer les centaines de milliers de francs abandonnés à ce mouvement ». On y apprend que B. a quitté l’Eglise de scientologie en 1989, que le mouvement lui a versé « spontanément (…) une somme de 125.000 francs à titre d’acompte. » Pour B., ce versement aurait été fait pour éviter un procès. De fait, précise « l’Hebdo », « ce versement mit fin à l’action pénale entreprise, incitant la justice genevoise à classer le dossier tout en réservant ses droits sur le plan civil ». Et, selon « l’Hebdo », B. « est encore en procès avec la section suisse de l’Eglise de scientologie ».

B. Dans un fax à « l’Hebdo » daté du 15 juin 2000, M. Jürg Stettler, de l’Eglise de scientologie de Zurich, affirmant n’avoir pas été contacté dans le cadre de l’article, demande la publication d’une déclaration , qui dit notamment « qu’aucune affaire légale n’est en cours entre B. et une Eglise de scientologie ». Cette déclaration ajoute que le Tribunal fédéral a écarté les prétentions de B, que l ‘Eglise de scientologie « a volontairement remboursé » au couple B. les contributions effectuées au cours des ans. Dans la même déclaration, M. Stettler s’étonne que la presse suive B. dans sa démarche (il réclame jusqu’à 2 millions) et précise encore : « A plusieurs reprises, nous avons invité B. à contacter son avocat afin que celui-ci s’entretienne avec le nôtre. Il semble qu’aucun avocat ne souhaite prendre sa défense, sachant combien infondées sont ses requêtes ».

C. Le 28 juin 2000, la rédactrice en chef de « l’Hebdo » refuse la publication demandée, l’estimant injustifiée.

D. Suite au refus de « l’Hebdo », M. Stettler, dans un fax daté du 30 juin 2000, demande une « correction légale ». Cette « correction légale » porte sur deux points. Elle conteste qu’une affaire juridique soit en cours, et elle précise : « Il n’a jamais été question d’acompte et ce versement (de 125.000 francs) a été fait sans obligation ou nécessité légale ». Enfin, ce montant représentait « la totalité de ses contributions versées à l’Eglise et mettait fin à l’affaire ».

E. Le 5 juillet 2000, « l’Hebdo » renouvelle son refus. La rédactrice en chef adjointe, Béatrice Schaad, précise dans son envoi à M. Stettler : « Notre droit ne permet pas au lecteur d’un journal d’imposer la publication d’une lettre ni celle d’un rectificatif et ceci, quels que soient les intérêts que ce lecteur prétend représenter. »

F. Le 7 juillet 2000, réaction de M. Stettler. « L’Hebdo » ayant selon lui imprimé des informations incorrectes, il réitère sa demande de publication d’une « correction officielle ». Il annonce que l’avocate de son mouvement est prête à entamer des actions légales et à dénoncer le cas au Conseil de la Presse. Mais il conclut en espérant « qu’une solution à l’amiable pourra être trouvée ».

G. Le 11 juillet 2000, la rédactrice en chef adjointe de « l’Hebdo », Béatrice Schaad répond : « La réponse que vous prétendez publier est tardive. Aussi, nous refusons de répondre positivement à votre requête ».

H. Suivent alors des échanges téléphoniques entre M. Stettler et Mme Schaad, puis entre avocats des deux parties. Ces démarches ne modifient en rien les points de vue.

I. Le 9 août 2000, M. Jürg Stettler adresse au Conseil suisse de la Presse une plainte contre « l’Hebdo ». Il l’accuse de s’ « être fait utiliser dans le cadre de la campagne privée de B. (…) », d’avoir tardé à répondre à une demande de rectification dans le courrier des lecteurs, avant de refuser également une « correction légale ». Le périodique aurait violé la « Déclaration des devoirs et des droits des journalistes » sous deux aspects : « publier de fausses informations et refuser de les corriger, même sous forme d’un courrier des lecteurs; considérer des informations de la part d’un individu coupable d’actes de chantage à l’encontre de l’Eglise sans prendre la peine de vérifier les faits et de contacter les représentants de cette dernière.»

K. Le traitement de la plainte est confié par la présidence à la 2ème Chambre du Conseil suisse de la Presse.

L. Dans sa prise de position du 25 septembre 2000, La rédactrice en chef de « l’Hebdo » conteste toutes les affirmations de l’Eglise de scientologie. Premièrement, deux procédures judiciaires seraient bien en cours entre B. et l’Eglise de scientologie. D’abord une plainte pénale pour diffamation de B. à l’encontre d’un membre connu de la scientologie romande (plainte du 18 mai 2000). Puis, concernant l’argent réclamé par B., « l’Hebdo » précise que l’Ordonnance de classement de la plainte pénale « a expressément réservé les droits civils de B., lequel a poursuivi son action sur le plan civil ». « L’Hebdo » mentionne des commandements de payer des époux B. du 30 septembre 1999, « constituant les premiers actes de procédure nécessaires au recouvrement de leurs créance ».Et le 28 août 2000, une demande en paiement de fr. 332’958,- a été déposée par les époux B. auprès d’un tribunal genevois. « L’Hebdo » conteste deuxièmement que les 125.000 francs auraient mis un terme au litige. Il soutient que le terme d’acompte utilisé dans l’article incriminé était approprié, tout comme le terme de versement spontané, qui ne signifierait pas autre chose que « sans nécessité ou obligation légale ». Enfin, « l’Hebdo » conteste avoir pris du retard pour répondre à la requête présentée par l’Eglise de scientologie, faisant valoir notamment que le fax du 15 juin 2000 ne lui était parvenu que le 27 du même mois. Et la rédactrice en chef de conclure : « Nous avons (…) l’impression que l’Eglise de Scientologie a tenté et essaie encore, par tous les moyens, d’obtenir la publication d’un texte qu’elle sait elle-même faux. »

M. Dans sa réponse du 25 octobre 2000, M. Stettler fait valoir que la plainte pour diffamation – qu’il ignorait – n’a rien à voir avec des dommages et intérêts. Il s’étonne que « l’Hebdo » puisse titrer argument de la plainte civile du 28 août 2000, donc postérieure à l’article. Il précise qu’un commandement de payer, pas plus qu’une plainte, n’est un procès. Pour lui, c’est à tort que « l’Hebdo » accuse la justice de lenteur quant au cas de B. M. Stettler réitère que l’Eglise avait fait clairement savoir à B. que le versement de 125’000.- mettait un terme à l’affaire. Quant au fax daté du 15 juin 2000, M. Stettler admet qu’il a pu être réexpédié le 27 du même mois. Mais la raison en serait que « l’Hebdo » aurait égaré le premier envoi, et non qu’il n’aurait pas été expédié le 15 juin. A preuve, M. Stettler mentionne des menaces écrites de B. peu après le 15 juin. « L’Hebdo », conclut-il, « essaie simplement d’empêcher tout dialogue et, au moyen de déclarations fausses, de refuser de porter la moindre responsabilité ».

N. Dans une réplique du 17 novembre 2000, la rédactrice en chef de « l’Hebdo » réaffirme notamment que « jamais ‘l’Hebdo’ n’a reçu de fax le 15 juin », mais bien le 27 du même mois.

O. La plainte de l’Eglise de Scientologie a été examinée par la 2e Chambre du Conseil suisse de la Presse lors de ses séances du 10 novembre et du 15 décembre 2000, ainsi que du 2 février 2001. La Chambre est composée de Mme
Sylvie Arsever et de MM. Dominique Bugnon, Dominique von Burg, Daniel Cornu (président), Jean-Pierre Graber et Ueli Leuenberger (représentants du public).

II. Considérants

1. La plainte concerne trois articles de la « Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste » ; les chiffes 1 (recherche de la vérité) et 3 (information complète) ainsi que 5 (rectifier toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte). Par ailleurs, le plaignant accuse « l’Hebdo » d’avoir refusé sa demande de droit de réponse.

2. En ce qui concerne la demande de droit de réponse (« correction légale », dans les termes du plaignant) le Conseil suisse de la Presse ne peut entrer en matière. Cette procédure concerne le Code civil, et non la Déclaration des devoirs et des droits. Ce n’est d’ailleurs que dans le cadre d’une demande de droit de réponse que la question de la date d’une telle demande serait déterminante.

3. « L’Hebdo » a-t-il failli à son devoir de rechercher la vérité ? Certes, l’enquête portait sur les rapports entre les citoyens et la justice, et non sur le différend opposant B. et l’Eglise de Scientologie. Il n’en demeure pas moins que cette dernière était touchée, et qu’elle aurait dû être entendue dans le cours de l’enquête journalistique préalable.

4. « L’Hebdo » n’ayant pas entendu les scientologues, devait-il dès lors publier la rectification demandée ? Oui, dans la mesure où les informations contenues dans l’article auraient été fausses voire controversées. Qu’en est-il à l’examen ? Dire que B. est « en procès » avec l’Eglise de Scientologie peut prêter à confusion mais n’est pas inexact, compte tenu de la demande de remboursement par commandement de payer, ainsi que de la plainte en diffamation en cours. Par ailleurs le terme « en procès », dans une enquête consacrée aux lenteurs de la justice, est de toute évidence à comprendre au sens large. Concernant le remboursement de 125.000 francs, « l’Hebdo » précise bien que ce versement fut spontané. De plus, le fait que le tribunal pénal ait réservé les droits de B. sur le plan civil indique bien que ce versement ne mettait pas forcément fin à l’affaire. En revanche, le terme « à titre d’acompte » est pour le moins malheureux. Il implique en effet que l’Eglise de Scientologie s’attendait à devoir verser davantage ultérieurement, ce que cette dernière dénie. Que B. ait pu considérer cette somme comme un acompte n’y change rien. Sur ce point donc, « l’Hebdo » aurait dû préciser la position de l’Eglise de Scientologie. Et à défaut de l’avoir fait dans l’article, elle devait donner cette précision ultérieurement.

III. Conclusions

1. Sauf erreur matérielle dans l’exposé de faits, rien n’oblige un média à publier une rectification, fût-ce sous forme de courrier des lecteurs. Est réservée la procédure civile du droit de réponse.

2. Si toutefois le média néglige certains aspects d’une enquête, par exemple en omettant d’entendre une personne physique ou morale directement mise en cause, il est tenu de donner à cette personne la possibilité de faire connaître son point de vue. En refusant, après publication, la moindre précision quant à la nature du versement de l’Eglise de Scientologie, « l’Hebdo » n’a pas respecté le principe général d’équité.