Nr. 46/2008
Audition lors de reproches graves / Présomption d’innocence / Discrimination / Protection des victimes

(X. c. «Tribune de Genève») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 21 novembre 2008

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I. En fait

A. Le 25 janvier 2008, la «Tribune de Genève» a publié un article de Fedele Mendicino intitulé «Deux fillettes genevoises excisées: enquête relancée». Le journal relate que le procureur général genevois est en train de relancer l’enquête dans «l’affaire des fillettes genevoises excisées en Malaisie», à cause «de l’existence d’un nouveau certificat médical et d’autres investigations que la justice s’apprête de mener en Asie. (…) Rappel des faits: enlevées par leur père, un Suisse converti à l’Islam, alors qu’elles avaient 2 et 3 ans, les fillettes ont été confiées à des familles d’accueil intégristes en Malaisie. Malgré son procès, en 1996, et sa condamnation à cinq ans de réclusion pour séquestration et enlèvement, ce père n’a jamais voulu dire où se trouvaient les enfants. Ni à leur mère, ni aux juges: ‹Si je le dis, je perds le contrôle de leur éducation. A ma sortie de prison, je pourrai reprendre mon rôle de père musulman.› Dix ans plus tard (…) les adolescentes ont été retrouvées. Elles ont aujourd’hui 15 et 16 ans. Peu après leur retour à Genève en 2003, la mère a découvert que ses filles avaient été excisées en Malaisie (…) En 2005, leur père, qui prétend n’avoir jamais été mis au courant des mutilations, a donc été inculpé une nouvelle fois. (…) Deux rapports confirmeront les excisions, complète chez l’aînée et partielle chez la cadette.»

B. Le 11 février 2008, X., le père des deux fillettes, a déposé plainte auprès du Conseil de la presse à l’encontre de la «Tribune de Genève». Selon le plaignant, la phrase «En 2005, leur père, qui prétend n’avoir jamais été mis au courant des mutilations» viole le principe d’équité consistant à entendre les deux parties dans un conflit (directive 3.8 relative à la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste»). De même, selon lui, «l’utilisation du verbe «prétendre» dans la phrase citée réalise une atteinte au principe de la présomption d’innocence (directive 7.5)». En outre, ajoute-t-il, le journaliste «cite ma religion pour la stigmatiser comme la cause de tous les aspects méprisables reprochés y compris l’excision (Directive 8.2). Il y a là une volonté très claire d’aggraver les préjugés contre l’Islam, les musulmans et sa minorité en Suisse.»

C. Selon l’art. 12 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes sur lesquelles le Conseil n’entre pas en matière.

D. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée d’Esther Diener-Morscher (vice-présidente) et Edy Salmina (vice-président), a traité la présente prise de position le 21 novembre 2008 par voie de correspondance. Dominique von Burg (président du Conseil et rédacteur de la «Tribune de Genève») s’est récusé.

II. Considérants

1. Selon l’art. 10 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse de la presse, le Conseil n’entre pas en matière sur une plainte si celle-ci est manifestement infondée.

2. Il était dans l’intérêt public que la «Tribune de Genève» revienne sur cette affaire. Les faits ne sont pas présentés d’une manière sensationnelle ni polémique. De même, l’article donne le point de vue de X. Selon la directive 3.8 (audition lors de reproches graves), l’auteur du compte rendu n’était pas obligé de donner au plaignant la même place, en terme quantitatif, qu’à la critique le concernant. Les lecteurs sont informés qu’il «conteste en partie les mutilations infligées aux victimes» et qu’il «prétend n’avoir jamais été mis au courant des mutilations». L’utilisation du verbe «prétendre» indique qu’il s’agit d’une affirmation du plaignant. 3. Selon la pratique constante du Conseil suisse de la presse relative à la directive 7.5 (voir les prises de position 31/2007, 64/2006, 60 et 61/2003), la présomption d’innocence est respectée lorsqu’il ressort d’un compte rendu que la procédure judiciaire est encore en cours et qu’une éventuelle condamnation n’a pas encore été prononcée ou qu’elle n’est pas encore entrée en force. Dans le cas d’espèce, cette exigence est manifestement remplie. Du titre de l’article («… enquête relancée»), les lecteurs peuvent déjà déduire que la «Tribune de Genève» ne relate pas un jugement (en force), mais seulement la relance d’une enquête pénale.

4. Concernant les griefs d’une violation de la directive 8.2 (interdiction des discriminations) le Conseil suisse de la presse constate que l’article mis en cause ne contient aucune généralisation qui pourrait discriminer l’islam et les musulmans.

III. Conclusion

Le Conseil suisse de la presse n’entre pas en matière.