Nr. 10/2008
Audition lors de reproches graves / Indication des sources

(Swissmetal c. «Journal du Jura»/«Le Quotidien Jurassien») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 27 février 2008

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Zusammenfassung

Resumé

Riassunto

I. En fait

A. Le 3 octobre 2007, «Le Journal du Jura» a publié un article sur le conflit social dit de «la Boillat», nom par lequel on désigne l’usine appartenant au groupe Swissmetal et sise à Reconvilier. L’article, signé par Philippe Oudot, est titré «Hellweg aurait la corde au cou», puis sous-titré: «Contrairement aux propos lénifiants que distille Swissmetal, le groupe serait au bord du gouffre, à sec sur le plan financier. Et à Reconvilier, l’ambiance serait à ce point exécrable qu’une partie du personnel serait prête à se remettre en grève.»

L’article reprend les termes d’une conférence de presse tenue la veille par «Solidarité Boillat». Cette association dont sont membres d’anciens employés et cadres de la Boillat, des notables et des citoyens de la région de Reconvilier fait à cette occasion le point sur la situation du groupe. Citant Solidarité Boillat, l’article révèle que «Swissmetal serait au bord du gouffre» et «que la banque qui lui accorde ses lignes de crédit aurait exigé la mise en nantissement de ses stocks». S’agissant de la situation du site de Reconvilier, l’article, reprenant encore les termes du communiqué de «Solidarité Boillat», explique: «sous la houlette de cadres incompétents venus de l’extérieur et qui ne connaissent rien à ce qui faisait la spécificité de la Boillat, la production a fondu de moitié». L’article dénonce enfin l’attitude de Martin Hellweg (PDG de Swissmetal), dont les déclarations à propos de la marche de l’entreprise sont qualifiées de «cynique et mensongères», selon les termes, là encore, de «Solidarité Boillat».

B. Le 6 octobre 2007, sous la plume du même auteur, paraît dans le même journal, un éditorial intitulé «Swissmetal: plus dure sera la chute». Dans ce texte, l’auteur se livre à une analyse de la situation de l’entreprise. Malgré un cours en Bourse en hausse régulière, Swissmetal, écrit-il, «est en train de s’effondrer». Le texte reprend ensuite des éléments qui figuraient dans le premier article, soit que la banque créancière du groupe «l’a contraint à mettre en gage ses stocks en guise de garantie», que Swissmetal «s’apprête à fermer la fonderie et les presses du site de Reconvilier, sans doute avant la fin de l’année». Enfin, l’auteur de cet éditorial Philippe Oudot ironise sur deux des projets récemment présentés par le PDG du groupe, Martin Hellweg.

C. Le 20 octobre 2007, sous le titre «Les choix stratégiques de Swissmetal relèvent de la pure incompétence», le «Quotidien Jurassien» publie un article signé des initiales DO qui reprend pour l’essentiel les termes d’un communiqué de l’association «Nouvelle Boillat». Après le sous-titre «L’Association Nouvelle Boillat remonte au créneau avant une vague de licenciements», le texte met en cause les choix industriels du groupe Swissmetal et de son PDG Martin Hellweg. L’article dénonce en particulier la fermeture de la presse de Reconvilier et le choix d’un nouveau site (Dornach) pour l’installer. Celui-ci, explique l’auteur, ne serait pas adapté à la fabrication de produits qui ont fait la gloire de l’entreprise et sa productivité n’atteindrait pas celle de la fonderie de Reconvilier, contrairement à ce qu’affirme le PDG Martin Hellweg, dont le communiqué cité dans l’article dénonce «l’incompétence et la mauvaise foi». En conclusion, le «Quotidien Jurassien» cite largement le communiqué de l’ANB «C’est à cause de son incompétence et de cette paranoïa aveugle des autocrates que le CEO conduit vers les récifs le radeau Swissmetal».

D. Le 30 octobre 2007, la société Swissmetal saisit le Conseil suisse de la presse de deux plaintes qui visent les deux journaux susmentionnés.

Au «Journal du Jura», elle reproche d’avoir violé la directive 3.8 (audition en cas de reproches graves) qui fait obligation aux journalistes d’entendre avant publication «une personne faisant l’objet de reproches graves et de reproduire brièvement et loyalement sa position dans le même article ou la même émission». A ses yeux, l’article du 3 octobre 2007 rapporte ou contient des accusations particulièrement graves comme celle selon laquelle «l’entreprise serait au bord du gouffre» ou «à sec sur le plan financier» ou encore que son directeur Martin Hellweg donne des «informations mensongères» sur sa situation réelle.

Pour le plaignant qui rappelle que Swissmetal est une société cotée en Bourse, les accusations contenues dans l’éditorial du 6 octobre 2007, qui parle d’une société «en train de s’effondrer», «vraiment à l’agonie» sont, elles aussi, particulièrement graves et auraient dû amener le journal à donner le point de vue de la direction de Swissmetal. Or, constate cette dernière, elle n’en a jamais eu l’occasion, dans les articles en cause ou ultérieurement.

La plainte contre le «Quotidien Jurassien» reprend l’essentiel des arguments ci-dessus s’agissant de la gravité des accusations rapportées et du fait que le journal n’a pas jugé bon de donner la parole à la direction de Swissmetal. Le plaignant y ajoute le non respect de la directive 3.1 (traitement des sources) qui indique que «(…) la diligence journalistique consiste à s’assurer de l’origine d’une information et de son authenticité. La mention de la source est en principe souhaitable dans l’intérêt du public». Dans l’article, explique le plaignant, tout est fait pour que le lecteur soit trompé sur l’origine de l’information grâce à un mélange entre d’une part les passages cités entre guillemets repris du communiqué de l’ANB et d’autres parts, des parties du même communiqué que le journal reprend à son compte.

E. Le 28 novembre 2007, «Le Quotidien Jurassien» rejette les accusations de Swissmetal. La source de l’information, explique son rédacteur en chef Pierre-André Chapatte, est explicitée dès les premières lignes. Par ailleurs, cette source – en l’occurrence l’Association Nouvelle Boillat – est rappelée à plusieurs reprises dans l’article, ce qui ne laisse donc planer aucun doute sur son identité. Pour Pierre-André Chapatte, cet article est une péripétie de plus dans un dossier où toutes les parties ont eu largement la parole. L’article en cause, explique le rédacteur en chef, n’est précisément qu’une péripétie qui ne justifiait pas l’impératif de solliciter le point de vue de Swissmetal.

F. Dans une réponse circonstanciée du 30 novembre 2007, le «Journal du Jura» rejette, lui aussi, les accusations de Swissmetal. Son rédacteur en chef, Beat Grossenbacher, explique d’abord que le conflit de la Boillat a fait l’objet d’innombrables articles dans son quotidien où toutes les parties en cause ont eu l’occasion de donner leur point de vue. Au terme d’un long développement où les arguments de l’article sont justifiés, «il n’y avait rien de nouveau qui justifiait de donner la parole aux responsables de Swissmetal». Les arguments et la conclusion du rédacteur en chef sont les mêmes s’agissant de l’éditorial.

G. Les plaintes ont été transmises à la 2ème Chambre du Conseil de la presse, qui est composée de Dominique von Burg (président), Nadia Braendle, Michel Bührer, Pascal Fleury, Charles Ridoré, Anne Seydoux et Michel Zendali.

H. La 2ème Chambre a traité les plaintes lors de ses séances du 1er et 27 février 2008 et par voie de corresponance. Elle a décidé de joindre les deux plaintes dans une seule et même prise de position en raison d’un contexte semblable et de reproches similaires pour l’essentiel.

II. Considérants

1. La présente prise de position traite d’abord de la plainte contre le «Journal du Jura» puis celle contres le «Quotidien Jurassien».

2. a) La première question qu’il s’agit de t
rancher est celle de savoir si l’article et l’éditorial du «Journal du Jura» contiennent des accusations graves comme le prétend le plaignant. On peut sans conteste répondre par l’affirmative. Le titre d’abord, «Hellweg aurait la corde au cou» même rédigé au conditionnel, donne le ton. La suite est à l’avenant lorsque le journaliste reproduit les appréciations de Solidarité Boillat sans beaucoup distance, «Swissmetal est au bord du gouffre», «la banque qui lui accorde ses lignes de crédit aurait exigé la mise en nantissement de ses stocks», «l’ambiance de travail est si déplorable qu’une partie du personnel serait prêt à se remettre en grève», etc.

b) Le plaignant insiste sur la gravité des accusations portées contre lui sachant que la société Swissmetal est cotée en Bourse. Pour le Conseil suisse de la presse, cette circonstance n’est pas décisive pour elle-même. Car c’est bien la nature des accusations qui est grave lorsque l’article décrit une société se livrant à des acrobaties comptables et pratiquant le mensonge systématique pour les dissimuler. Le rédacteur en chef du «Journal du Jura» objecte que les griefs rapportés n’étaient pas à proprement parler nouveaux et qu’ils ont été adressés aux dirigeants de Swissmetal depuis deux ans. Cette affirmation ne ressort néanmoins pas des documents fournies au Conseil de la presse par le «Journal du Jura». Le fait, incontesté, d’avoir consacré un grand nombre d’articles qui donnent la parole à l’accusé Swissmetal ne dispensait pas le journal de le solliciter encore ou à tout le moins de rappeler la position de Swissmetal.

c) Pour ce qui est de l’éditorial du «Journal du Jura», on peut là encore et sans beaucoup hésiter, répondre que les accusations qu’il contient sont graves. Pour l’essentiel, son auteur reprend d’ailleurs à son compte les griefs de «Solidarité Boillat» qui font l’objet de l’article susmentionné. Certes on a ici affaire à un commentaire qui offre à son auteur une plus grande l’attitude de ton. Néanmoins, dans sa prise de position 10/2000 le Conseil suisse de la presse a relevé, «quand un journal publie des accusations graves (…), il faut donner l’occasion à ce dernier de présenter son point de vue avant publication. Ceci vaut également pour des information publiées dans une rubrique satirique. Libre au rédactions de décider dans quelle rubrique elles entendent publier une information, mais elles doivent, dans tous les cas, respecter les règles professionnelles.» Ce qui est vrai pour une rubrique satirique l’est a fortiori pour un éditorial. Rien donc ne dispensait le «Journal du Jura» de donner la parole à l’accusé Swissmetal dans un autre article ou un encadré, par exemple.

3. S’agissant de l’article du «Quotidien Jurassien» les reproches – «Les choix stratégiques de Swissmetal relèvent de la pure incompétence» – sont de nouveau grave. Mais la mention très explicite de la source, devenue au fil des mois une vraie partie au conflit, permet au lecteur de situer clairement l’origine de l’accusation. Par ailleurs, l’article, qui reprend les termes du communiqué de l’Association Nouvelle Boillat, ne contient à proprement parler aucun reproche qui dépasse – dans la forme et sur le fond – ceux exprimés jusque là par les parties au conflit. On se trouve ici devant un des nombreux articles (plus de 400 aux dires du rédacteur en chef) que le journal a consacré au conflit et qui n’en constitue qu’une péripétie. Et – ce qui est décisif sous l’aspect de l’audition lors des reproches graves – l’auteur a au moins rappelé la position de Swissmetal sur deux reproches importants.

4. Dès son sous-titre «L’Association Nouvelle Boillat remonte au créneau avant une vague de licenciements», le texte permet d’identifier clairement la source de l’information dont l’identité est répétée à plusieurs reprises dans l’article et dont les griefs sont le plus souvent cités entre guillemets. On peut donc ici écarter la violation de directive 3.1 qui fait obligation au journaliste de «s’assurer de l’origine d’une information et de son authenticité» et que la «mention de sa source est en principe souhaitable dans l’intérêt du public». Ces deux conditions sont ici pleinement remplies et le lecteur n’est en aucune manière trompé.

III. Conclusions

1. La plainte contre le «Journal du Jura» est admise.

2. En publiant l’article du 3 octobre 2007 («Hellweg aurait la corde au cou») et l’éditorial du 6 octobre 2007 («Swissmetal: plus dure sera la chute») sans donner la parole à Swissmetal ou au moins rappeler sa position, le «Journal du Jura» a violé le chiffre 3 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste (audition en cas de reproches graves).

3. La plainte contre «Le Quotidien Jurassien» est rejetée.

4. L’article du 20 octobre 2007 («Les choix stratégiques de Swissmetal relèvent de la pure incompétence») n’a pas violé le chiffre 3 de la «Déclaration» (audition lors de reproches graves; indication des sources). Les faits rapportés ne sont pas nouveaux, le journal a reproduit le point de vue de Swissmetal et il a indiqué clairement et à plusieurs reprises la source de son information.

5. Dans le cadre d’une affaire qui se déroule sur une longue série d’articles, le principe de l’audition en cas de reproches graves ne commande pas forcément de redonner chaque fois la parole à des parties mises en cause pour autant que leur point de vue soit rappelé.

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