Nr. 49/2017
Recherche de la vérité / Accusations anonymes gratuites

(X. c. Radio Télévision Suisse)

Drucken

I. En fait

A. Le 24 juillet 2017, la RTS diffuse dans son «Téléjournal» un sujet consacré au projet «Defend Europe», qui se donne pour but de lutter contre l’immigration illégale des migrants venus de la côte libyenne. Un projet, annonce la journaliste présentatrice, «qui choque la communauté internationale». Dans le sujet qui suit, la RTS donne notamment la parole à un spécialiste de l’extrême droite identitaire, puis rappelle que le «SonntagsBlick» a révélé le rôle clé du Genevois Jean-David Cattin dans le projet. La RTS qualifie ce dernier d’«un des leaders du mouvement ‹Les Identitaires›, un groupe au discours haineux». Suit un extrait d’un discours de M. Cattin, parlant des méfaits du «racisme anti-blancs». Et le sujet se termine par cette phrase: «Une chose est sûre: même si leur bateau arrive jusqu’aux côtes libyennes, cette action n’aura pas la moindre influence sur la problématique de la migration.»

B. Le 26 septembre, X. saisit le Conseil suisse de la presse. Pour le plaignant, la RTS n’étaye aucunement que la communauté internationale serait choquée, «alors que ce projet n’avait pour tout autre but que de dénoncer un trafic d’êtres humains organisé par des passeurs au péril de la vie des migrants, lequel fut rendu possible grâce à l’action de plusieurs ONG». Par ailleurs, la RTS «n’a pas été en mesure de produire quelque discours haineux que ce soit dans son reportage». Les propos de Cattin cités, «sur le racisme anti-blanc, les viols et la violence … n’étaient pas dirigés contre l’ensemble des étrangers mais bel et bien comme une fraction d’étrangers qui commettent des abus». Le plaignant fait ensuite valoir qu’«une frange conséquente de la population européenne ne souhaite pas recevoir davantage de populations humaines dont les comportements, les us et les coutumes sont incompatibles avec notre façon de vivre». A preuve, il cite les récents succès électoraux de l’AfD en Allemagne. Pour le plaignant, le décalage entre ces faits et les propos de la RTS représente une violation «des devoirs d’objectivité et de recul» des journalistes. Enfin, le plaignant conteste la déclaration de la RTS selon laquelle l’action de «Defend Europe» n’aurait eu aucun effet. «Le Bateau C-Star (…) a pu achever sa mission. Grâce à son action, le mouvement identitaire est parvenu à augmenter la pression sur l’Etat italien lequel a obligé les autorités libyennes à prendre les mesures qui s’imposaient.» L’action aurait également fait pression sur les ONG qui auraient perdu de généreux donateurs.

Pour le plaignant, outre le chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration»), qui postule de rechercher la vérité, la RTS aurait également violé le chiffre 7 (s’interdire les accusations anonymes et gratuites). Le plaignant stigmatise enfin la référence à l’article du «SonntagsBlick», qui aurait martelé «de grossières contre-vérités relatives à un supposé embarquement à bord de plusieurs mercenaires ukrainiens ainsi que de diverses armes».

C. Le 24 novembre 2017, sous la plume de Bernard Rappaz, rédacteur en chef de l’actualité, et du service juridique, la RTS prend position. Concernant la violation alléguée qui touche à l’introduction du sujet, la RTS fait valoir «qu’en raison du format limité du téléjournal et en particulier le temps réduit disponible pour effectuer le lancement du sujet, il n’est pas possible de donner la source pour chaque fait énuméré à l’antenne». Pour étayer le fait que «ce projet choque la communauté internationale», la RTS cite notamment l’écho médiatique qu’il a suscité, ainsi que des réactions contre sa campagne de financement. La RTS reconnaît ne pas avoir détaillé le but du projet dans ce sujet, mais il l’a fait dans d’autres sujets qui lui ont été consacrés. Le thème du sujet dont il est question était «celui d’un Suisse impliqué dans l’organisation de la mission». Pouvait-on décrire le plaignant comme un leader d’un mouvement «au discours haineux»? La RTS le justifie en citant des extraits du site de «Génération Identitaire». Par exemple: «Nous avons cessé de croire que Kader pouvait être notre frère. (…) Ne vous méprenez pas: Ce texte n’est pas un simple manifeste, c’est une déclaration de guerre.» Et de préciser que cinq membres du mouvement «Génération Identitaire» font l’objet d’un procès en France pour «provocation à la haine raciale ou religieuse et dégradation de biens appartenant à autrui» en raison de faits remontants à 2012. Quant au troisième reproche du plaignant, la RTS fait valoir que le journaliste n’affirmait pas que l’action «Defend Europe» ne servait à rien, mais «que c’est une action dérisoire face aux flux migratoires et à la complexité de la situation dont découlent ces flux».

D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.

E. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Francesca Snider (vice-présidente) et de Max Trossmann (vice-président), a traité la présente prise de position le 27 décembre 2017 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. a) L’opération «Defend Europe» a suscité une couverture médiatique importante. Dans une telle situation, il était évident qu’une information brève, comme celle d’un sujet de téléjournal, ne pouvait à chaque fois rappeler tous les tenants et les aboutissants de l’affaire. En l’occurrence, la RTS a consacré plusieurs sujets à l’affaire, et elle était parfaitement légitimée à «angler» ses sujets, par exemple en mettant en exergue le rôle joué par un Suisse dans cette opération. Les passages contestés du «SonntagsBlick» n’ont pas été repris dans le sujet. Quant à l’affirmation que «Defend Europe» avait choqué la communauté internationale, elle était largement fondée, ne serait-ce que par le ton de la couverture médiatique nationale et internationale. Le chiffre 1 de la «Déclaration» n’est pas violé sur ce premier aspect de la plainte.

b) En ce qui concerne la seconde violation alléguée du devoir de vérité, celle qui concerne la conclusion du sujet, le Conseil de la presse estime que l’interprétation que la RTS donne de la phrase de conclusion est tout à fait plausible. En utilisant le terme «problématique de la migration», le journaliste faisait d’évidence allusion à la situation dans son ensemble. Là encore, le chiffre 1 de la «Déclaration» n’est pas violé.

2. Qu’en est-il du terme de «discours haineux» utilisé pour qualifier celui de «Génération Identitaire»? Pour le Conseil de la presse, les éléments avancés par la RTS pour le justifier sont convaincants. Quant au téléspectateur du «Téléjournal» du 24 juillet 2017, sur la base de l’extrait du discours du plaignant cité dans le sujet, où ce dernier stigmatisait les crimes du «racisme anti-blancs», il était parfaitement en mesure de comprendre l’utilisation de ce terme. Le fait qu’une partie du public ne partage pas cette appréciation, comme le fait valoir le plaignant, n’y change rien. On ne saurait reprocher à la RTS d’avoir recouru à une «accusation anonyme et gratuite». Le chiffre 7 de la «Déclaration» n’est pas violé.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En diffusant un sujet consacré au projet «Defend Europe» et au rôle qu’y a joué un ressortissant suisse, le «Téléjournal» de la RTS n’a pas violé les chiffres 1 (vérité) et 7 (accusations anonymes et gratuites) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».