I. En fait
A. Dans son édition du 26 janvier 2002, «Le Nouvelliste» publie un article signé de Pascal Guex et consacré à la section UDC de Martigny et Entremont. L’article fait état d’un courrier électronique adressé à plusieurs journaux ou correspondants travaillant en Valais, dans lequel un auteur anonyme accuse le président de cette section (M. Michel Schmidt) et un membre de son comité de faire partie «d’un des plus grands mouvements nazis de Suisse», en l’occurrence «Blood et Honour», connu, est-il écrit, «pour ses actes terroristes et sa politique violente». Dans ce même article, l’une des personnes mise en cause, M. Michel Schmidt conteste cette affiliation avec véhémence.
B. Deux jours plus tard, soit le 28 janvier 2002, «Le Nouvelliste» publie une réaction de l’UDC-Valais signée de son président, M. Oskar Freysinger. Il s’agit d’un communiqué dudit parti, précédé d’une mise au point de la rédaction. Le communiqué annonce le dépôt d’une plainte pénale contre inconnu pour calomnie et critique la manière dont «Le Nouvelliste» a rendu compte de l’affaire, notamment dans sa «Une». Dans la mise au point (non-signée) qui précède, la rédaction du quotidien justifie son choix en invoquant la «transparence démocratique».
C. Le 25 février 2002, agissant pour le compte de l’UDC-Valais, Me Yves Donzallaz dépose plainte auprès du Conseil suisse de la presse. Il invoque le chiffre 3 de la «Déclaration des devoirs et des droits» qui fait obligation aux journalistes de «ne publier que les informations, les documents, les images et les sons dont l’origine est connue de lui/elle».
D. Le 8 mars 2002, M. François Dayer, rédacteur en chef du «Nouvelliste», fait parvenir sa réplique. Il affirme que les règles déontologiques ne s’appliquent pas au cas particulier. Il conteste le caractère anonyme et personnel de l’accusation portée contre des membres de l’UDC ; il soutient qu’il s’agit d’une «accusation publique» d’accointances de ce parti avec «une organisation douteuse sur le plan des mœurs démocratiques». Pour le surplus, M. Dayer renvoie à son argumentaire envoyé au conseil de l’UDC, Me Yves Donzallaz. On en retiendra les seuls éléments de nature à éclairer la cause. M. Dayer conteste d’abord le caractère anonyme de l’accusation. Il se défend en expliquant que l’information publiée par son journal contenait également son démenti. Enfin, il explique qu’un homme public ne peut pas se prévaloir d’une protection particulière, en particulier de l’anonymat des accusations contre lui, dès qu’il «s’agit de politique».
E. L’examen de la plainte est confié à la 2ème Chambre, qui l’examine lors de sa séance du 26 avril 2002. La Chambre se compose de Mmes Sylvie Arsever et Nadia Braendle, de MM. Daniel Cornu (président), Dominique von Burg, Jean-Pierre Graber, Ueli Leuenberger et Michel Zendali.
II. Considérants
1. Le Conseil suisse de la presse dispose d’une certaine marge d’appréciation lorsqu’il s’agit de traiter d’une plainte qui fait, par ailleurs, l’objet d’une action en justice (art. 15 alinéa 3 de son règlement), ce qui est le cas de l’affaire soulevée par l’UDC Valais. En l’espèce, il considère que ce cas soulève une question de déontologie professionnelle assez importante pour qu’il s’en saisisse, à savoir l’usage d’accusations anonymes relevant à la fois du chiffre 3 («Ne publier que les informations dont l’origine est connue») et du chiffre 7 («s’interdire les accusations anonymes ou gratuites») de la «Déclaration des devoirs et des droits».
2. Dans sa prise de position 36/2000 sur le journalisme sur l’internet, le Conseil de la presse considère de manière générale que les normes journalistiques énoncées par la «Déclaration des devoirs et des droits» s’appliquent quels que soient les supports d’information. Cette référence normative s’applique aussi bien aux sources des informations qu’à leur mode de diffusion. L’obligation faite aux journalistes de «ne publier que les informations (…) dont l’origine est connue» d’eux concerne donc également les informations diffusées par l’internet, ainsi que par d’autres canaux électroniques. Il n’existe aucune raison de considérer le «courrier électronique» autrement que le courrier ordinaire.
3. A la réception d’un courrier anonyme, deux attitudes sont possibles. On peut soit renoncer à traiter de ce type d’informations, en raison précisément de son caractère anonyme, soit opérer à son sujet les vérifications adéquates. En l’occurrence, celles-ci auraient dû consister d’abord à s’enquérir auprès de l’organisation «Blood et Honour» de l’affiliation effective de M. Schmidt. Dans l’hypothèse où cette affiliation eût été attestée, il aurait convenu de donner à l’intéressé l’occasion de s’en expliquer. Selon une autre voie, la vérification aurait pu consister à déterminer l’origine de l’information, comme le prescrit le chiffre 3 de la «Déclaration». Dans l’hypothèse où la source aurait été identifiée, l’auteur de l’article aurait alors pu lui demander les preuves de son accusation et juger si elle méritait la protection de l’anonymat. M. Pascal Guex n’ayant accompli ni l’une ni l’autre de ces démarches, il aurait dû renoncer à publier l’information.
4. M. Guex a donc choisi de faire état de cette information en indiquant clairement son caractère anonyme. Il manifeste ainsi qu’il ne connaît pas celui ou celle qui l’a diffusée. La dénégation apportée par l’une des personnes mises en cause ne peut servir à justifier la publication. A cette aune, les journaux seraient quotidiennement remplis de rumeurs non vérifiées et évidemment niées par les personnes qui en seraient l’objet.
5. M. François Dayer croit pouvoir justifier la publication de ce type d’informations anonymes quand elles sont de nature politique. On ne peut le suivre sur ce terrain. Aux hommes et femmes politiques s’appliquent les mêmes règles qu’à des citoyens ordinaires: ne sont dignes de publication que les informations vérifiées et fondées sur des sources connues de l’auteur d’un article.
6. Le Conseil suisse de la presse a déjà traité de cas d’accusations anonymes (prise de position 29/2000). A cette occasion, il précise que l’anonymat des sources n’est tolérable que s’il peut être démontré qu’il est nécessaire pour protéger les porteurs de ces informations d’éventuelles mesures de rétorsion et qu’il existe un intérêt public à la diffusion de l’information. Ces deux conditions sont cumulatives. En l’espèce, l’intérêt public à connaître les liens supposés d’une personnalité publique avec un groupe extrémiste peut être certes invoqué. Il ne constitue cependant pas une condition suffisante en regard du caractère anonyme de la dénonciation et de l’absence de toute vérification de ses fondements.
III. Conclusions
1. La plainte est admise.
2. La presse doit s’interdire la publication d’accusations anonymes dont l’auteur de l’article ne connaît ni l’origine ni les motifs, et dont il n’a pas pris la peine de vérifier le bien-fondé.
3. Donner dans ces conditions la possibilité de s’exprimer à celui qui est l’objet de telles accusations ne saurait suffire à justifier la publication d’informations à leur sujet.