Nr. 55/2003
Compte rendu unilatéral / Rectification

(X. c. «Tribune de Genève») Prise de Position du Conseil suisse de la presse du 30 octobre 2003

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I. En fait

A. Du 25 janvier au 2 février 2003, la «Tribune de Genève» a publié plusieurs articles sur les manifestations qui ont eu lieu pendant et après le Forum économique mondial de Davos (24 / 25 janvier 2003). Plusieurs journalistes ont traité les événements, à savoir la manifestation du 25 janvier à Davos, la manifestation du même jour à Berne, et un incident qui a eu lieu ultérieurement à la gare de Genève entre des manifestants et des douaniers français.

B. Le 10 février 2003, trois personnes portent plainte auprès du Conseil suisse de la presse contre la Tribune de Genève. X. qui agit au nom des plaignants dénonce la «déformation des faits» et le «parti pris» des cinq journalistes ayant rendu compte des diverses manifestations. Le porte-parole des plaignants critique également la rédaction en chef qui ne veille pas au «traitement correct de l’information lorsqu’il s’agit d’évoquer les activités des groupes altermondalistes». Pour les plaignants, il s’agit d’un «cas exemplaire de désinformation» visant à donner «une image négative des altermondialistes».

C. Le 4 mars 2003, sur demande du Conseil suisse de la presse, X. précise quels sont les chiffres de la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste» qu’il estime violés. Le chiffre 1 (recherche de la vérité), car les journalistes n’ont pas donné certaines informations, notamment sur l’importance du dispositif policier, le chiffre 2 (distinction entre information et appréciation ), la «Tribune de Genève» ayant, par exemple, parlé de mise à sac de Berne, alors que les dégâts ne concernaient que des bris de vitrines; le chiffre 3 (traitement des sources), et le chiffre 5 (devoir de rectification), la «Tribune» ayant publié une photo sans vérification et lui ayant donné une signification qu’elle n’avait pas. Le quotidien parle de manifestants anti-G8 qui «cassent du douanier français à Cornavin», alors qu’il s’agissait de manifestants anti-Davos en train de relever l’un d’entre eux qui avait reçu des gaz lacrymogènes. Le quotidien n’a publié le lendemain (1er février 2003) que des «précisions» du rédacteur en chef rétablissant les faits et non un véritable rectificatif.

D. Le 12 mai 2003, la «Tribune de Genève» fait connaître sa prise de position concernant la plainte. Elle réfute l’accusation de désinformation, «même s’il est certain que notre relation des faits autour de Davos ne correspond pas à toute la vérité (comment pourrait-il en être autrement dans les conditions de l’information quotidienne)». Les journalistes ont relaté «ce qu’ils ont vu». La rédaction en chef reconnaît cependant que la mauvaise interprétation de la photo du manifestant à terre pris pour un douanier était «une erreur grave». Elle conteste l’accusation de parti pris anti-manifestants, et souligne que, dans le cas de Davos, le quotidien a systématiquement défendu le liberté d’expression et a remis en cause la stratégie policière «une des sources importantes de violence».

E. La plainte a été transmise à la 2ème Chambre du Conseil de la Presse, composée de Sylvie Arsever, Nadia Braendle, Jean-Pierre Graber, Ueli Leuenberger et Michel Zendali. Daniel Daniel Cornu (président) et Dominique von Burg se sont récusés.

F. La 2ème Chambre a traité la plainte dans ses séances du 22 août et 30 octobre 2003.

II. Considérants

1. Les événements autour du Forum de Davos ont pris différentes tournures, à différents moments, dans des manifestations en mouvement. Impossible d’être partout. Le point de vue qu’a donné la «Tribune de Genève» n’est pas une version isolée, d’autres journaux l’ont partagé, même si certains ont développé des analyses différentes. Il ne découle de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» aucune obligation à rendre compte de manière objective et, dès lors, une relation unilatérale et partisane est admissible de la part d’ un média (cf. prise de position 9 / 97; 17 /98; 20 / 00).

2. Certaines des phrases incriminées par les plaignants («une nouvelle race de pilleurs», «terroristes de la pire espèce», («Tribune de Genève» du 27 janvier 2003) sont, en fait, des citations. Il ne s’agit donc pas d’une appréciation des journalistes mais d’un témoignage. Quant aux titres des articles («Frustrés, un millier de manifestants saccagent la ville fédérale» («Tribune de Genève» du 27 janvier 2003) le Conseil suisse de la presse note qu’ils correspondent à la tendance actuelle de «gonfler» les titres pour rendre l’article plus attrayant, une pratique à laquelle de moins en moins de rédactions résistent. Mais la «Tribune», dans le cas d’espèce, n’a pas falsifié le contenue de l’article dans le titre. Quant à des désignations comme «films d’amateur» («Tribune de Genève» du 31 janvier 2003), ils correspondent à une réalité et ne sont pas des jugements négatifs. Toutefois, le vocabulaire utilisé s’apparente parfois à de l’appréciation («Walter Angst, conseiller communal zurichois, apprécie d’être entouré de vandales», («Tribune de Genève» du 27 janvier 2003) ce qui est néanmoins conforme à la deontologie professionelle si les lecteurs sont en mesure de faire la différence entre les faits et les opinions et d’évaluer l’importance des informations contenues dans le compte rendu.

3. Plus délicate est l’affaire de la photo parue le 30 janvier 2003 portant sur des incidents qui ont eu lieu plusieurs jours avant («Des anti-G8 cassent du douanier). Le titre mentionne des anti G8, là où il faudrait écrire des anti-Davos. La personne à terre ne porte pas d’uniforme, ce n’est pas un douanier comme le croit le journaliste de la «Tribune», mais un manifestant. Et les autres manifestants loin de le tabasser, sont en train de le relever. Le journaliste a manqué de prudence en ne vérifiant pas l’origine ni le contenu du document. Sa mauvaise interprétation des faits est de nature à donner une réputation de vandales et de casseurs au mouvement altermondialiste en général.

4. Le lendemain de la diffusion de la photo, après réactions de lecteurs, le journal doit rectifier: «l’homme qui est cloué au sol est bien un manifestant et non pas l’un des trois douaniers blessés» et parle de «malentendu» («Incidents de Cornavin: les manifestants réagissent», («Tribune de Genève» du 31 janvier 2003). Le surlendemain, dans un encadré qui porte comme titre: «Précisions» («Tribune de Genève» du 1er février 2003), le rédacteur en chef exprime des regrets aux lecteurs, mais ne s’excuse pas du tort que l’erreur commise par le journaliste a pu causer aux personnes concernées, ainsi que le recommande le Conseil suisse de la presse dans sa prise de position du 29 septembre 1987 (B. c. «Blick»; «rectifications et excuses»).

III. Conclusions

1. La plainte est partiellement acceptée.

2. La plainte contre la «Tribune de Genève» est rejetée pour ce qui concerne les chiffres 1 et 2 de la «Déclaration».

3. La plainte est acceptée au titre des chiffres 3 et 5 de la «Déclaration», en ce qui concerne le traitement de la photo parue le 30 janvier 2003, accompagnée d’un intitulé et d’un commentaire inexacts. La rédaction en chef de la «Tribune» n’aurait pas dû se contenter de «précisions», mais dans un cas d’erreur aussi flagrante, procéder à une rectification explicite. De plus il aurait été souhaitable que des excuses soient exprimées à l’endroit des personnes concernées.