Nr. 51/2003
Citation des noms de prévenus

(X. c. «Le Nouvelliste») Prise de Position du Conseil suisse de la presse du 30 octobre 2003

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I. En fait

A. Le 15 février 2003, «Le Nouvelliste» publie un article faisant état de l’acte d’accusation déposé par le procureur de l’Etat du Haut-Valais dans l’affaire de Loèche-les-Bains. Tous les prévenus sont cités nommément, y compris trois protagonistes secondaires, «accusés, en tant que directeurs, de complicité ou d’assistance dans des délits de gestion déloyale».

B. Le 18 février, puis le 13 mars 2003, Me Y. s’adresse au «Nouvelliste» au nom d’un des prévenus cités, demandant des explications sur la publication des nom et prénom de son client, et invitant le journal «à bien vouloir me confirmer que vous n’indiquerez pas complètement l’identité de mon client» dans le futur. La lettre précise que son client, hôtelier, a dû quitter la station en relation avec les événements et que «ce genre de publicité lui est extrêmement dommageable.»

C. N’ayant pas obtenu de réponse, Me Y. saisit le Conseil de la presse le 11 avril 2003. Puis, dans un courrier du 1er mai 2003, il précise sa plainte. Serait enfreint le chiffre 7 de la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste». Il se réfère en particulier aux directives 7.5 (présomption d’innocence dans les comptes rendus judiciaires) et 7.6 (non publication du nom ou de tout autre élément permettant d’établir l’identité d’une personne mêlée à une affaire judiciaire) relatives à la «Déclaration». Me Y. précise que son client ne compte engager aucune autre procédure judiciaire, et qu’il cherche simplement à s’assurer que ce précédent ne se reproduira plus, «Le Nouvelliste» n’ayant pas répondu à ses requêtes.

D. Par son rédacteur en chef, François Dayer, «Le Nouvelliste» prend position le 21 mai 2003. Il précise que l’article incriminé a paru après une communication publique du Procureur «dans une affaire qui avait largement ameuté l’opinion publique depuis des mois». D’ailleurs, ajoute F. Dayer, aucun des autres prévenus ne s’en est plaint. «Lorsqu’une affaire en est au stade de l’acte d’accusation et qu’elle touche le domaine des finances publiques, on peut difficilement taire le nom des principaux acteurs», précise-t-il. Quant à la deuxième demande de Me Y., à savoir que «Le Nouvelliste» s’engage à ne plus donner l’identité de son client, François Dayer fait valoir qu’il ne peut donner pareille garantie avant d’avoir connaissance des faits incriminés. «L’affaire de Loèche-les-Bains a eu un retentissement national considérable. Le procès qui en découlera sort des normes habituelles de la chronique judiciaire», estime encore le rédacteur en chef du «Nouvelliste».

E. Le même jour, le rédacteur en chef du «Nouvelliste» s’adresse à Me Y. Il y reprend la même argumentation.

F. La plainte a été transmise à la 2ème Chambre du Conseil de la Presse, composée de Sylvie Arsever, Nadia Braendle, Daniel Cornu (président), Jean-Pierre Graber, Ueli Leuenberger, Michel Zendali et Dominique von Burg.

G. La 2ème Chambre a traité la plainte dans ses séances du 18 juin, 22 août et 30 octobre 2003.

II. Considérants

1. A de réitérées reprises, le Conseil de la presse a souligné l’importance de la protection de la personnalité dans le traitement des affaires judiciaires. La non publication des noms est la norme, que ce soit avant, pendant et après un procès, à plus forte raison lorsqu’il y a encore présomption d’innocence. Plusieurs exceptions sont prévues dans les directives et, en premier lieu, celle d’un intérêt public prépondérant. En ce qui concerne une affaire aussi retentissante que celle de Loèche-les-Bains, deux questions se posent: l’intérêt public autorisait-il la publication de l’identité de tous les prévenus, même secondaires? Et, accessoirement, l’implication de tous ces prévenus dans l’affaire n’était-elle pas de toute façon déjà de notoriété publique?

2. En ce qui concerne les acteurs principaux d’une affaire aussi importante, qui de surcroît touche les deniers publics, il ne fait aucun doute qu’il était d’intérêt public de publier les chefs d’inculpation de chacun, au vu des fonctions publiques importantes qu’ils exerçaient. En ce qui concerne les prévenus secondaires – dont l’auteur de la plainte – le «Nouvelliste» n’a pu justifier, dans son argumentation, d’un intérêt public prépondérant à la publication de leur nom. En l’occurrence, il suffisait de désigner les fonctions des prévenus ou leur rôle dans l’affaire. Ainsi, la curiosité légitime de l’environnement immédiat touché par l’affaire, commune et canton, pouvait être satisfaite. Mais en même temps, la présomption d’innocence protégeait ces prévenus au-delà (l’auteur de la plainte, à la suite de l’affaire, s’est installé dans un autre canton).

3. La publication des noms dans des communications de l’autorité judiciaire ne justifie pas à elle seule la publication des identités. Le Conseil de la presse l’avait expressément relevé dans une affaire concernant l’identité d’un grand criminel (8/84): «Même si l’autorité chargée de la poursuite pénale autorise la publication d’un nom, les journalistes sont tenus d’examiner si une telle publication est justifiée selon les critères de l’éthique professionnelle.»

4. En ce qui concerne la garantie demandée par le plaignant que la publication du nom ne se reproduise plus, on voit mal comment un journal pourrait prendre un tel engagement. Quant au Conseil de la Presse, il ne peut de toute façon pas intervenir dans ce sens, son rôle se bornant à l’appréciation des questions déontologiques professionnelles.

III. Conclusions

1. La plainte est acceptée.

2. Au nom du respect de la présomption d’innocence, le nom d’un prévenu ne doit être publié que sous les conditions prevues par la directive 7.6 relative à la «Déclaration». Même dans une affaire touchant à la gestion du bien public, la désignation de la fonction d’un prévenu peut suffire à satisfaire le droit du public de savoir.