Nr. 43/2007
Séparation entre la partie rédactionelle et la publicité

(Société des rédacteurs et du personnel de la «Tribune de Genève» c. «Tribune de Genève») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 31 août 2007

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I. En Fait

A. En date du 22 mai 2006, la Société des rédacteurs et du personnel de la «Tribune de Genève» (SDRP), par l’entremise de son président Alain Dupraz, a adressé une plainte auprès du Conseil suisse de la presse. En cause: la création d’une «rubrique publicitaire gratuite» dans le quotidien genevois. Cette nouvelle rubrique, parue sous le titre «Quoi de neuf?», puis sous celui de «Echo des commerces» publie «la proposition d’un commerçant genevois», à savoir un court texte de présentation et la photo d’un objet à vendre, avec son prix et l’adresse du commerce. Selon la SDRP, cette rubrique pose problème, car elle est publiée «sans claire séparation avec la matière rédactionnelle».

B. Le Conseil suisse de la presse a décidé de différer le traitement de la plainte. En effet, dans le même temps, le Conseil a reçu une autre plainte, de caractère plus général, de l’association «Info en danger», regroupant des journalistes romands qui s’inquiètent de la confusion croissante entre journalisme et publicité. Le Conseil a estimé qu’il était nécessaire de préciser sa position sur la question. Aussi, pendant l’année 2006, le Conseil a-t-il procédé à une série d’auditions qui ont confirmé que les rapports entre rédactions et annonceurs ont connu d’importantes mutations et que le risque de dérives est bien réel. Cette plainte a donné lieu à une prise de position (1/2007).

C. En date du 26 avril 2007, l’actuel rédacteur en chef de la «Tribune», Pierre Ruetschi, donne sa position. D’après lui, le bandeau «Echo des commerces», que l’ancien rédacteur en chef avait accepté d’ajouter à la rubrique, n’est pas suffisant. Le ton du texte reste «inadéquat», trop proche d’un descriptif «fourni par un catalogue publicitaire». Il a décidé de supprimer cette rubrique lors du lancement de la nouvelle formule de la «Tribune».

D. L’ancien rédacteur en chef du quotidien, Dominique von Burg, explique, en date du 10 mai 2007, que la rubrique est née dans un contexte particulier. Deux journaux gratuits récemment apparus menaient une offensive marquée auprès des commerçants genevois. L’éditeur a alors demandé à la rédaction en chef d’imaginer un geste de «good will» à l’égard du commerce genevois, dont «la fidélité à la ‹Tribune de Genève› est vitale». Confronté aux critiques de la Société des rédacteurs, Dominique von Burg n’a pas estimé devoir distinguer cette rubrique avec un bandeau «publicité», car «il ne s’agissait pas de publicité payante», mais il s’est dit prêt à l’intituler «Echo des commerces» «pour permettre davantage de clarté».

E. La plainte a été transmise à la 2ème Chambre du Conseil de la presse, qui est composée de Sylvie Arsever (présidente), Nadia Braendle, Pascal Fleury, Jean-Pierre Graber, Charles Ridoré et Michel Zendali. Dominique von Burg, ancien rédacteur en chef de la «Tribune de Genève», s’est récusé.

F. La 2ème Chambre a traité la plainte dans ses séances du 6 juin 2007 et du 31 août 2007.

II. Considérants

1. La Société des rédacteurs et du personnel de la «Tribune de Genève» soutient que le texte de la rubrique hebdomadaire «viole le principe d’une claire séparation entre matière rédactionnelle et publicité» (chiffre 10 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste»). Le texte décrivant un objet (que ce soit des whiskies, «Tribune» du 2 mai 2006, un canapé thaïlandais, 3 mai 2006, des clés USB, 9 mai 2006, ou encore un processeur Haute-fidélité, 15 mai 2006) ne comporte ni comparaison, ni point de vue critique. Il donne sans distance le point de vue du commerçant qui le vend, et en ce sens, le texte relève de la publicité.

2. Les textes litigieux sont parfois dépourvus de signature, ce qui induit un doute quant à leur nature. Certains ont en outre une tonalité nettement publicitaire («ces alcools complètent harmonieusement les 300 références que proposait déjà la cave du Palais de Justice à ses clients»; rubrique «Quoi de neuf?» du 2 mai 2006). Ce ton, même s’il se généralise, est déplacé dans un texte qui se voudrait rédactionnel. En les désignant comme «la proposition d’un commerçant genevois», la «Tribune de Genève» a pris une mesure, trop souvent omise dans les articles de type lifestyle, permettant au lecteur de distinguer la source de ces appréciations peu critiques. Cette mesure serait toutefois insuffisante s’il fallait assimiler ces textes à une publicité, auquel cas il aurait fallu de les séparer clairement de la partie rédactionnelle.

3. L’ancien rédacteur en chef fait valoir à cet égard que les textes litigieux n’ont fait l’objet d’aucun payement de la part des commerçants concernés. La plaignante avance quant à elle que «la gratuité (de la rubrique) est douteuse: comment ne pas imaginer de contrepartie?» Le Conseil estime que la contrepartie attendue – celle de fidéliser des annonceurs – n’étant pas garantie, il ne s’agit pas d’un payement au sens généralement admis dans le cadre d’un échange publicitaire.

4. Toutefois, dès lors qu’on les considère comme rédactionnels, les textes litigieux devaient être élaborés de façon indépendante par la rédaction. Dans un exercice consistant à donner la parole à un tiers – dans le cas précis, les commerçants concernés -, l’indépendance du journaliste réside essentiellement dans le choix de ses interlocuteurs. Dans la prise de position mentionnée au début, le Conseil de la presse a rappelé que cette règle s’appliquait tout particulièrement aux textes de type «lifestyle» présentant un produit de façon non critique. Dans le cas concret, le photographe chargé de la rubrique avait la mission de s’adresser exclusivement aux annonceurs habituels de la «Tribune». Cette restriction, dictée par des soucis commerciaux, n’est pas acceptable s’agissant de textes qui se veulent rédactionnels.

III. Conclusions

1. La plainte est admise.

2. Le principe de la séparation des contenus rédactionnels et de la publicité est fondamental et les formes qui entretiennent la confusion entre les deux genres doivent être évitées. La liberté de principe pour la rédaction de choisir des thèmes et des sujets doit être garantie pour tous les articles rédactionnels, cette règle s’appliquant aussi aux reportages «lifestyle». Une rubrique qui est réservée aux annonceurs ne satisfait pas à ces critères et devrait être distinguée des textes rédactionnels.