Nr. 18/2011
Rectification

(Schouwey c. «Le Temps») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 6 mai 20

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I. En fait

A. Dans son édition du 18 novembre 2010 à la page «Opinion/Débat», «Le Temps» publie un texte signé par Charles B. Blankart et Charles F. Meyer intitulé «Fiscalité: n’imitons pas les erreurs commises par l’Allemagne». Pour les deux économistes, l’initiative socialiste «pour des impôts équitables» – qui sera rejetée en votation populaire le 28 novembre 2010 – contient «le risque d’une imposition plus élevée et peu transparente pour tous.» Selon l’initiative, le groupe des contribuables avec un revenu supérieur à 250’000 paierait davantage d’impôts. Les auteurs arguent – entre autre – que «le plafond de 250’000 créera un saut d’imposition arbitraire». C’est à dire qu’un contribuable dont le revenu annuel augmenterait de 20 francs, par exemple de 249’990 à 250’010 francs, serait pénalisé sérieusement en fonction de l’échelle d’imposition cantonale an vigueur. Que cet arbitraire ne soit pas compatible avec la Constitution est reconnu par le PS. Afin d’éviter ce saut arbitraire, le taux d’imposition des contribuables en dessous du plafond de 250’000 francs devra être ajusté vers le haut. Que cet ajustement touche une bonne majorité des contribuables est passé sous silence.»

B. Le 22 novembre 2010 «Le Temps» publie une lettre de lecteur de Roger Nordmann («L’imposition sans saut»). Le Conseiller national socialiste écrit que l’affirmation de MM. Blankart et Meyer que l’initiative créera un saut d’imposition arbitraire «est fondé sur un interprétation erronée du texte». Selon Nordmann les deux économistes confondent le taux moyen et le taux marginal d’imposition. «S’agissant de l’impôt sur le revenu, l’initiative ne concerne que la partie du revenu qui dépasse 250’000 francs. Et encore, pour ce segment, l’impôt ne devra être ajusté que dans les cantons qui abusent de la concurrence fiscale déloyale.»

C. Le 25 novembre 2010 «Le Temps» publie une lettre de lecteur («Pénalité trés relative») consacré au même sujet. Dans ce courrier, Christophe Schouwey, La Chaux-de-Fonds, nie de son coté que l’initiative socialiste mènerait à un saut d’imposition. «Pour un revenu de 250’010 seuls les 10 francs supérieurs sont concernés. Le terme «pénalisé sérieusement» est donc absurde en l’occurrence.»

D. Le 13 décembre 2010, Christophe Schouwey s’adresse au Conseil suisse de la presse. Il relate que déjà dans un article du 13 octobre 2010 («Une foudroyante attaque contre le principal atout de la Suisse») «Le Temps» avait affirmé «qu’une personne gagnant 250’000 francs devrait payer 22 pourcent d’impôts au minimum». Sur sa demande, le journal a publié un rectificatif le 9 novembre 2011. «Malgré cela, ‹le Temps› publiait à nouveau la même erreur le 18 novembre 2011. (…) Pour cette raison j’ai envoyé un courrier électronique à la rédaction pour exiger un nouveau rectificatif.» Même si le rédacteur en chef n’est pas obligé de lui répondre, «il paraît fondé que ‹le Temps› publie un nouveau rectificatif. En cas de refus, j’espère que le Conseil de la presse voudra bien saisir de l’affaire.»

E. Le 19 décembre 2010, en réponse au secrétariat du Conseil Suisse de la presse, Christophe Schouwey confirme qu’il souhaite déposer une plainte contre «Le Temps» pour violation du chiffre 5 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (rectification).

F. Le 11 janvier 2011, Pierre Veya, rédacteur en chef du «Temps», conclut au rejet de la plainte. «Contrairement à ce qu’affirme M. Schouwey, nous avons diffusé deux correctifs à la suite de l’article de MM. Blankart et Meyer mais ceux-ci ont sans doute échappé à M. Schouwey. (…) ›‹Le Temps› a été de bonne foi, a reconnu qu’il était utile d’apporter une précision et n’a jamais contesté cette demande. Il a apporté trois correctifs, dont deux sont imputable à M. Schouwey et un troisième à M. Nordmann. (…) A la limite, nous pourrions même admettre que ce type d’article (rédigés par des invités, réd) ne peut donner lieu à des demandes de précision ou rectification. Nous l’avons toutefois accepté, conscients que pour une partie des lecteurs, peu au fait des mécanismes fiscaux, les précisions étaient légitimes pour la clarté des débats.»

G. Selon l’art. 12 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.

H. Le 20 janvier 2011, le Conseil suisse de la presse communique que l’échange de correspondance avec les parties est terminé et que la plainte sera traitée par la présidence du Conseil, composée de Dominique von Burg (président), d’Esther Diener-Morscher (vice-présidente) et d’Edy Salmina (vice-président).

I. Le 21 et 31 janvier 2011, Christophe Schouwey répond au secrétariat du Conseil suisse de la presse qu’il souhaite maintenir sa plainte même si «Le Temps» a publié sa lettre de lecteur et celle de M. Nordmann. «La ‹déclaration› affirme que le journal doit corriger son erreur, non pas simplement donner la parole a des gens qui seraient en désaccord. La portée est tout autre, car dans le deuxième cas de figure, le lecteur peut s’imaginer qu’il y a simple différence d’interprétation. (…) Que ‹Le Temps› publie lui-même un rectificatif en précisant, qu’il a commis deux fois la même erreur, c’est vraiment le strict minimum (…) Donner la parole à quelqu’un qui a une autre opinion est une démarche complètement différente que d’admettre qu’on s’est trompé.»

J. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), d’Esther Diener-Morscher (vice-présidente) et d’Edy Salmina (vice-président), a traité la présente prise de position le 6 mai 2011 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Le chiffre 5 de la «Déclaration» oblige les journalistes à «rectifier toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte». La directive 5.1 précise que «le devoir de rectification est mis en œuvre spontanément par le/la journaliste; il participe de la recherche de la vérité». Dans sa pratique, le Conseil suisse de la presse a souligné que sous réserve du principe de la proportionnalité le devoir de rectification, «s’étend à tous les faits significatifs d’un article» (prises de position 6/1994, 28/2000). En revanche, aucune règle de forme n’est en principe requise (39/2005). Néanmoins, suite à la rectification d’une information fausse le public doit être en mesure d’évaluer les faits correctement (8/2005).

2. En l’occurrence, le plaignant fait valoir, qu’au lieu de publier deux lettres de lecteurs «Le Temps» aurait dû rectifier de son propre chef. Il est vrai qu’une rectification formelle de la part d’une rédaction a plus de poids que la publication d’une lettre de lecteur. Pour le Conseil de la presse toutefois, vu que le texte contesté de MM. Blankart et Meyer est reconnaissable comme une opinion d’auteurs extérieurs à la rédaction et que «Le Temps» avait déjà publié une rectification antérieure concernant le même sujet il serait disproportionné de demander du journal de publier une rectification supplémentaire en complément des deux lettres de lecteurs. Ceux qui ont suivi le débat et qui ont lu les lettres de lecteurs des M.M. Nordmann et Schouwey ont été bel et bien en mesure de se former leur propre opinion sur le sujet.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En se limitant à publier deux lettres de lecteurs qui précisent un propos contenu dans l’article «Fiscalité: n’imitons pas les erreurs commises par l’Allemagne» publié dans son édition du 18 novembre 2010, à la page «Opinion/Débat» «Le Temps» n’a pas violé le chiffre 5 (rectification) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».

Réaction de Christophe Schouwey à la prise de position 18/2011