I. En fait
A. Le 14 février 2017, «24heures» publie, sous la plume de Stéphanie Arboit, un article intitulé «L’avenir de la Cour aux Marchandises ressemble à une impasse». Il fait suite au rejet par la population d’un projet de logement à Vevey et s’interroge sur ce qu’il va advenir du terrain appartenant aux CFF. Pour d’aucuns, la solution consisterait à y construire un nouveau collège dont la ville a besoin. Mais pour cela, il faudrait exproprier les CFF, donc pouvoir faire état d’un intérêt public prépondérant. Bastien Schobinger, conseiller communal UDC, doute de cette possibilité et est cité par la journaliste: «Nous devrions prouver qu’on ne peut pas mettre notre collège ailleurs. Or la Ville possède du terrain à côté du Collège Bleu. Exproprier la parcelle adjacente, propriété de la famille de M. X., me semblerait plus aisé qu’exproprier les CFF.» Dans un encadré accompagnant l’article, X., «élu de Décroissance-Alternatives et fer de lance des référendaires», conteste l’immobilisme et fait état de diverses tentatives de la part des référendaires de débloquer le dossier.
B. Le jour même, 14 février, X. saisit le Conseil suisse de la presse. A son avis, la phrase attribuée au conseiller communal UDC est fausse: «Il n’y a aucune parcelle adjacente au ‹Collège Bleu› qui puisse m’être rattachée d’une manière ou d’une autre». La journaliste n’a donc pas vérifié l’information et violé les chiffres 1 (recherche de la vérité) et 3 (sources) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration»). L’information n’est pas non plus pertinente: «Il n’y a aucun rapport entre l’objet du paragraphe et le fait que l’un des membres du comité référendaire soit propriétaire d’une parcelle … ou pas.» En citant son nom, l’article porte inutilement atteinte à sa vie privée et à des personnes de sa famille «nullement impliquées dans ce dossier», et donc viole le chiffre 7 de la «Déclaration». Enfin, le plaignant déplore que l’article donne «un écho médiatique à une claire volonté de nuire à ma personne et aux causes que je défends».
C. Le 24 avril 2017, le rédacteur en chef de «24heures», Thierry Meyer, demande que le Conseil de la presse n’entre pas en matière, subsidiairement qu’il rejette la plainte. Certes, il concède que l’article contenait une erreur (le terrain de la Ville dont il est question est adjacent à un autre collège), mais conteste que la journaliste n’ait pas procédé aux vérifications d’usage. Elle aurait donc constaté que la déclaration du conseiller UDC était fausse, mais à l’écriture de l’article, «notre journaliste a malheureusement reproduit ce lapsus par inadvertance». Le rédacteur en chef de préciser que le plaignant n’a pas contacté la journaliste avant de saisir le Conseil de la presse, puis que dans un premier temps aucun rectificatif n’a été publié pour respecter la volonté du plaignant avec qui on a cherché un accord à l’amiable (comme en témoigne un échange de courriel fourni par le plaignant). A défaut d’accord, «24heures» a donc publié un rectificatif le 15 mars 2017. Pour ce qui est du chiffre 3 de la «Déclaration», Thierry Meyer estime que la plainte ne dit pas en quoi il aurait été violé. Concernant le chiffre 7 de la «Déclaration», le rédacteur en chef fait valoir que le plaignant est un politicien très actif à Vevey depuis de nombreuses années, et à ce titre personnage public. Il ajoute que dans d’autres dossiers immobiliers, son implication et son manque de transparence quant aux intérêts de sa famille lui aurait été reprochés, et qu’à cet égard la citation contestée se justifiait.
D. Le 17 mai 2017, le plaignant adresse un nouveau message au Conseil de la presse sous forme de «réplique». Mais selon l’article 12 alinéa 2 du règlement du Conseil de la presse, «les parties ne peuvent prétendre à un second échange d’écritures». Il n’en est donc pas tenu compte.
E. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.
E. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Francesca Snider (vice-présidente) et de Max Trossmann (vice-président), a traité la présente prise de position le 20 novembre 2017 par voie de correspondance.
II. Considérants
1. La plainte fait état de la violation de trois chiffres de la «Déclaration», les chiffres 1, 3 et 7. Néanmoins, comme le fait remarquer le rédacteur en chef de «24heures», le plaignant n’explicite pas en quoi le chiffre 3 (sources, éléments d’information) est touché. Le Conseil de la presse ne traite donc pas de ce chiffre.
2. A priori, l’article de «24heures» viole en revanche le chiffre 1 de la «Déclaration», puisque la parcelle évoquée n’est pas adjacente au collège en question. En même temps, le journal a tout de suite reconnu son erreur – due à une inadvertance – et a sans tarder proposé une rectification au plaignant. Aucun accord n’étant intervenu sur le texte de cette rectification, «24heures» a fini par en publier une de sa propre initiative, ce qui se justifie par souci d’une information correcte du lectorat. Le journal a donc incontestablement pris les mesures correctrices pertinentes. La question est alors de savoir si l’erreur était d’une gravité suffisante pour avoir le poids d’une violation en dépit des mesures correctrices de la rédaction. Le Conseil de la presse est d’avis que ce n’est pas le cas, même s’il se doit de relever la légèreté coupable avec laquelle la rédactrice a «oublié» le résultat de la vérification qu’elle avait elle-même effectuée. Le Conseil de la presse, de justesse, ne retient pas de violation du chiffre 1 de la «Déclaration».
3. En ce qui concerne le chiffre 7 de la «Déclaration», la mention de l’identité du plaignant était-elle pertinente? Le point 7.2 des «Directives relatives à la Déclaration» stipule qu’une identification est licite, notamment, «si la personne concernée apparaît publiquement en rapport avec l’objet de la relation médiatique»; si elle «jouit d’une grande notoriété et que la relation médiatique est en rapport avec les causes de sa notoriété»; et si «la personne exerce un mandat politique ou une fonction dirigeante étatique ou sociale et que la relation médiatique s’y rapporte». Ces trois conditions sont remplies en l’occurrence puisque le plaignant est un élu communal et qu’il a été très actif dans la campagne référendaire. Certes, les titres de propriété de sa famille ressortissent de la vie privée. Mais dans la mesure où la question de possibles conflits d’intérêts avait déjà été soulevée dans des débats publics, en lien avec des projets immobiliers, le Conseil de la presse considère que cette mention était pertinente.
III. Conclusions
1. La plainte est rejetée.
2. En publiant l’article «L’avenir de la Cour aux Marchandises ressemble à une impasse», «24heures» n’a pas violé les chiffres 1, 3 et 7 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».