Nr. 32/2009
Rechercher la vérité / Rectification / Audition lors de reproches graves

(Alhambar Sàrl et Consorts c. «20 minutes») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 13 mai 2009

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I. En fait

A. Le 16 février 2009, le quotidien gratuit «20 minutes» publie un article rédigé par le journaliste Renaud Bournoud et portant pour titre: «L’Alhambar est illégal». Selon le journal «sauvé il y a un an par le Conseil municipal, le lieu n’a pas d’autorisation pour faire de la restauration». L’article cite Rémy Pagani, le magistrat en charge de l’Aménagement à la Ville de Genève, selon qui «L’Alhambar est illégal, mais, dans la situation actuelle, je ne peux qu’en prendre acte (…) Ce bar n’est pas aux normes de la restauration (…) Il y a des problèmes d’hygiène et de sécurité». L’auteur précise encore que l’Alhambar «devrait disparaître au profit de la ‹Maison des musiques›. Hic, il y a moins d’un an, la majorité du Conseil municipal a voté en urgence le maintien du bar. Rémy Pagani doit désormais présenter un projet qui inclut l’Alhambar.» L’article cite en outre le président du Conseil municipal qui «estime qu’il faut redimensionner le projet de la ‹Maison des musiques› pour pouvoir mettre l’Alhambar aux normes».

B. Par courrier du 26 février 2009, la société Alhambar Sàrl et trois autres plaignants, tous représentés par un avocat, déposent plainte auprès du Conseil suisse de la presse, arguant que l’article en question viole les chiffres 1, 3 et 5 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».

En référence au chiffre 1 de la «Déclaration», les plaignants reprochent au journal de publier des informations fausses. En effet, l’Alhambar dispose d’une autorisation d’exploiter octroyée le 1er Janvier 1997 et toujours valable. Les plaignants renvoient à la Directive 1.1 relative à la «Déclaration» imposant au journaliste l’obligation de vérifier les informations qu’il publie.

Les plaignants évoquent également le chiffre 3 de la Déclaration selon lequel la recherche de la vérité impose au journaliste de vérifier les informations publiées. Selon les plaignants, la publication se baserait sur une source indirecte, sans qu’il ait été procédé à des vérifications et sans respecter le principe de l’audition lors de reproches graves.

Enfin, toujours de l’avis des plaignants, le journal, par son «refus de vérifier les informations inexactes qui ont été publiées, malgré la requête expresse des plaignants», viole le chiffre 5 de la «Déclaration» (devoir de rectifier toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte).

C. Par courrier du 22 avril 2009, Philippe Favre et Joseph Crisci, respectivement rédacteur en chef et directeur de «20 minutes», demandent de suspendre la procédure, voire de rejeter la plainte. Selon eux la rédaction était, à la date indiquée, en négociation verbale avec les plaignants en vue de trouver une solution à l’amiable. Sur le fond ils estiment la plainte infondée, sur la base de trois arguments: a) l’information provenait d’une source fiable, un magistrat assermenté; b) «dans l’impossibilité d’atteindre directement les plaignants, l’auteur de l’article, soucieux d’équilibrer le propos, a fait intervenir des partisans de l’Alhambar», c) «l’auteur de l’article a pris soin de nuancer la citation contestée en précisant que l’établissement bénéficiait d’une ‹situation provisoire› dans l’attente d’une démolition ou d’une rénovation».

D. La plainte a été transmise à la 2ème Chambre du Conseil suisse de la presse composée de Dominique von Burg (président), Nadia Braendle, Anne Seydoux, Michel Bührer, Pascal Fleury, Charles Ridoré et Michel Zendali.

E. La 2ème Chambre a traité la plainte dans sa séance du 13 mai 2009 et par voie de correspondance.

F. Par courrier du 29 mai 2009 les plaignants précisent qu’aucun accord n’a été conclu entre les parties et ils demandent donc que la procédure suive son cours.

II. Considérants

1. «20 minutes» demande de suspendre la procédure car les parties seraient en négociation en vue de trouver une solution à l’amiable. Pour le Conseil de la presse il appartiendrait aux plaignants de déposer une telle demande ou de retirer la plainte le cas échéant. Ces derniers précisant qu’ils souhaitent que la procédure continue, une suspension du traitement de la plainte ne se justifie pas.

2. a) La jurisprudence constante du Conseil suisse de la presse souligne l’importance du chiffre 1 de la «Déclaration» selon lequel la recherche de la vérité est au fondement de l’acte d’informer. Cette recherche est importante tant pour le public, qui a le droit d’être informé, que pour les personnes impliquées qui ont droit à la protection de leur personnalité.

b) Dans le cas incriminé, le journaliste rapporte les informations officielles du magistrat de la Ville de Genève responsable du département des constructions et de l’aménagement. Il s’agit donc d’une source fiable dont le journaliste se limite à rapporter les propos. Il n’avait a priori pas de raison de se livrer à d’autres vérifications. Dès lors il n’y a pas violation du chiffre 1 de la «Déclaration» (rechercher la vérité).

3. a) Toutefois le chiffre 3.8 des directives relatives à la «Déclaration» (audition lors de reproches graves) stipule qu’en vertu du principe d’équité (fairness) et du principe éthique général consistant à entendre les deux parties dans un conflit, les journalistes ont pour devoir d’entendre avant publication une personne faisant l’objet de reproches graves et de reproduire brièvement et loyalement sa position dans le même article ou la même émission.

b) «20 minutes» fait valoir qu’il était impossible d’atteindre les responsables de l’Alhambar avant publication. Soucieux d’équilibrer le propos, l’auteur de l’article aurait fait intervenir des partisans du bar. Le reproche selon lequel l’Alhambar est illégal et ne dispose pas d’autorisation pour faire de la restauration est grave dans les sens de la directive 3.8. «20 minutes» aurait au moins dû mentionner dans l’article que les responsables du bar n’étaient pas atteignables pour prendre position (prise de position 48/2005).

4. En plus, le jour même de la publication de l’article, les plaignants ont fait parvenir à la rédaction des éléments montrant que l’information telle que fournie par le magistrat méritait pour le moins d’être nuancée ou rectifiée. En vertu du chiffre 5 de la «Déclaration» – les journalistes rectifient «toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte» – le journal aurait dû publier la prise de position des responsables du bar au moins après coup (voir la prise de position 13/2001).

III. Conclusions

1. La plainte est partiellement admise.

2. En publiant l’article «L’Alhambar est illégal», paru le 16 février 2009, «20 minutes» a violé les chiffres 3 (audition lors de reproches graves) et 5 (devoir de rectification) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».

3. Pour le reste, la plainte est rejetée.