I. En fait
A. Les 21 août et 10 septembre 2008, puis le 8 janvier 2009, «l’Hebdo» publie trois articles intitulés respectivement «Comment l’affaire Khadafi est devenue une bombe», «Promotion pas très nette» et «Affaire Khadafi: un ministre genevois sans excuses». Ces trois textes, signés Daniel Audétat, reviennent sur l’attitude de la police et des autorités genevoises en relation avec l’arrestation de Hannibal Khadafi, fils du président libyen, et de son épouse Aline, enceinte de neuf mois. L’arrestation a eu lieu le 15 juillet 2008 à l’hôtel Président Wilson, suite à une plainte de deux domestiques pour sévices. L’article du 21 août critique la manière dont l’arrestation s’est déroulée, en mentionnant le nom du chef de l’opération, X. («avant tout un flic d’action»). Celui du 10 septembre s’interroge sur la promotion de ce même X. («Le va-t-en-guerre de l’affaire Khadafi») au sein de la police («une promotion de plus troublantes»). Le dernier article, du 8 janvier 2009, mentionne à nouveau cette promotion du «principal responsable de l’intervention contestée».
B. Le 14 janvier 2009, la police du canton de Genève, par la plume de son officier de communication, dépose plainte contre «l’Hebdo» au Conseil suisse de la presse. La police accuse «l’Hebdo» de contrevenir à la directive 1.1 (recherche de la vérité) relative à la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste», «pour avoir publié des rumeurs»; et aux directives 7.1 (protection de la vie privée) et 7.3 (personnalités), «qui imposent le respect de la vie privée des personnes y compris des personnalités publiques», selon les termes de la plainte.
La plaignante estime que «dans les deux articles susmentionnés [21 août et 10 septembre] il «soit sous-entendu, soit affirmé clairement, que M. X. est un va-t-en guerre, adepte de la manière forte et brutale, cela dans un but de promotion, et que le chef de la police judiciaire, M. Alexandre Vanzo est un chef peu affirmé qui subit l’influence de son subordonné». Se référant aux trois articles de «l’Hebdo», la plainte affirme qu’ «il n’est pas acceptable qu’un média, quel qu’il soit, jette ainsi en pâture un collaborateur de la police, en donnant son nom et son prénom et en divulguant diverses informations personnelles sur sa carrière ou sa personnalité». La plainte précise qu’un policier a droit au respect de sa vie privée, que le fait de le nommer en signalant son implication dans une affaire peut porter atteinte à sa sécurité «au vu notamment des menaces qu’il est susceptible de recevoir par la suite». Elle signale encore que «les faits reprochés à M. X. ne sont pas prouvés pour l’heure».
C. Le 27 mars 2009, «l’Hebdo» rejette en bloc les accusations de la Police genevoise. L’hebdomadaire invoque, qu’à la lecture des textes on ne voit pas «quelle phrase publiée, quelle remarque dans l’article aurait été contraire aux faits et ainsi susceptible de violer le devoir de vérité». Il relève aussi que le premier article a été soumis à la cheffe de la police cantonale qui a indiqué qu’elle n’avait pas de commentaire à formuler. Les passages mis en cause, selon «l’Hebdo», demeurent dans la sphère de la liberté d’interprétation du journaliste. Quant à la vie privée du policier, rien dans les articles mis en cause n’indique, selon «l’Hebdo», qu’elle ait été atteinte. «L’Hebdo» souligne encore, que les articles ne contiennent pas de «faits reprochés» à M. X.
D. La plainte a été transmise à la 2ème Chambre du conseil suisse de la presse, qui est composée de Dominique von Burg (président), Nadia Braendle, Michel Bührer, Pascal Fleury, Charles Ridoré, Anne Seydoux et Michel Zendali.
E. La 2ème Chambre l’a traitée dans sa séance du 13 mai 2009 et par voie de correspondance.
II. Considérants
1. Le chiffre 1 de la «Déclaration» concerne la recherche de la vérité. Celle-ci suppose «la prise en compte des données disponibles et accessibles», le «respect de l’intégrité des documents», ainsi que la «vérification». Son respect est l’essence même du métier de journaliste. La plaignante estime que «l’Hebdo» a violé ce chiffre «pour avoir publié des rumeurs». Le fait que l’auteur ait soumis le premier texte, qui décrit l’arrestation elle-même, à la cheffe de la police, montre qu’il a vérifié son information. La cheffe de la police, Monica Bonfanti, a pris note sans commentaires.
2. La plaignante a joint copie des trois articles incriminés en surlignant les passages estimés fautifs. Dans le premier article, qui décrit l’intervention policière elle-même, l’Hebdo écrit que le chef de l’opération a fait preuve d’une «intransigeance entendue d’avance». Dans les passages suivants, l’auteur qualifie le policier de «flic d’action», «qui s’est rapidement imposé» (pour mener l’opération). Dans le deuxième article, consacré à la promotion de X., on lit que ce dernier est un «va-t-en guerre», qu’il «avait convaincu ses supérieurs d’employer les grands moyens», que sa promotion au poste de chef adjoint de la police judiciaire est «des plus troublantes». Car «trois chefs de section se sont ligués pour imposer X.». Le troisième article ne fait que revenir sur «l’intervention contestée» sans nommer l’intéressé. Aucun des faits n’est contesté par la plaignante, ni d’éventuelles rumeurs dénoncées. Seules les appréciations font l’objet de la plainte. Aucune demande de rectification n’a d’ailleurs été faite. A noter que le terme de force «brutale», dénoncé par la police, n’est jamais employé par «l’Hebdo», comme ce dernier le souligne d’ailleurs dans sa réponse.
La lecture des articles montre que leur auteur livre des appréciations en termes forts, mais qu’ils sont étayés par les faits rapportés. Par exemple, l’intransigeance était-elle «entendue d’avance»? C’est le déroulement de l’opération elle-même qui semble l’indiquer, il s’agit manifestement d’une conclusion tirée par l’auteur et non d’une «rumeur» rapportée. Dans plusieurs passages, il est difficile de savoir si l’auteur avance sa propre interprétation ou s’il se base sur des sources internes à la police. Reste à évaluer si le journaliste induit le lecteur en erreur, notamment concernant la promotion «des plus troublantes». Mais en lisant le déroulement de cette promotion, il tombe sous le sens que l’auteur avait des sources, donc qu’il a «cherché la vérité». Tout au plus peut-on lui reprocher de ne pas l’avoir mentionné. Le troisième article dénoncé est quant à lui clairement un papier d’humeur.
3. Selon le chiffre 7 de la «Déclaration» les journalistes doivent respecter la vie privée des personnes, pour autant que l’intérêt publique n’exige pas le contraire. La directive 7.1 relative à la «Déclaration» précise qu’«il convient de renoncer à harceler des personnes dans leur sphère privée». Or rien, dans les articles de «l’Hebdo», ne met en cause la vie privée du policier en question. Ils se focalisent au contraire sur sa responsabilité comme agent de la force publique. La plainte n’indique par ailleurs pas de quelles menaces celui-ci pourrait être l’objet, ni que des consignes aient été fournies à la presse concernant des questions de sécurité. La mention du nom d’un fonctionnaire de police et de son grade dans le cadre de sa profession fait au contraire partie du droit du public à l’information. La plaignante se réfère en outre à la directive 7.3 (photographie et images télévisées) qui ne s’applique en rien au sujet de la plainte. Aucune image, ni du policier, ni du contexte de l’arrestation du couple Khadafi, n’a été publiée dans «l’Hebdo».
III. Conclusions
1. La plainte est rejetée.
2. En publiant les a
rticles «Comment l’affaire Khadafi est devenue une bombe» (21 août 2008), «Promotion pas très nette» (10 septembre 2008) et «Affaire Khadafi: un ministre genevois sans excuses» (8 janvier 2009) «l’Hebdo» n’a pas violé les chiffres 1 (rechercher la vérite) et 7 (respecter la sphère privée) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».